Qui veut faire taire Olympio ?

Le principal opposant au régime togolais devait prononcer une conférence, à Paris, à l’invitation du Grand-Orient de France. Une semaine avant la date fixée, tout a été annulé…

Publié le 2 février 2004 Lecture : 4 minutes.

L’affaire avait pourtant bien commencé, mais elle prend aujourd’hui des allures de mini-scandale. En novembre 2003, La Rose et le Compas, une loge du Grand-Orient de France (GODF), décide d’organiser une « tenue blanche fermée », c’est-à-dire, dans le jargon maison, une conférence où l’orateur est profane, l’auditoire exclusivement composé de francs-maçons. Invité : Gilchrist Olympio, 67 ans, économiste et industriel formé à Oxford, à la London School of Economics and Political Science, et célèbre opposant togolais. Son thème : « Le développement de l’Afrique de l’Ouest : le cas du Togo. »
Qu’un profane soit amené à s’exprimer devant un parterre de francs-maçons n’a rien d’exceptionnel. Au GODF, comme dans la plupart des obédiences maçonniques, les personnalités politiques et syndicales, les universitaires, les artistes et les représentants du monde des affaires, non initiés, sont régulièrement conviés à venir « plancher. » Ainsi du ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, qui s’est exprimé librement, et avec beaucoup de talent, sur l’actualité diplomatique internationale le 17 décembre dernier, rue Cadet, à Paris, au siège du GODF, principale obédience maçonnique française.
Fort de cette tradition, Tido Brassier, « vénérable maître » (président en chaire) de La Rose et le Compas, dépose une demande d’autorisation auprès du conseil de l’ordre du GODF. Celui-ci, lors de sa séance plénière du 21 novembre, donne un avis favorable. L’information est aussitôt publiée dans le bulletin interne. Comme d’autres avant lui, Gilchrist Olympio, leader de l’Union des forces du changement (UFC), une fédération regroupant huit partis d’opposition au régime du général Gnassingbé Eyadéma, pourra donner libre cours à ses idées sur l’économie africaine en général, et togolaise en particulier.
Rendez-vous est pris pour le 22 janvier 2004 à 20 heures précises. En prévision d’un nombre important d’auditeurs, les organisateurs décident de réserver le temple n° 1, baptisé du nom d’un ex-parlementaire socialiste et ancien grand maître du GODF, Arthur Groussier (1863-1957). Dans la foulée, Tido Brassier s’acquitte, dès le 5 janvier, des 305 euros (un peu plus de 200 000 F CFA) indispensables pour la location du temple et sa sonorisation par un technicien, comme l’atteste une note remise le même jour à l’intéressé par le grand secrétaire adjoint aux Affaires intérieures. « Je certifie, précise en outre ce document, que cette tenue a été autorisée par le conseil de l’ordre lors de la séance plénière du mois de novembre. » Une circulaire, également datée du 5 janvier, informe le personnel de sécurité de la rue Cadet qu’il faudra laisser le « conférencier profane » Gilchrist Olympio se garer au sous-sol de l’immeuble.
Dix jours plus tard, rien ne va plus ! Reçu dans la matinée du 15 janvier, l’opposant togolais s’entend dire par Bernard Brandmeyer, grand-maître du GODF et président du conseil de l’ordre, que son intervention est annulée. Devant l’étonnement de son hôte, le dignitaire franc-maçon, assisté, entre autres, par Gérard Cambuzat, ancien grand-maître adjoint et tout nouveau « monsieur Afrique » de l’obédience, explique qu’il a des motifs sérieux de craindre pour la sécurité de ses « frères » vivant au Togo.
La confirmation de ce revirement interviendra dans un courrier recommandé adressé à Brassier le 19 janvier, soit trois jours avant la conférence et alors même que les invitations ont déjà été lancées depuis plusieurs semaines. « Je tiens à porter à ta connaissance, écrit le grand secrétaire aux Affaires étrangères, que le conseil de l’ordre, en sa séance des 19-20 décembre 2003, a été amené à revenir sur sa décision du mois de novembre concernant l’autorisation qui avait été donnée à ton vénérable atelier d’organiser le jeudi 22 janvier 2004 une tenue blanche fermée avec monsieur Gilchrist Olympio. Il a en effet estimé qu’il était important que cette tenue n’ait pas lieu pour des raisons de sécurité concernant les frères du Togo. »
Déception, consternation, pour ne pas dire colère, chez beaucoup de francs-maçons, et pas seulement africains. « Le conseil de l’ordre a subi des pressions », assurent ces derniers, persuadés que l’institution qui se bat depuis deux siècles pour la liberté et le progrès a cédé à des injonctions politiques. Sinon, affirment-ils, « pourquoi avoir attendu presque un mois avant de rendre publique la décision d’annulation » ? La volte-face du conseil de l’ordre intervient en effet après avis favorable, alors que le temple est loué et les mesures de sécurité prises.
Au conseil de l’ordre, on s’embrouille dans des explications. « Nous n’aurions pas reçu monsieur Olympio si nous le considérions comme un terroriste, explique-t-on sous le sceau de l’anonymat. C’est facile de dire oui lorsqu’on joue avec la vie des autres, notamment celle des frères vivant au Togo. Il est plus facile d’être franc-maçon sur les bords de la Seine que dans certains pays africains. La majorité des loges du GODF au Togo sont opposées à cette prestation. » Une affirmation contestée par les organisateurs de la conférence avortée.
Ces derniers cherchent actuellement un cadre de substitution, toujours à Paris, où Olympio pourrait s’exprimer. Peut-être chez une autre obédience maçonnique, moins timorée et plus décidée à écouter la « planche » sur l’économie africaine d’un homme formé dans les meilleures écoles occidentales, ancien responsable de la Banque mondiale, premier employeur africain du Ghana, et ex-enseignant, notamment, à Oxford et à Yale. Affaire à suivre donc…

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