Retrouvailles de raison

Différée à plusieurs reprises, la visite de Laurent Gbagbo à Paris devrait permettre aux deux pays d’aplanir leurs différends.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Avant de s’envoler pour Paris, où il est attendu le 3 février au petit matin, Laurent Gbagbo aura fait un petit détour par Yamoussoukro, la capitale de la Côte d’Ivoire, où il a déposé la première pierre des futurs bâtiments devant abriter le palais présidentiel, le Parlement ainsi qu’un hôtel des députés de cinq étages financé par la Chine. Le président ivoirien aura également eu le temps de recevoir à dîner chez lui une vieille connaissance, Dominique de Villepin, le chef de la diplomatie française, qui devait s’arrêter à Abidjan, le 1er février, sur la route de Santiago du Chili. Une brève escale destinée à régler les derniers détails du voyage de Gbagbo à Paris, mais aussi, semble-t-il, à rapprocher deux hommes au caractère trempé dont les relations étaient, il y a quelques mois encore, franchement mauvaises, et qui doivent à une discrète (et efficace) médiation du président gabonais Omar Bongo Ondimba d’avoir pu se rencontrer, à la fin de novembre 2003, à Libreville.

Après une année d’absence, Laurent Gbagbo retrouve donc la grisaille parisienne pour une visite en deux temps dont le volet officiel ne commencera, de fait, que le 5 février. Le président ivoirien, qui sera accueilli à sa descente d’avion par Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, mettra ses deux premières journées à profit pour recevoir certains de ses compatriotes vivant en France, mais aussi pour remercier ses vieux amis socialistes, du moins ceux d’entre eux qui lui sont restés fidèles depuis le déclenchement de la crise politique dans son pays, en septembre 2002. Il sera ainsi reçu, le 4 février, à 18 heures, au siège de la Fondation Jean- Jaurès, par l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy, à qui il remettra symboliquement un tableau (La Traite du cacao) du peintre ivoirien James Hura Kadio (également du voyage), dont les oeuvres ornent, depuis quelques années, les murs du palais présidentiel, à Abidjan. « Le tableau fait 1,30 mètre sur 1,80 mètre, et nous l’installerons dans la grande salle de réunion, au rez-de-chaussée », confie Guy Labertit, le « monsieur Afrique » du Parti socialiste français.
La « visite de travail » proprement dite démarrera donc le 5 février, avec le déjeuner, suivi d’un entretien en tête à tête (élargi dans un second temps) avec Jacques Chirac, que Laurent Gbagbo n’a pas revu depuis plus d’un an. Au menu de ces retrouvailles au sommet, initialement prévues en décembre, mais plusieurs fois reportées : la politique, l’économie et, bien entendu, la question délicate de l’envoi de quelque 6 000 Casques bleus en Côte d’Ivoire dans la perspective de l’élection présidentielle de 2005, un projet piloté par le secrétaire général des Nations unies, qui attend toujours le feu vert des États-Unis. Dominique de Villepin doit, une nouvelle fois, plaider le dossier, au début de février, lors du périple qui le conduira, après l’Amérique du Sud, à Washington.
En attendant, le voyage de Gbagbo intervient après une année de vives polémiques, d’incompréhensions, voire d’affrontements feutrés entre Abidjan et Paris, liés, entre autres, au traitement réservé au président ivoirien en janvier 2003 à Paris. Venu participer au sommet de Kléber, il en était reparti muni d’une « feuille de route » – le fameux Accord de Marcoussis signé par les protagonistes de la crise ivoirienne -, non sans avoir été sommé, suprême humiliation ! d’intégrer des éléments de la rébellion à des postes de souveraineté (Sécurité et Défense) dans un gouvernement de « réconciliation nationale ». À l’époque, un collaborateur du ministre français des Affaires étrangères s’était même vanté – un peu trop vite – de lui « avoir tordu le bras ».
Ces péripéties relèvent désormais du passé. Du moins si l’on en croit les professions de foi des uns et des autres. L’Élysée se félicite aujourd’hui des « réels progrès » accomplis ces dernières semaines en Côte d’Ivoire, de la décision du président Gbagbo « d’endosser Marcoussis ». Parmi les motifs de satisfaction, entre autres : le vote de la loi d’amnistie, en août 2003 ; le retour en Conseil des ministres, après trois mois de politique de la chaise vide, des représentants de la rébellion, en décembre dernier ; le démarrage, dans la foulée, des opérations de désarmement, de démobilisation et de regroupement des ex-belligérants ; ainsi que l’adoption par le gouvernement de plusieurs projets de loi prévus par l’Accord de Marcoussis.
Et, déjà, certains officiels n’hésitent pas à pronostiquer la victoire de Gbagbo à la présidentielle de 2005. « C’est un redoutable politique, un malin, souligne un fonctionnaire du Quai d’Orsay. C’est un francophile, comme tendent à le démontrer toutes ses références culturelles et politiques. Et, même s’il s’affirme de gauche, il ne néglige pas ses relations avec la droite… »

