À la recherche d’un nouveau souffle

Les normes antipollution seront plus contraignantes à partir de 2012 en Europe. Voici comment les constructeurs s’y préparent.

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 7 minutes.

C’est une étrange malédiction : souvent, les salons automobiles viennent à contretemps de l’humeur du moment. Car une industrie lourde change de cap avec la lenteur placide d’un paquebot. Entre la gestation d’un modèle et sa présentation au public s’écoulent au moins quatre ans. Alors, même si les constructeurs essaient d’anticiper les changements de vent, leurs belles nouveautés donnent parfois l’impression de voguer dans la mauvaise direction.
Ce fut le cas à Genève, en ce début de mois. Comme à l’habitude, le salon suisse fut une ode à la puissance, au plaisir automobile sous toutes ses formes. Le groupe PSA présentait ses premiers 4×4, les Peugeot 4007 et Citroën C-Crosser, deux frères quasi jumeaux bâtis sur la plate-forme du Mitsubishi Outlander. Audi dévoilait son coupé A5, proposé avec un V8 de 354 chevaux. Maserati, sa superbe Gran Turismo, gueule de requin et 405 chevaux sous son long capot. Opel, un petit roadster deux places capable de propulser ses passagers cheveux au vent de 0 à 100 km/h en moins de six secondes. Jaguar, une étude de style, tous muscles dehors, qui préfigure la prochaine S-Type.
Tout cela était très agréable à regarder. Mais complètement à côté du sujet. Car dans les travées du salon de Genève, une discussion revenait sur toutes les lèvres : la directive européenne qui imposera, à compter de 2012, à la flotte des véhicules neufs d’un constructeur d’émettre moins de 130 grammes de gaz carbonique par kilomètre parcouru. À titre d’exemple, une Rolls Royce Phantom, mue par un moteur V12 de 453 chevaux, rejette dans l’atmosphère 385 grammes de CO2 au kilomètre Moins caricatural, un VW Touareg V10 TDi, gros 4×4 de 2 600 kg et 313 chevaux, exhale 329 g de CO2/km. Une Peugeot 407 2,7 l HDi, berline de taille moyenne, 223 grammes.
Il faut descendre beaucoup plus bas sur l’échelle de l’automobile pour trouver des véhicules qui, dès aujourd’hui, passent sous la barre des 130 grammes : une Citroën C1 1.4 HDi (109 g), une Smart CDi (101 g). Mais ils relèvent de l’infiniment petit, tant par la taille que par la cylindrée : la Smart mesure 2,50 m, et utilise un moteur de 800cc. Ce n’est pas le portrait de la voiture universelle
Dans l’intention, la mesure présentée par Stavros Dimas, commissaire européen à l’Environnement, est saine puisqu’elle va dans le sens de l’histoire. Elle n’est toutefois pas exempte d’arrière-pensées politiques : l’Europe, qui ne produit quasiment pas de pétrole, entend réduire sa dépendance énergétique. Et habille d’un habit de vertu un réflexe protectionniste qui refuse de dire son nom : via ses directives portant sur la sécurité ou les émissions polluantes, elle érige de fait des barrières douanières à l’encontre de véhicules à bas prix qui pourraient, demain, venir de Chine Ce qui rend un fieffé service aux constructeurs du vieux continent.
D’ailleurs, l’ACEA, organisme regroupant les constructeurs européens, ne s’est pas officiellement élevée contre la future règle des 130 g de CO2. La question a pourtant fait débat. Les marques spécialisées allemandes y étaient bien entendu opposées, elles qui produisent pour l’essentiel des véhicules haut de gamme fortement motorisés, et par conséquent voraces en carburant. Mais elles se sont retrouvées en minorité face à la coalition des constructeurs généralistes (Renault, Fiat, Peugeot, Citroën). Ces derniers ont en effet beau jeu de prétendre être les bons élèves de la classe. Leurs échecs répétés dans le luxe automobile les ont conduits à se recentrer sur des voitures de petit ou moyen format. Dès lors, Fiat présente un taux d’émission moyen de 140 g de CO2/km pour l’ensemble de sa gamme. Citroën (145 g), Renault (149 g) et Peugeot (154 g) n’auront également qu’un petit bout de chemin à accomplir pour respecter la norme des 130 g en 2012.
Cette directive européenne pose toutefois des problèmes d’application. Elle prend en effet en considération les émissions moyennes de la flotte de voitures neuves d’un constructeur, au prorata des véhicules vendus. Le calcul ne sera donc pas simple. D’autant que la notion de constructeur est ici prise au sens large. Les Ferrari, par exemple, seront incluses dans le quota des voitures du groupe Fiat. Une Panda 1.3 JTD (114 g de CO2) viendra ainsi aisément compenser les excès commis par une Ferrari 612 Scaglietti (475 g), sachant qu’il se vend en Europe environ 10 000 Panda pour une 612. On comprend mieux dès lors l’intérêt manifesté par Porsche pour prendre le contrôle du groupe VW : un Cayenne turbo S (378 g) sera noyé dans la masse des petites Polo 1.4 TDI (119 g). De même, le groupe Mercedes se félicite aujourd’hui de compter en son sein la marque Smart. En revanche, Aston Martin, qui vient de reprendre ses distances avec le groupe Ford après avoir été racheté par un consortium anglo-saoudien, peut nourrir quelques inquiétudes : le plus « écologique » de ses trois modèles émet 393 g de CO2/km. Les futurs propriétaires d’Aston devront donc payer une taxe supplémentaire, sorte de droit à polluer.
