Au Bénin, un chantier patrimonial et mémoriel colossal

Pour développer son économie, le pays mise sur sa culture et son histoire. Parmi la pléthore de projets prévus, quatre musées devraient sortir de terre d’ici à 2024.

La porte du non-retour est située sur la plage, au bout de la route des Esclaves, à Ouidah. © Jacques Torregano pour JA

MARIE-TOULEMONDE_2024

Publié le 8 mai 2022 Lecture : 8 minutes.

C’est sur la latérite de Ouidah, foulée par plus d’un million d’esclaves noirs entre la fin des XVe et XIXe siècles, et plus précisément dans l’enceinte du fort portugais où ils étaient détenus avant leur exil outre-Atlantique, que s’érige le Musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime).

Encore en travaux, le bâtiment qui doit ouvrir ses portes d’ici fin 2022, n’est que l’une des briques d’un chantier patrimonial et touristique colossal. Composé de douze projets, il prévoit notamment trois autres musées, à Abomey, Porto-Novo et Cotonou.

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Dépourvu de minerais et d’hydrocarbures, le Bénin possède un immense patrimoine que le ministre de la Culture, Jean-Michel Abimbola, aime présenter comme « une exception culturelle » sur laquelle Cotonou a décidé de miser. Cette stratégie s’inscrit dans la droite ligne du programme de Patrice Talon, « Révéler le Bénin » qui doit faire du pays « l’une des destinations phares de l’Afrique de l’Ouest, voire au niveau international ».

Pour orchestrer cet ambitieux projet, l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) a spécialement été créée en 2016. Son portefeuille de 650 milliards de F CFA (990,9 millions d’euros), soit 6 % du PIB national en 2020, est couvert à 55 % par des fonds privés.

Tourisme mémoriel à Ouidah

Ainsi, depuis 2020, la ville côtière de Ouidah est en travaux. Cette cité historique, dont les demeures à l’architecture africaine-brésilienne sont imprégnées d’un passé douloureux, est en passe d’être reconstituée grâce au soutien financier de la Banque mondiale (à hauteur de 30 milliards de F CFA) et aux fonds publics (43 milliards de F CFA). Derrière les murailles du fort portugais – dernier bastion colonial au Bénin, qui a perduré jusqu’en 1961 – s’élèvera le Mime.

Un espace de 662 m², encore en chantier, accueillera une exposition permanente dont une partie sera consacrée à l’Afrique et à l’Europe avant la traite transatlantique ; une deuxième à « l’engrenage de la traite » et une troisième aux combats menés pour la liberté.

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Selon Alain Godonou, le directeur du programme musées de l’ANPT qui a chapeauté les équipes de scientifiques et d’historiens béninois et les muséographes et scénographes français des agences Decalog et Les Crayons, il était primordial de « penser le parcours du point de vue africain » et de « sortir du prisme quantitatif pour proposer des trajectoires personnifiées ».

Faute d’une collection suffisamment importante – une soixantaine de pièces seulement – , l’équipe du musée a misé sur « l’interprétation » avec des period rooms, des répliques d’objets et de nombreux supports audiovisuels.

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Ainsi, il sera possible de suivre l’exode de Cujo Lewis, l’un des derniers survivants de la traite négrière, capturé à l’âge de 19 ans par les amazones du royaume de Dahomey puis convoyé depuis Abomey jusqu’à Ouidah. Il y a été confiné dans une cabane (« barracoon ») durant de longues semaines avant d’être expédié en Alabama (où il vivra dans une maison reconstituée pour l’occasion) à bord du dernier navire négrier, le Clotilda. C’était en 1860, cinquante-deux ans après l’interdiction du commerce d’êtres humains aux États-Unis.

Le futur Musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime) sera érigé à Ouidah. © Agence Les Crayons

Le futur Musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime) sera érigé à Ouidah. © Agence Les Crayons

Le circuit patrimonial se prolonge à l’extérieur du musée où la Maison du gouverneur, fraîchement rénovée, accueillera temporairement les 26 œuvres restituées par la France une fois leur exposition au Palais de la marina de Cotonou terminée.

