Pourquoi les Occidentaux se tournent vers l’islam

De la France aux États-Unis en passant par le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne, les convertis sont de plus en plus nombreux. Si la presse a monté en épingle quelques cas d’islamistes radicaux, la plupart de ces néomusulmans vivent tranquillement leur fo

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 6 minutes.

Londres, le 10 août 2006. La police arrête vingt-quatre personnes soupçonnées, selon Scotland Yard, d’un projet démoniaque : l’explosion en plein vol de neuf avions transatlantiques. L’opinion découvre avec stupéfaction le profil des suspects : la plupart sont de jeunes Britanniques, certes issus de la communauté pakistanaise, mais parfaitement intégrés dans la société. Deux d’entre eux sont des chrétiens convertis à l’islam. L’un a des parents originaires de la Caraïbe. L’autre est un pur British. Né dans un milieu favorisé – son père est un ancien agent du Parti conservateur -, élevé dans l’enseignement de l’Église méthodiste, Don Stewart-Whyte, 20 ans, a embrassé l’islam il y a moins d’un an et changé son prénom en Abdul Waheed.
Déjà, en juillet 2005, lorsque des bombes avaient explosé dans trois rames de métro et un bus de Londres, l’un des auteurs des attentats, Germaine Lindsay, d’origine jamaïcaine, était un « néomusulman ». Tout comme Richard Reid, arrêté en décembre 2001 après que les services américains furent convaincus qu’il s’apprêtait à faire exploser un avion reliant Paris à Miami au moyen d’explosifs dissimulés dans ses chaussures. Certes, les médias montent en épingle quelques cas individuels pour laisser entendre que les convertis sont devenus une cible privilégiée d’al-Qaïda et du djihadisme international. Il n’empêche. Le phénomène, même marginal, touche la plupart des pays occidentaux. C’est une Belge de 25 ans, Murielle Degauque, qui, en se faisant exploser à Bagdad le 9 novembre 2005, est devenue la première kamikaze occidentale. Elle a mieux réussi son coup que l’Allemand Steven Smyrek, arrêté en 1999 après avoir proposé au Hezbollah un attentat-suicide contre une cible israélienne. Au nombre des détenus de Guantánamo figure un Australien, Steve Hicks. Les néomusulmans américains ne sont pas en reste. Parmi les terroristes ou présumés tels, José Padilla, issu d’une famille portoricaine, soupçonné d’avoir tenté de faire exploser une bombe radiologique, et John Walker Lindh, arrêté en Afghanistan alors qu’il combattait dans les rangs des talibans. Surtout, sur la liste des « terroristes les plus recherchés » du FBI, on trouve un autre Américain, Adam Gadahn, passé au service d’al-Qaïda, où il est chargé de la propagande, sous le nom d’Assam al-Amriki.
Mais c’est en France que les affaires de justice mettant en cause des convertis passés au djihadisme semblent les plus nombreuses. Le 3 octobre 2005, deux d’entre eux étaient interpellés dans le Loiret, à une centaine de kilomètres de Paris, et mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Ils étaient membres d’un groupe radical démantelé quelques jours auparavant et dont le fondateur, Safé Bourada, avait été condamné en 1998 pour sa participation aux attentats de Paris en 1995. Les deux hommes ont reconnu s’être initiés à la fabrication de mise à feu à partir de téléphones portables et avoué qu’ils envisageaient de partir au Liban pour perfectionner leurs connaissances.
Des cas comme celui-ci ne sont pas rares depuis une dizaine d’années. Le fameux « gang » de Roubaix, qui s’était violemment affronté à la police en mars 1996, était dirigé par un jeune médecin converti, Christophe Caze, alors qu’un autre de ses membres, Lionel Dumont, était parti se battre en Bosnie. Dans le groupe de Khaled Kelkal, ce jeune Lyonnais soupçonné d’activités terroristes et abattu par les gendarmes en octobre 1995, deux néomusulmans servaient de couverture logistique : David Vallat et Joseph Jaime, ce dernier enfant d’immigrés espagnols. Condamné à la prison à vie pour son implication dans les attentats de Casablanca de mai 2003, Richard Robert était originaire de Saint-Étienne et avait opté pour la religion de Mohammed sous l’influence d’islamistes turcs.
Les convertis de sexe féminin semblent de plus en plus présents dans les rangs djihadistes. En février 2002, une certaine Sylvie G. avait été arrêtée, avec sept autres Français, par la police iranienne à la frontière du Pakistan, sur le chemin du retour des montagnes de l’Afghanistan. Le juge Jean-Louis Bruguière a expliqué au Figaro tout l’intérêt que représentent ces femmes pour les réseaux islamistes. Un mariage avec une ressortissante française, c’est l’assurance pour le conjoint étranger de pouvoir circuler avec des papiers en règle. Ces recrues, souvent des jeunes filles dans le désarroi psychologique ou affectif, sont également plus malléables que les garçons et éveillent moins les soupçons des policiers.