La Commission européenne se serait simplifié la tâche en raisonnant par marques, et non par groupes. Mais elle ne veut pas la mort de l’industrie automobile allemande, premier employeur du pays, en conséquence défendue à Bruxelles par la chancelière Angela Merkel. Et il aurait été contre-productif pour l’Europe de rogner les ailes à un pan de son industrie qui réalise des records d’exportation.
La mesure prise, malgré sa complexité, vise à inciter les constructeurs à abaisser la consommation moyenne de leur parc, sous peine d’astreintes financières. Elle va donc profondément modifier le paysage automobile européen, et même les habitudes prises par les consommateurs. C’est l’éternelle histoire de la poule et de l’uf, du voleur et du receleur : qui a commencé le premier ? Toujours est-il que l’automobile, en cette dernière décennie, s’est engagée sur une pente dangereuse : le « toujours plus ». Toujours plus de sécurité, de confort, d’espace à bord. Fort bien. Sauf que cette tendance, ratifiée par les achats du public, a entraîné les constructeurs à produire des véhicules toujours plus grands, toujours plus hauts, toujours mieux équipés, toujours plus lourds. Un mouvement symbolisé par le succès des 4×4 routiers, véhicules dont la transmission intégrale ajoute à la voracité naturelle. Et quelle est la solution pour masquer l’embonpoint pris par une voiture ? Accroître sa cylindrée et sa puissance, bien entendu, ce qui augmente encore sa consommation en carburant
Désormais, l’automobile ne pourra plus s’enfoncer dans cette voie sans issue. Il existera toujours des véhicules de prestige ou de sport, puissamment motorisés, destinés à l’exportation sur d’autres continents ou dont les propriétaires européens auront acquitté une surtaxe « verte » à l’achat. La manuvre a déjà commencé. En France, les véhicules de société sont assujettis à une taxe annuelle calculée en fonction de leurs émissions polluantes. L’addition grimpe vite : plus de 7 000 euros par an pour un VW Touareg W12 (382 g de CO2/km). De quoi inciter les entreprises, sur les conseils de leur comptable, à doter leurs cadres de véhicules de fonction moins gourmands.
C’est cette même logique financière qui va amener les constructeurs à reconsidérer leur offre. Ils peuvent d’abord lutter contre le poids : matériaux légers (hélas coûteux) comme l’aluminium dans le haut de gamme, moins d’équipements dans les catégories inférieures. La Dacia Logan a donné le ton : dépouillée à l’extrême, elle ne pèse que 1 065 kg, soit 200 de moins qu’une Renault Mégane de même taille. En conséquence, elle a un appétit d’oiseau (4,7 l/100 km) et émet 125 g de CO2/km. La version Blue Motion de la petite VW Polo 1.4 TDi mise sur d’autres arguments : rapports de boîte allongés, pneus étroits, garde au sol abaissée, moins d’éléments insonorisants. Elle consomme ainsi 3,9 l/100 km, un demi-litre de moins, à moteur égal, que les autres versions de la Polo. L’écart semble faible. En vérité, il est gigantesque : consommation réduite de 11 % sur un véhicule qui était déjà sobre. Et ce gain ne procède pas d’innovations techniques qui auraient accru le prix de la Polo Blue Motion. Revers de la médaille, le plaisir de conduite s’en ressent : reprises mollassonnes, suspensions sèches, niveau sonore élevé. Mais la Polo Blue Motion a le mérite de poser clairement le débat : si les automobilistes européens veulent des voitures pas chères qui consomment moins, ils devront renoncer en contrepartie à un certain confort.
Ensuite, les constructeurs peuvent aussi s’attaquer au cur d’une voiture, son moteur. En ce domaine, les marques allemandes spécialisées dans le haut de gamme disposent d’un avantage : leurs talents de motoristes. VW et BMW ont ainsi été les premiers à adopter sur des moteurs essence la technologie de l’injection directe et de la turbocompression. Dès lors, ils ont le choix : accroître la puissance ou, à puissance égale, réduire la cylindrée au bénéfice de la consommation. La Golf 1.4 TSI développe ainsi 170 chevaux, soit 120 chevaux au litre. Elle sait ainsi rester sobre : 7,2 l/100 km. C’est moins qu’une Golf 1.6 d’ancienne génération, qui ne dispose pourtant que de 115 chevaux ! Même miracle sur le coupé BMW 335i : 306 chevaux et 9,5 l/100 km, une valeur remarquable pour une voiture de cette puissance.
Ainsi, progressivement, les marques européennes vont-elles transformer les contraintes édictées par Bruxelles en atouts. Aujourd’hui, l’Europe est le seul continent à avoir fixé un objectif d’émissions polluantes aussi sévère. Bon gré, mal gré, les constructeurs ont maintenant cinq ans pour être au rendez-vous. Dans le même temps, les automobilistes devront prendre leur part à l’effort, soit financièrement, soit en acceptant des voitures moins pourvues en équipement de confort, moins hautes, moins lourdes. Bientôt, Japon et États-Unis devront suivre le mouvement. Puis viendra le tour des pays émergents, même si tel n’est pas aujourd’hui leur premier souci. Ce jour-là, l’industrie automobile européenne disposera alors d’un coup d’avance.

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