Quelques mètres plus loin, la caserne, la ménagerie et la captiverie seront reconstruites comme au XVIIIe siècle. Le long de la route des esclaves qui relie le fort à la côte sur 4 km, d’autres sites sont en cours de réhabilitation, comme la place ChaCha, désormais appelée place aux Enchères, où les esclaves étaient troqués contre une pipe ou du tabac, ou le mémorial Zoungbodji et l’arbre du retour.

Les ambitions du gouvernement ne s’arrêtent pas là. Sur la plage bordée de cocotiers située à quelques kilomètres de la fameuse porte du non-retour, un complexe touristique de 130 chambres, financé par la Bank of China à hauteur de 109 milliards de F CFA, devrait voir le jour. À Avlékété, le village lagunaire voisin, c’est un Club Med qui sera construit dès cette année.

Ressusciter le royaume d’Abomey

Le Meard fera revivre le puissant royaume du Danhomè (Dahomey). © Agence Les Crayons

Le Meard fera revivre le puissant royaume du Danhomè (Dahomey). © Agence Les Crayons

À deux heures au nord de Porto-Novo, l’agence gouvernementale s’est promis de faire « revivre » un autre pan majeur de l’histoire du pays, celui du tricentenaire et puissant royaume du Dahomey, disparu avec une partie de ses vestiges au terme d’une lutte contre les colonisateurs français en 1894.

C’est au cœur du site palatial d’Abomey, classé patrimoine de l’Unesco depuis 1985, que sera implanté le très attendu Musée de l’épopée des amazones et du royaume de Danhomè (Meard). Il s’inscrit dans un projet plus large, financé en partie par l’Agence française de développement (AFD) pour 23 milliards de F CFA et Cotonou (15 milliards), comprenant en particulier la rénovation de trois palais royaux, l’installation d’un village pour accueillir les familles d’artisans comme au temps de la cour et l’ouverture de boutiques et de restaurants.

Pour l’architecte Françoise N’Thépé, le défi est de taille : « Je voulais que le musée ait son identité propre, sans reproduire mimétiquement l’architecture royale. » Afin de s’intégrer malgré tout dans l’histoire du lieu, le bâtiment a été pensé de plain-pied avec une structure basse « pour ne pas dominer les palais existants ». Ces nouveaux pans de façades en brique compressée feront écho aux anciens. Des hauts-reliefs devraient y être sculptés par l’artiste béninois Euloge Glèlè, un descendant du dixième roi d’Abomey, dont il porte le nom.

La Franco-Camerounaise a également fait appel aux savoir-faire locaux et à un cabinet d’étude environnemental spécialisé « pour trouver des matériaux durables, naturels et locaux plutôt que de miser uniquement sur une ventilation mécanique » afin de protéger la collection de la forte humidité. Le musée accueillera une collection permanente d’environ 500 œuvres, parmi lesquelles les 26 trésors royaux restitués qui retrouveront leur terre d’origine après cent trente années d’exil.

Vue d’architecte du futur Musée de l’épopée des amazones et du royaume de Danhomè (Meard). © Agence Les Crayons

Vue d’architecte du futur Musée de l’épopée des amazones et du royaume de Danhomè (Meard). © Agence Les Crayons

Pour définir la programmation, Alain Godonou s’est appuyé sur un comité scientifique béninois, l’agence Decalog et des écrivains, tel Noureini Tidjani-Serpos, qui ont puisé dans les abondantes archives disponibles. « Le Dahomey est le royaume africain qui a produit le plus d’écrits en Occident, dépassant l’Empire mandingue et les royaumes bantous », raconte-t-il. Avant d’ajouter : « L’IFAN [Institut français d’Afrique noire], qui s’est installé en 1943 à Abomey, a également été un grand foyer de production pour les chercheurs africains qui retranscrivent les sources orales. »

La scénographie, conçue par l’agence Les Crayons, fera écho à cette tradition orale. Au récit factuel et chronologique de l’histoire de cette cité-État qui a fondé sa prospérité sur la traite puis l’huile de palme sera superposée la dimension légendaire de la saga dahoméenne, avec des mises en scène théâtrales et immersives.

Douze alcôves royales illustreront le règne des onze rois et de la reine Hangbé, récemment réintégrée à la dynastie. Le dernier espace sera dévolu aux amazones, entre lecture réelle et appropriation culturelle. Nicolas Béquart, le cofondateur de l’agence, ne cache pas son enthousiasme : « C’est le joyau de l’ensemble des projets ! » Il a opté pour une mise en scène graphique « hybride » en associant les savoir-faire locaux – vannerie, toiles appliquées, bois sculpté – à un style plus « contemporain ».