Il y a peu encore, la plupart des Européens qui choisissaient l’islam étaient une poignée d’esthètes ou d’érudits qui se recrutaient dans les hautes couches de la société (voir encadré p. 108). En Grande-Bretagne, certains d’entre eux comme lord Stanley of Alderley ou lord Headley sont de respectables aristocrates. Et c’est un Britannique de souche, Daoud Owen, qui préside depuis 1974 l’Association for British Muslims. En Allemagne, comme en France et en Italie (voir encadré p. 108), des militaires et des diplomates ont été de longue date attirés par l’islam.
Ce qui est nouveau, et que constatent l’ensemble des experts, c’est l’expansion du phénomène, lié pour une bonne part à l’accroissement des communautés immigrées. En Italie, les convertis seraient de l’ordre de 10 000, pour une population musulmane totale d’environ 900 000 individus, dont une bonne partie d’immigrés clandestins. Dans une Espagne où, cinq siècles après l’expulsion des rois maures, l’islam retrouve droit de cité (non loin de 800 000 fidèles aujourd’hui), en particulier en Andalousie, les convertis seraient également environ 10 000. Au Royaume-Uni, leur nombre s’élèverait à 14 000, l’ensemble des musulmans du royaume représentant un peu moins de 2 millions de personnes. En France, où, avec quelque 5 millions d’adeptes, l’islam est la deuxième religion du pays, leur nombre est évalué entre 50 000 et 60 000. Pour ce qui est de l’Allemagne, qui compte une communauté musulmane de quelque 3,5 millions de personnes, on donne le chiffre de 100 000 convertis, parmi lesquels un très grand nombre d’Allemandes ayant épousé des immigrés turcs ou d’origine turque.
Les États-Unis sont un cas à part (voir p. 105). Si l’on dénombre 1,8 million de convertis parmi les 7 millions de musulmans du pays, les deux tiers sont des Africains-Américains. Le phénomène remonte aux années 1960, lorsque les discriminations dont souffraient les Noirs les ont jetés dans les bras de Nation of Islam, mouvement né à Detroit dans les années 1920.
En Europe, quel que soit le pays, le profil et les motivations des nouveaux musulmans ont considérablement changé ces dernières années. Tout d’abord, ils sont jeunes : la plupart ont une vingtaine d’années. Un grand nombre d’entre eux sont issus des couches populaires et c’est souvent le voisinage avec des musulmans d’origine étrangère – Turcs en Allemagne, Indo-Pakistanais au Royaume-Uni, Maghrébins en France, en Espagne et en Italie – qui les a incités à franchir le pas. Pour beaucoup, certes, les raisons spirituelles sont importantes. Dans des sociétés de plus en plus déshumanisées, l’islam offre un corpus de valeurs et de règles pour chaque aspect de la vie individuelle et collective, du mariage à la protection de la nature. À la mosquée, les jeunes issus des quartiers défavorisés retrouvent un environnement rassurant, ils se sentent entourés. On ne peut pas sous-estimer non plus le pourcentage de ceux qui se convertissent avant tout pour faciliter leur mariage avec un musulman ou, plus fréquemment, avec une musulmane (voir, plus loin, le cas de la France).
Adhérer à l’islam est parfois aussi un moyen de se forger une nouvelle identité, voire de marquer une rupture avec sa famille et son milieu d’origine. Cela peut aussi être un acte de rébellion politique. Comme l’écrit le sociologue français Farhad Khosrokhavar, « l’islam est une sorte de refuge pour ceux qui se sentent marginalisés car il est devenu la religion des opprimés. Il y a vingt ans, ils auraient choisi le communisme ou l’une des idéologies gauchistes qui rayonnaient à l’époque. Aujourd’hui, l’islam est la religion de ceux qui combattent l’impérialisme, qui sont traités injustement par des sociétés occidentales pleines d’arrogance. » Ce schéma s’applique tout particulièrement aux nombreux convertis originaires de la Caraïbe, que ce soit en Grande-Bretagne ou en France.
Paradoxalement, alors que le 11 Septembre a renforcé la méfiance des Occidentaux à l’égard de l’islam, il a donné un coup de fouet aux conversions. Elles ont connu un bond aux États-Unis ainsi qu’en Allemagne (4 000 dans ce pays en 2005, selon certaines sources). En fait, l’intérêt pour cette religion s’est accru, que ce soit dans un sens positif ou négatif. Nombre de conversions prennent alors un caractère nettement idéologique, au risque d’être récupérées par les islamistes radicaux, qui n’en demandent pas tant.

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