Le tigre blessé

L’Amérique voulait démontrer son invincibilité et remodeler le Moyen-Orient à son image. Quatre ans après l’entrée de ses blindés dans Bagdad, force est de constater que l’entreprise a tourné au fiasco.

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 4 minutes.

Avril 2003-avril 2007. Quatre ans presque jour pour jour après la chute de Bagdad, l’un de ces jeunes Irakiens qui s’acharnèrent à coups de marteaux sur la statue déboulonnée de Saddam Hussein, place Firdaous, en plein cur de la capitale, confie, désabusé : « Saddam était comme Staline, un tyran. Mais l’occupation, c’est pire encore. » En deux phrases, tout est dit sur l’étendue d’un désastre historique.
Lorsque, le 20 mars 2003, Américains et Britanniques déclenchent l’invasion de l’Irak – laquelle devait déboucher en moins de trois semaines sur l’effondrement du régime baasiste -, la quasi-totalité des Irakiens estiment que le meilleur est à venir. Très rares, y compris au sein de la communauté sunnite, sont ceux qui se sont réellement battus pour défendre un despote, dont l’aveuglement a eu pour effet de ramener le niveau de vie moyen de ses concitoyens de celui de la Grèce à celui de la Mauritanie. Libération ou occupation ? En deux mois à peine, les Irakiens auront la réponse à cette question cruciale. L’armée et les services de sécurité sont dissous, les fonctionnaires réputés baasistes chassés de leur emploi et l’Irak cesse d’exister en tant qu’État. Ce que veulent les Américains, ce sont des clients, pas des alliés. La lune de miel est un astre mort. Dès le mois de juin 2003, avec une férocité et une rapidité extraordinaires, l’insurrection prend corps parmi les 5 millions de sunnites. Depuis, chaque année qui passe est, en termes de victimes civiles, pire que la précédente. Deux millions d’Irakiens ont fui à l’étranger et la litanie des chiffres terribles devient routinière : 150 attaques de guérilla par jour, 1 476 attentats au cours des douze derniers mois, 1 600 morts irakiens par mois en moyenne depuis le début de 2007*.
Même si le paroxysme de la violence est concentré dans le fameux « triangle sunnite », notamment les provinces d’al-Anbar, de Babil et de Diyala – dont la capitale, Baqouba, est pratiquement aux mains des insurgés -, seul le Kurdistan est relativement calme. Signe qui ne trompe pas : partout ailleurs, les journalistes ne peuvent circuler qu’embedded, c’est-à-dire embarqués et protégés par les soldats américains. La boucherie a donc lieu à huis clos. Pour tenter de dédramatiser ce tableau, les propagandistes de l’administration Bush ont mis au point une version idéalisée de l’Irak « libéré ». Quatre années d’Histoire scandées en autant de progrès spectaculaires – les « turning points » chers au président américain – censés démontrer que le pays est sur la bonne voie : la capture de Saddam en 2003, la passation des pouvoirs au nouveau gouvernement irakien en 2004, les élections et la Constitution en 2005, le nettoyage de Bagdad en 2006 Il y a un peu de vrai dans tout cela. L’amélioration de l’accès à l’eau potable et à l’électricité par exemple, la légère diminution du nombre des chômeurs et l’augmentation du revenu annuel par tête (de 480 dollars en 2003 à 1 600 dollars aujourd’hui) sont des réalités. Mais il y a surtout beaucoup de mensonges. Le rapport Baker-Hamilton a ainsi relevé que le nombre d’attaques dont les troupes américaines étaient la cible faisait l’objet d’une sous-estimation systématique (parfois de dix à un !) de la part de l’état-major. Contrairement à ce qu’affirment George W. Bush et Tony Blair, la violence – on l’a vu – est loin d’être confinée au centre du pays. Quant au gouvernement irakien à forte dominante chiite, il apparaît chaque jour un peu plus clairement qu’il n’est en mesure ni de diriger le pays, ni de réconcilier ses composantes et ses factions.
Quatre ans après l’entrée des blindés américains dans Bagdad, le 9 avril 2003, l’invasion de l’Irak est donc un échec cinglant pour une superpuissance dont le but était alors de démontrer son invincibilité et de remodeler le Moyen-Orient à son image. Son unique résultat positif a été de renverser Saddam Hussein et, pour l’opinion américaine dans sa majorité, cette guerre est d’ores et déjà perdue. « Les États-Unis sont comme un tigre blessé », disait il y a peu, et à juste titre, l’ex-président iranien Hachemi Rafsandjani. Une blessure peut amener à réfléchir, à reconnaître ses erreurs et à s’amender. On l’a cru un court instant, en novembre 2006, après les élections US de la mi-mandat et la publication du rapport Baker-Hamilton. À tort. Les renforts américains promis sont en train de débarquer au cur du triangle sunnite, Bush préférerait chuter de cheval plutôt que d’avouer la moindre faiblesse et c’est, dit-on, quand le tigre est blessé qu’il est le plus dangereux.

* Selon les dernières estimations de l’Iraq Body Count, qui relève au jour le jour les morts violentes de civils dues directement à des actes de guerre, entre 57 000 et 63 000 Irakiens sont décédés depuis avril 2003. Ce chiffre ne prend pas en compte les morts des suites de blessures, estimées selon d’autres sources (Iraq Coalition Casualty Report) à près de 50 000.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires