Le shah sait que c’est fini

17 février 1979

Publié le 3 avril 2007 Lecture : 3 minutes.

Conversation avec le roi Hassan II à l’occasion d’un dîner au château de Betz, l’une de ses résidences des environs de Paris. Je l’interroge sur la situation du shah d’Iran qu’il a accepté d’accueillir à Marrakech depuis que ce dernier a dû fuir son propre pays.
« Qu’en est-il de cette demande d’extradition du shah par le nouveau pouvoir de Téhéran ?
– La demande de l’ayatollah Khomeiny de lui livrer le shah est irrecevable, me répond le roi du Maroc. Je ne suis pas saisi officiellement de cette demande d’extradition. Je l’ai apprise, comme vous, par la presse et les radios. En tout état de cause, la question ne peut être posée, puisqu’il n’existe pas de convention d’extradition entre le Maroc et l’Iran.
– Garderez-vous encore longtemps le shah ?
– Il est mon hôte. Il restera au Maroc aussi longtemps qu’il le voudra.
– Comment est-il ?
– Il sait que c’est fini pour lui. Il sait qu’il ne reviendra plus jamais au pouvoir. Jamais. Le pourrait-il, d’ailleurs, qu’il ne le voudrait pas. Il ne veut plus du pouvoir. Il ne retrouvera jamais les forces pour l’assumer. C’est fini.
– De quoi souffre-t-il le plus ?
– Je vais vous le dire parce que je le sais. Mon père a été en exil. Je l’ai été moi aussi. La chose la plus horrible dans l’exil, c’est l’ennui. L’ennui le matin, l’après-midi, le soir. L’ennui pendant les nuits sans sommeil. L’ennui de tous les instants. Lever, promenade, lecture, déjeuner, promenade, lecture, dîner, coucher, lecture Plus rien, plus rien à faire ! Sauf écouter les nouvelles à la radio, les écouter tout au long de la journée
– Oui, l’ennui, c’est le « monstre délicat » évoqué par Baudelaire dans le premier poème des Fleurs du mal.
– Ah !
(Je prends le roi, habituellement imbattable dans le domaine de la littérature française, en flagrant délit d’ignorance.)
– Le rétablissement de la monarchie en Iran avec son fils est-il possible ? Ou sous une autre forme ?
– Oui La monarchie est un trait d’union. Sans monarchie, le pays va partir en quenouille. Ce sera la dislocation complète. Quels sont les pays qui bordent l’Iran ? L’Irak, l’Union soviétique, l’Afghanistan, le Pakistan. Eh bien, des populations différentes les unes des autres, des tribus, des groupes ethniques sont à cheval sur les frontières de l’Iran, sur toutes les frontières de l’Iran. Autant de séparatismes, autant de dissidences, autant de possibilités d’éclatement. L’unification de l’Iran ne peut demeurer que sous une grande autorité. Ce pays ne peut tenir que lorsqu’il a un homme fort à sa tête. Croyez-moi, ce qui inquiète le shah, ce n’est pas son sort personnel – il est un homme fatigué, malade, fini -, ce qui l’inquiète, ce qui le mine, c’est le démantèlement de son pays.
– Le shah en veut-il au président Giscard d’Estaing d’avoir été si gentil avec l’ayatollah Khomeiny réfugié en France ?
– Absolument pas. Il aurait bien évidemment mieux valu que Khomeiny aille en Libye ou en Algérie. Cela l’aurait mieux situé. Mais puisqu’il avait choisi d’aller en Europe, le shah considérait, tout bien pesé, qu’il valait mieux qu’il soit en France.
– Qui y a-t-il derrière l’ayatollah ?
– Le rôle des Anglais, des Américains, à toujours paru très bizarre au shah. Le shah m’a dit que jamais il n’a pu recevoir séparément l’ambassadeur des États-Unis et celui de Grande-Bretagne. Ces deux ambassadeurs sont toujours venus le voir ensemble. Pour jouer quel rôle ?
– À propos de l’affaire du Sahara, vous ne craignez pas que Giscard se rapproche des Algériens et vous abandonne un peu ? »
Le sens de la réponse du roi est qu’« il n’y a aucune crainte à avoir, Giscard et moi, nous nous aimons, m’assure-t-il. Entre nous : amitié, affection, confiance fraternelle. Jamais Giscard ne me lâchera. Je suis à ce sujet dans la tranquillité la plus complète. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires