À guichet ouvert

Les réformes incitent les établissements étrangers à s’implanter. Mais l’affaire Khalifa pèse toujours sur la confiance des citoyens.

Publié le 2 avril 2007 Lecture : 5 minutes.

Drôle d’ambiance dans les cercles financiers algériens. Du 8 janvier au 8 mars, cadres d’entreprises publiques et de banques, ministres et hauts fonctionnaires ont défilé sans interruption au tribunal criminel de Blida, en qualité de témoins ou d’accusés dans l’affaire Khalifa, sous l’il attentif d’une centaine de journalistes. Chaque jour, de nouvelles révélations sont venues alimenter les colonnes des quotidiens nationaux. Ce devait être le procès du siècle, le plus gros scandale financier de l’histoire du pays. Mais après deux mois de débats médiatisés, les 104 personnes inculpées pour « association de malfaiteurs, vol qualifié, abus de confiance, détournement de fonds publics, faux et usage de faux » sont apparues comme des seconds couteaux, voire des « victimes expiatoires du système », selon leurs avocats. L’ancien PDG du groupe, Rafik Khalifa, lui, est toujours en exil à Londres.
L’effondrement de cet empire a causé un préjudice estimé entre 1,5 milliard et 5 milliards de dollars, mettant sur la paille des centaines de milliers de personnes. Or les bénéficiaires des fonds détournés semblent avoir été moins inquiétés que les exécutants. Toujours est-il que Khalifa a été condamné le 21 mars par contumace à la prison à perpétuité. Jugé pour « association de malfaiteurs, vol qualifié, détournement de fonds, faux et usage de faux », l’ex-golden boy est sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré par l’Algérie, qui demande son extradition. Reste à savoir si ces poursuites suffiront à restaurer la confiance des citoyens dans leur système bancaire
L’affaire aura permis en tout cas de souligner les failles de la surveillance et le manque de transparence. Depuis, des mesures ont été prises. La Banque centrale a amélioré son dispositif de contrôle et renforcé les corps d’inspection. Obligées depuis 2004 de porter leur capital minimum à 2,5 milliards de DA (35 millions de dollars), certaines banques ont dû fermer. Les autres ont toutes créé des comités d’audit de contrôle interne tandis que l’Inspection générale des Finances va bénéficier d’une extension de son champ d’action.
Autre élément destiné à améliorer la traçabilité des opérations : la modernisation des moyens de paiement. Des progrès colossaux ont été réalisés en 2006. Chambre de télécompensation, système de règlement interbancaire en temps réel des gros montants, l’Algérie est à jour sur le plan technique. Plus de 1 500 nouveaux scanners de chèques ont été acquis afin d’équiper les succursales des banques. Le système gère aujourd’hui quelque 20 000 chèques par jour et il ne faut plus que sept jours pour les encaisser (contre plusieurs mois auparavant). Un système de paiement de masse destiné au grand public sera également mis en place très bientôt. Les distributeurs automatiques de billets ont gagné en visibilité, près des agences ou dans les aéroports. Mais si la carte de retrait fait la joie de ses premiers utilisateurs, la carte de paiement peine encore à se généraliser. « Le problème ne vient plus des banques, car elles ont fait leur travail. La balle est désormais dans le camp des commerçants », commente un cadre d’une banque étrangère. Beaucoup d’entre eux seraient réfractaires à l’idée d’installer des machines dans leur magasin, par manque d’information mais aussi pour des raisons fiscales. L’infrastructure en tout cas est disponible. Et elle fonctionne.
En outre, trois banques algériennes devraient, avec l’assistance technique de l’Union européenne, introduire en 2008 un système de notation des entreprises, destiné à en évaluer leurs performances. Cette activité de rating devrait être confiée à une agence spécialisée dans les notations. En revanche, l’obligation d’utiliser le chèque ou le virement pour des montants supérieurs à 50 000 DA a été abandonnée, car jugée trop difficile à gérer dans une économie qui fonctionne encore essentiellement avec du cash.
Mais depuis quelques semaines, les réformes ont été suspendues. « Avec l’affaire Khalifa, tout est bloqué. Il y a un attentisme absolu, la Banque centrale est paralysée », se plaint un cadre d’une banque étrangère, qui attend toujours son agrément pour ouvrir une filiale. Une douzaine d’enseignes étrangères composent actuellement le paysage bancaire privé du pays, depuis les faillites des établissements privés algériens. Si elles représentent aujourd’hui à peine 14 % du marché, de nouveaux concurrents se pressent, conscients du formidable potentiel de développement d’un pays gonflé de pétrodollars.
Depuis un an, les demandes d’agrément se sont envolées. La banque française Calyon a obtenu son sésame en juin dernier, en même temps que la banque universelle émiratie Al Salam Bank Algeria. Trois établissements libanais ont également fait une demande : França Bank (qui a obtenu sa première autorisation et compte dans son tour de table le transporteur maritime CMA/CGM), Biblos Bank (qui a racheté une partie de Ryane Bank), ainsi que la Libanese Canadian Bank (qui détient une participation dans la Trust Bank de Jordanie). Des banques privées italiennes ont été annoncées, mais aussi marocaines, comme Attijariwafa Bank (avec Santander) et BMCE, qui a obtenu son agrément en association avec CIC. HSBC attend également le sien, tout comme Unicrédit et Dubai Islamic Bank. Ça se bouscule au portillon
Les banques en activité devront donc redoubler d’énergie pour garder leurs positions. L’américaine Citibank se concentre sur les entreprises du secteur pétrolier et de la construction. La Société générale Algérie, qui suit un autre schéma, multiplie les prêts à la consommation et s’est lancée, il y a huit mois, dans le crédit immobilier, profitant du plan massif de construction de logements dans le pays. La BNP compte un réseau de 23 agences, dont 13 ouvertes en 2006. Elle a développé une stratégie globale avec l’arrivée de sa filiale Cetelem (crédit à la consommation) l’an dernier, puis récemment de sa filiale Cardif, qui commercialisera ses produits d’assurance des emprunteurs. Le secteur des assurances, avec un taux de pénétration de 5,6 % seulement, promet de se développer et attire les investisseurs.
Le secteur bancaire compte actuellement 1 300 sites et agences pour 14 millions de comptes, en sus des 7 millions détenus par Algérie Poste. Le gouvernement veut porter le nombre total de comptes à 30 millions d’ici à 2015. Le potentiel est là, si l’on en juge par la croissance des portefeuilles des banques (+ 15 % entre 2005 et 2006).
Mais l’actualité de l’année 2007 tourne surtout autour de la cession du Crédit populaire d’Algérie, première banque publique à être privatisée. La bataille est féroce car le repreneur contrôlera 15 % du marché et un réseau de plus de 130 agences. Six banques internationales ont déjà été présélectionnées : BNP-Paribas, Société générale, Natexis, Crédit agricole, Santander et Citibank. Un « pacte d’adhésion » concernant la procédure va être soumis aux candidats qui le signeront ensuite après d’éventuelles modifications. Ces derniers pourront alors accéder à l’ensemble des données et auront un mois et demi pour faire une offre financière. Durée totale des opérations : au moins trois mois. Maintenant que le verdict du procès Khalifa est connu, le processus va pouvoir reprendre son cours normal.

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