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Côté ivoirien, le ton est également conciliant. « Nous allons à Paris avec la volonté d’aplanir les difficultés du passé, explique-t-on ainsi dans le proche entourage du chef de l’État. La France et notre pays ont des intérêts croisés, pour ne pas dire convergents. » Pour preuve : hier soupçonnées, pas toujours à tort, des pires menées déstabilisatrices, les entreprises françaises sont de nouveau en cour à Abidjan. Bouygues a récupéré le chantier de construction d’un troisième pont dans la capitale économique, un moment confié à une firme chinoise. Bolloré, le terminal à conteneurs de Vridi. Sans oublier l’eau, l’électricité, les chemins de fer, l’hôtellerie et le téléphone, déjà largement contrôlés par des groupes français. Comme pour confirmer cette embellie, à l’hôtel George-V, où le président ivoirien et sa suite (une vingtaine de membres) installeront leur quartier général jusqu’au 7 février, Laurent Gbagbo recevra une kyrielle d’hommes d’affaires et d’industriels désireux, pour certains d’entre eux, d’investir dans son pays.
De fait, la Côte d’Ivoire et la France ont tout intérêt à une amélioration de leurs relations. Les Ivoiriens ont besoin de l’ancienne puissance coloniale pour se sortir de la mauvaise passe dans laquelle leur économie les a plongés depuis plusieurs mois, mais aussi pour persuader l’Union européenne de débloquer l’enveloppe financière promise (400 millions d’euros, étalés sur cinq ans) en janvier 2003, au sortir des discussions de Kléber. Paris, qui vient par ailleurs d’accorder 2,5 millions d’euros (1,6 milliard de F CFA) à la Côte d’Ivoire pour la création d’un Fonds d’appui aux initiatives locales, est également sollicité pour trouver un « arrangement » concernant les arriérés dus à la Caisse française de développement.
A contrario, la France ne peut se désintéresser du sort de son premier partenaire économique en Afrique francophone, un pays où elle entretient une base militaire et où vivent, parfois depuis plusieurs décennies, des milliers de ses ressortissants. Elle le peut d’autant moins que sa diplomatie, bousculée par la superpuissance américaine, a besoin de compter ses alliés, donc du soutien du plus grand nombre d’États africains. Dans cette perspective, et pour reprendre la formule d’un universitaire sénégalais, « la Côte d’Ivoire n’est pas un petit pays ».
Le président ivoirien quittera Paris le 7 février pour Abidjan, d’où il repartira, trois jours plus tard, pour une tournée dans l’Est, avant de se rendre, le 17 ou le 18 février, à Bouaké, fief de la rébellion et seconde ville de Côte d’Ivoire, pour annoncer à ses compatriotes la « fin de la guerre ». Pour ceux qui ne l’auraient pas compris, Laurent Gbagbo est déjà en campagne électorale…

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