Reconstruction au forceps

Troisième étape de la transition démocratique, la nouvelle Constitution fait briller une lueur d’espoir dans un pays gangrené par l’insécurité.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 4 minutes.

En promulguant, le 26 janvier, une nouvelle Constitution, l’Afghanistan a fait un pas supplémentaire sur le chemin de la démocratisation. En présence de son gouvernement et de représentants de la communauté internationale, le président afghan, Hamid Karzaï, a signé le décret entérinant la Loi fondamentale adoptée trois semaines plus tôt à l’unanimité par la Loya Girga, dans le respect des traditions afghanes. Après plus de deux semaines de débats houleux, les 502 représentants du Grand Conseil étaient parvenus, le 4 janvier, à s’accorder sur un texte jetant les bases de la République islamique d’Afghanistan. Un succès pour les Nations unies et leur représentant, Lakhdar Brahimi, qui ont largement contribué à cette ratification. Mais aussi pour Washington, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour que cette République voie le jour.
Aux termes de la Constitution, l’une des plus éclairées du monde musulman, selon l’ambassadeur américain en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, l’islam est religion d’État et aucune loi ne pourra aller à son encontre. Mais la liberté de conscience est garantie et la jeune République s’engage à respecter la Charte des Nations unies. Autre avancée importante : la proclamation de l’égalité entre hommes et femmes. Malgré les résistances de certains chefs de tribu, la gent féminine est désormais appelée à jouer un rôle politique puisque qu’elle est assurée d’occuper au moins 64 des 250 sièges que comptera la Chambre basse du Parlement. Un changement de taille deux ans après la chute du régime des talibans, qui ne leur reconnaissait pas même le droit d’aller à l’école. De leur côté, les minorités ethniques ont obtenu que leur langue soit reconnue dans les régions où elle est majoritairement parlée. Mais au niveau national, seuls le pachtou et le dari ont le statut de langue officielle.
En ce qui concerne le type de régime adopté, Hamid Karzaï, élu à la tête de l’État pour deux ans le 13 juin 2002, est parvenu à imposer un système présidentiel. Il s’est appuyé sur les Pachtounes, majoritaires au sein de cette mosaïque ethnique qu’est le peuple afghan, pour garder l’essentiel des pouvoirs. Les décisions politiques devront néanmoins être prises en accord avec le Parlement. La nouvelle Constitution, troisième étape de la transition démocratique prévue par les accords interafghans signés à Bonn le 5 décembre 2001, fait briller une nouvelle lueur d’espoir dans un pays ruiné par plus de deux décennies de conflits et cinq ans de règne taliban. Prochaine étape de ce processus : la tenue d’élections présidentielle et législatives, officiellement prévues pour le mois de juin. Une date qui sera difficile à tenir à cause de l’insécurité grandissante qui règne dans le pays.
Véritable clé de voûte de la reconstruction, le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire est désormais prioritaire aux yeux des Nations unies et de l’administration américaine. « La Constitution est un élément de stabilité, mais ce n’est pas le seul », explique le professeur Zalmaï Haquani, ambassadeur de la nouvelle République à Paris. Les attaques sont devenues quasi quotidiennes dans les provinces du Sud et de l’Est, le long de la frontière pakistanaise. Elles sont généralement attribuées aux talibans, qui bénéficient dans ces régions du soutien de leurs frères pakistanais. « Certains éléments au Pakistan soutiennent la déstabilisation menée par les Afghans », affirmait Lakhdar Brahimi, en décembre 2003.
Ces étudiants en religion, qui s’étaient emparés du pouvoir en 1996, avec la bénédiction d’Islamabad et le soutien à peine dissimulé de Washington, n’ont pas totalement disparu. Ceux qui n’ont pas été faits prisonniers à la fin de 2001 se sont fondus dans la société afghane, dont ils semblent réémerger petit à petit. Attentats contre les forces de la coalition, enlèvements et assassinats du personnel aidant à la reconstruction… la violence fait rage dans les nombreuses régions qui échappent au contrôle du gouvernement central. Une chose est sûre : le pays ne pourra être pacifié qu’avec l’aide du Pakistan. Sous la pression américaine, le président Musharraf a reconnu que la perméabilité de la frontière afghano-pakistanaise permettait la libre circulation des talibans. Mais il continue à minimiser le rôle joué par les autorités pakistanaises. Le général-président a néanmoins dépêché son Premier ministre à Kaboul mi-janvier en vue de résoudre ce problème.
Les anciens maîtres du pays ne sont pas les seuls responsables de cette flambée de violence. Les dizaines de milliers de miliciens au service des chefs de guerre n’ont toujours pas été désarmés. Et le florissant trafic d’opium, qui reprend peu à peu ses droits, a fait renaître le banditisme. Les quelque 11 000 soldats américains et 6 000 hommes des forces de maintien de la paix présents sur le sol afghan sont dans l’incapacité de contrôler l’ensemble du territoire. Quant à l’armée nationale, censée leur prêter main-forte, elle n’a toujours pas été mise en place.
L’insécurité freine la reconstruction économique du pays. L’administration Bush, soucieuse de voir la situation en Afghanistan s’améliorer avant le scrutin présidentiel américain de novembre, a décidé de lancer un vaste plan d’assistance aux provinces du Sud et de l’Est. Principales mesures de ce dispositif : la multiplication des équipes militaro-civiles de reconstruction, la création de zones de développement régionales et le renforcement des forces de sécurité afghanes. Par ailleurs, Washington s’est engagé à verser plus de 2 milliards de dollars d’aide en 2004. Ces efforts suffiront-ils à ramener la paix civile ? Rien n’est moins sûr.

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