Si le projet est avancé, aucune brique n’a encore été posée. L’édifice doit pourtant ouvrir ses portes d’ici fin 2024. Des discussions étaient en cours jusqu’à la semaine dernière avec l’Unesco concernant la volumétrie du musée. La nouvelle mouture a été validée mais il reste encore à former des artisans du bâti à la réhabilitation des anciens palais.

Il est aussi prévu de fouiller les sols au niveau de l’emprise du musée avant sa construction. En effet, une immense partie du site royal, de 47 hectares, n’a jamais été exploré. « Des sondages ont déjà été réalisés par une équipe bénino-danoise et ils devraient se poursuivre, précise Alain Godonou. À terme, il est d’ailleurs prévu que l’équipe de recherche archéologique ait une base dans le palais de Béhanzin. »

Le vaudou au cœur de Porto-Novo

Enfin, difficile d’aborder le patrimoine culturel du pays sans parler du vaudou, dont le Bénin est le berceau. Un Musée international du vodun (MIV) s’implantera au cœur de Porto-Novo, à quelques mètres de la place Tofa. Le bâtiment aux murs en bois sculpté, pensé par le cabinet ivoirien Koffi & Diabaté, est intégralement financé par le gouvernement à hauteur de 18 milliards de F CFA.

L’objectif est de « déconstruire les stéréotypes et de donner au monde les moyens intellectuels et visuels d’une meilleure compréhension du vaudou », insiste Alain Godonou. Le comité scientifique qui travaille sur la programmation est notamment composé de Gabin Djimassè, historien, chercheur et spécialiste de l’art vaudou. Les collections qui devraient y figurer sont, elles, encore en cours d’identification.

Vue du futur Musée International du Vaudou, à Porto Novo.

Vue du futur Musée International du Vaudou, à Porto Novo.

Au-delà de l’enceinte du musée, l’ANPT compte valoriser la pratique de cette religion en réhabilitant notamment la route des couvents d’Adjarra à Grand-Popo et en structurant la fête du 10-Janvier pour en faire un festival international à Ouidah. Dans l’espoir d’attirer des touristes et des dizaines de millions de pratiquants étrangers – dont les afro-descendants des Caraïbes et du Brésil. Le projet le plus récent, dirigé par la Galerie nationale béninoise, consiste en la création d’un Musée d’art contemporain qui trouverait sa place dans le village artisanal de Cotonou.

Ambition démesurée ?

Après les musées, la liste de l’agence est encore (très) longue : rénovation de la cité lacustre de Ganvié (84 milliards de F CFA), développement de l’écotourisme de luxe et de la chasse pour un public « privilégié » dans le parc naturel de la Pendjari (11,5 milliards), construction du nouveau Palais royal impérial du Baru Tem à Nikki et d’une arène pour la fête de la Gaani (5 milliards), aménagement de la place Toussaint-Louverture à Allada (1,7 milliard)…

Si ces belles promesses sont porteuses d’espoirs, une telle ambition dans des délais si courts fait ressurgir la crainte qu’elles ne soient que des « éléphants blancs ».

Les musées vont-ils être construits à temps ? Vont-ils vraiment voir le jour ? Les projets ne sont-ils pas trop orientés vers un public étranger et fortuné ? Quid de l’expertise « très française » ? Les habitants concernés vont-ils réellement bénéficier des emplois ainsi créés et des retombées économiques, si retombées il y a ?

Si les risques et les engagements financiers sont réels, Wenceslas Adjognon, directeur du développement du tourisme et du marketing à l’ANPT, se veut rassurant : « Les retards ont déjà été pris en considération dans le calendrier et les ajustements requis sont faits. Les musées, comme partout dans le monde, ne sont pas conçus pour une rentabilité directe. Ils sont des leviers pour créer et accélérer des économies dérivées. Il est difficile de prévoir avec précision toute l’étendue de ces retombées économiques, mais nous sommes bien épaulés par toutes les expertises nécessaires », assure-t-il.

Très confiant, il vise « 3 millions de touristes d’ici à 2028 [contre 350 000 en 2019] », et table notamment sur le Nigeria voisin et ses 220 millions de – potentiels visiteurs.

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