Côte d’Ivoire : Masa, les clés d’un renouveau
Contes, slam, humour, danse, mode… La 12e édition du Marché des arts du spectacle d’Abidjan s’est terminée samedi 12 mars. Et le public était bien au rendez-vous.
« Feel the magic in the air, allez allez allez », encourage le quatuor de zouglou Magic System sur la scène du Palais de la culture d’Abidjan, en bordure de la lagune Ebrié. Sur l’esplanade, le public venu en nombre – 25 000 personnes lors de la cérémonie d’ouverture – semble conquis par ce premier jour de festivités. La magie aurait-elle déjà opéré ? Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance.
Pour cette douzième édition du Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa), soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), les organisateurs étaient unanimes : il fallait relancer la machine. Née en 1990 à Liège (Belgique), cette manifestation biannuelle est organisée trois ans plus tard dans la capitale économique ivoirienne sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny. Objectif : faire rayonner le monde de la culture, des arts et des affaires du pays. Mais, au fil des années, l’événement qui a révélé Meiway – et, plus récemment, Kandy Guira – perd son positionnement. Et ses festivaliers en même temps. En cause, un programme conçu en faveur des professionnels du secteur au détriment des artistes.
Accès libre
Aujourd’hui, face à l’offre grandissante de festivals consacrés aux industries culturelles et créatives (ICC) qui font d’Abidjan une vraie capitale de la culture, les équipes du Masa ont dû réagir. « La population avait déserté le marché et les salles de spectacles, elle ne se sentait plus impliquée, confirme Laberge Kouamé, nouveau chef du département communication, qui n’a pas lésiné sur les campagnes d’affichage, réalisées dans toute la ville. Nous avons dû repenser l’équilibre entre professionnels et festivaliers pour créer un nouvel engouement auprès des populations, en misant par exemple sur l’entière gratuité des spectacles. » Un accès libre qui n’a pas affecté le budget alloué à la manifestation (500 millions de F CFA, comme les éditions précédentes, au prix de quelques sacrifices de ressources humaines).
Au total, 98 artistes et 62 créateurs issus de 26 pays différents sont programmés
Fini le fiasco des éditions précédentes. « L’année 2014, par exemple, a été une catastrophe, confirme Khalid Tamer, membre du comité artistique international du Masa depuis 2016. Le pays sortait de la guerre et de la crise, le palais était en ruine, on ne pouvait pas accueillir les spectateurs. » Deux éditions plus tard, la pandémie de Covid-19 finit d’achever la manifestation, qui essuie des annulations d’artistes tous azimuts pour cause de fermeture des frontières. « Mais aujourd’hui, les ministres africains commencent à prendre conscience que la culture est un enjeu pour la société civile, qui a besoin de spectacles », assure le metteur en scène marocain.
La salle Kodjo Ebouclé (1 500 places) se remplit progressivement et certains spectateurs doivent se contenter des marches pour assister aux représentations pourtant pointues de la compagnie Farafina – Ballet national du Burkina Faso, du spectacle « Là-bas », signé Fargass Assandé (prix Fespaco de la meilleure interprétation masculine en 2015), ainsi que de la Compagnie N’Zassa, ou encore de la pièce chorégraphique « Zouglou » de Hippolyte Bohouo (compagnie Bog’arts, Belgique).
Autant de créations locales, issues de la sous-région ou d’Europe représentées à parts égales. Contes, slam, humour, musique, théâtre, danse, arts du cirque et de marionnette, mode… Au total, 98 artistes et 62 créateurs issus de 26 pays différents sont programmés dans les différents espaces, du Palais de la culture à l’Institut Goethe, en passant par l’Institut français.
Changement de vision
Dans les couloirs du palais, les rumeurs concernant la gestion à géométrie variable des artistes vont pourtant bon train. « Cela a été une réalité, les artistes ivoiriens ont été moins bien traités par les organisateurs que ceux qui venaient de l’étranger, confie Prométhée, membre du groupe de zouglou Révolution. Ce n’était pas proportionnel au niveau de la gestion artistique et scénique, de l’hébergement, mais aussi de la rémunération. Mais les groupes étrangers génèrent des charges, nuance-t-il. Toutes ces frustrations cumulées ont fait réagir la direction, il y a eu une séance de travail l’année dernière à ce sujet et des efforts ont été accomplis », assure le chanteur. Un changement de vision qui se traduit aussi par la récente nomination du nouveau directeur général du Masa, Patrick Hervé Yapi, 55 ans.
L’ancien directeur en logistique voit les choses en grand. « En trente ans, le Masa est passé de trois disciplines à huit, et nous comptons ouvrir la programmation au septième art lors de la prochaine biennale, glisse-t-il. Notre objectif, à l’ère des ICC, est de passer le cap de la numérisation des œuvres. Pendant la pandémie de Covid, les salles ont fermé et seuls les artistes qui avaient numérisé leurs œuvres ont survécu à la crise. Il est temps d’industrialiser le secteur et de former nos artistes, qui vivent en grande partie dans la précarité. Or, être artiste est un métier », clame-t-il. Des défis, et pas des moindres, placés sous le signe de l’innovation qui ont été passés au crible lors des différentes tables rondes organisées avec les professionnels du secteur.
Les cultures urbaines n’étaient pas assez nobles pour le Masa
Loin des institutions, les artistes eux-mêmes agissent sur le terrain. Isolée et à l’écart des scènes principales, une zone aux murs habillés de fresques colorées et de graffitis crée la surprise. Impulsée par la rappeuse ivoirienne Nash, la Zone street art fait la part belle à la scène rap, aux cultures urbaines et à la mode. « Monsieur Yapi a épousé notre idée, il nous a permis de faire cette deuxième édition et on le remercie », reconnaît cette ambassadrice du nouchi.
« Les cultures urbaines n’étaient pas assez nobles pour le Masa, on s’est battu pendant des années pour avoir notre place, or c’est la musique urbaine qui remplit les stades et nous nous retrouvons sur une scène cagibi, s’emporte Didier Awadi, figure emblématique du rap ivoirien, un béret façon Black Panther vissé sur la tête. Nous allons donner du respect aux cultures urbaines. »
Si certaines frustrations se font encore sentir, l’édition 2022 a prouvé que le renouveau était bel et bien en marche avec un public au rendez-vous, des écoliers et étudiants dansant devant les troupes de coupé-décalé, la jeunesse branchée d’Abidjan ébahie au premier rang des défilés de mode, des acteurs culturels concentrés lors des conférences et une centaine de programmateurs, opérateurs culturels, bookeurs et directeurs de festival venus de Colombie ou du Nigeria, d’Afrique de l’Ouest comme d’Europe, présents pour repenser le secteur des industries culturelles et créatives du continent.
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