Pions noirs sur échiquier blanc

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

Où sont les élus noirs, se demande-t-on en regardant les portraits des députés et sénateurs ainsi que ceux des conseillers régionaux et généraux français ? Mis à part les 10 élus originaires des DOM, aucun des 577 députés de l’Assemblée nationale n’est noir. La situation est similaire au Palais du Luxembourg : 9 sénateurs sur 331. Concernant les conseils régionaux dont l’importance s’est accrue ces dernières années en raison de la politique de décentralisation, seuls 8 conseillers sur les 1 722 métropolitains sont noirs, soit 0,46 %. Ce taux passe à 6,5 % avec les DOM (hors Réunion). Pour ce qui est des élus français siégeant à Strasbourg, un seul « non-Blanc », Harlem Désir, figure parmi les 75 députés métropolitains.
Les Noirs représenteraient donc entre 4 % et 5 % des élus français (métropole et DOM) et seulement 1 % des élus de l’Hexagone, alors qu’ils constituent près de 7 % de la population (voir encadré p. 41). Comment expliquer une telle situation ?
Depuis deux ans déjà, la France a vu ce que certains appellent la « question noire » poindre sur la scène publique. Fin 2005-début 2006 : l’humoriste Dieudonné, qui n’avait pas réussi en 2002 à réunir les 500 signatures d’élus nécessaires pour pouvoir se présenter à la présidentielle, Christiane Taubira, membre du Parti radical de gauche (PRG), à l’origine de la loi du 10 mai 2001 reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité, et Stéphane Pocrain, ancien membre du parti des Verts, annoncent tour à tour leur souhait d’être candidat.
Un président noir en France ? Ce ne sera pas pour 2007, car tous ont abandonné. À quelques semaines du premier scrutin, aucun Noir n’est candidat.
Taubira restera donc la seule femme noire de l’histoire de France à avoir brigué la magistrature suprême. Elle l’avait fait, en 2002, non pas au nom des Noirs mais sous les couleurs de son parti. Accusés de communautarisme, les Noirs s’inscrivent, en fait, dans des partis traditionnels (UMP, PS, Verts, Radicaux), voire traditionalistes. Deux des huit conseillers régionaux noirs sont des élus… du Front national, les six autres sont socialistes. Cela montre qu’ils ne s’inscrivent pas dans une dynamique de revendication identitaire mais égalitaire. Taubira et Pocrain ne cessent de le répéter et de dénoncer « l’assignation identitaire » qui leur est imposée. Même Patrick Lozès, le fondateur et président du Collectif représentatif des associations noires (Cran), s’inscrit dans cette mouvance. S’il y a communautarisme, dit-il, c’est davantage du côté des hommes blancs, costume-cravate, la cinquantaine, hétérosexuels et catholiques. Les femmes se sont battues – et n’ont pas complètement gagné la partie – pour imposer la parité. Certains membres de la communauté noire entendent faire de même et imposer des quotas. Le Cran préconise « 8 % de nominations noires au prochain gouvernement ».
En attendant, force est de constater que l’échiquier politique demeure bien pâle. Il n’est qu’à regarder les équipes des principaux candidats. Celle du « troisième homme », François Bayrou, est unicolore. Pas étonnant qu’il dise « ne pas savoir ce que sont les cultures noires » et qu’il ne se prononce pas en faveur d’un grand centre international des cultures noires en France, contrairement à Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Cette dernière a nommé, le 23 février, Christiane Taubira « déléguée à l’expression républicaine ». Suite logique du ralliement du PRG à la candidature socialiste. Du côté de Sarkozy, Rachida Dati, porte-parole d’origine marocaine, a son pendant d’origine sénégalaise, Rama Yade-Zimet. Les minorités sont représentées ! Pour autant, il n’est pas sûr que l’ancien ministre de l’Intérieur parvienne à capter leurs voix.
Lors des dernières élections européennes, en 2004, la liste Euro-Palestine sur laquelle figurait Dieudonné et celle des radicaux menée par Taubira en Île-de-France ont chacune remporté plus de voix que celle communautaire des membres d’Africagora. L’échec cuisant de cette dernière (0,05 % des voix) est même à l’origine du recentrage du club sur le business (voir pp. 38-41). En 2005, l’étude des chercheurs Sylvain Brouard et Vincent Tiberj sur le « Rapport au politique des Français issus de l’immigration » montrait qu’ils « se situent à mi-chemin entre la droite et la gauche ». Ce qui ne veut pas dire pour autant que les Noirs ne peuvent pas peser dans la balance politique et le débat de la présidentielle.
Le Cran en est persuadé. « Les Noirs feront la différence dans l’isoloir », a prévenu Louis-George Tin, porte-parole du Cran, rappelant qu’il n’avait manqué que 200 000 voix à Jospin pour être au second tour de la présidentielle de 2002.

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