Pourquoi Sharon courtise les Falashas

Israël multiplie les appels du pied en direction de la communauté juive. Ou de ce qu’il en reste. Vers un nouvel exode massif ? Pas sûr.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 3 minutes.

« Nous aimerions les emmener tous en Israël, dès la semaine prochaine », a indiqué Silvan Shalom lors de sa visite officielle en Éthiopie, le 8 janvier. Bien sûr, le ministre israélien des Affaires étrangères parlait des Beta Israel, les derniers juifs éthiopiens. Autrement dit des Falashas, terme amharique signifiant « exilé » ou « étranger », que les intéressés, à ce titre, récusent. Mais Seymoun Mesfin, son homologue éthiopien, s’est montré beaucoup plus circonspect. Selon lui, « une intervention du type de celles organisées dans les années 1980 et 1990 ne s’impose pas aujourd’hui. » Retour en arrière.
En mai 1991, le régime de Mengistu Haïlé Mariam, le « Négus rouge » de sinistre mémoire, vit ses dernières heures, après une interminable et atroce guerre civile. Le gouvernement israélien saisit l’occasion pour lancer un gigantesque pont aérien baptisé « opération Salomon ». En trente-six heures, quinze mille Beta Israel quittent Addis-Abeba pour Tel-Aviv. Cet exode massif n’était pas le premier. De novembre 1984 à janvier 1985, déjà, plus de huit mille personnes avaient été « exfiltrées » des camps de réfugiés au Soudan dans le cadre de l’« opération Moïse ». Le monde entier avait, à cette occasion, découvert l’existence de cette communauté oubliée. Une nouvelle opération (« Sheba ») sera organisée trois mois plus tard, en mars 1985.
Par la suite, grâce à la « loi du retour », qui permet à tout individu de religion ou d’ascendance juive de s’établir en Israël, la communauté s’est considérablement renforcée. Elle compte aujourd’hui quatre-vingt mille membres, alors que le nombre des juifs demeurés en Éthiopie ne dépasserait pas vingt mille. Parmi eux, dix-sept mille Falachmoras, des Falachas convertis au christianisme au XIXe siècle. De force, selon les partisans de leur venue en Israël. Ils ont « préservé leur culture juive à l’intérieur d’eux-mêmes », plaide, par exemple, un porte-parole du parti Shas (séfarade). Une partie des responsables religieux est d’un avis diamétralement opposé. Faute de pouvoir empêcher la venue des Falashas, ils réclament à tout le moins leur conversion au judaïsme.
« Découverts » en Éthiopie en 1769 par le savant et explorateur écossais James Bruce, les Falashas devront attendre un siècle pour que l’Alliance israélite universelle s’intéresse enfin à eux. Le jeune chercheur français Joseph Halévy est alors chargé d’entrer en contact avec eux. Reprenant le flambeau en 1904, Jacques Failovitch, un élève d’Halévy, vivra assez longtemps pour voir l’arrivée en Israël, en 1955, d’un petit groupe de vingt-sept enfants falachas. L’expérience restera sans suite.
Plusieurs facteurs ont conduit le gouvernement d’Ariel Sharon à tenter d’accélérer la venue des Beta Israel. Le premier est le brutal ralentissement de l’immigration en Israël depuis le déclenchement de l’Intifada. En 2003, celle-ci a baissé de 31 % par rapport à l’année précédente. Conscient de l’impossibilité d’atteindre son objectif d’un million d’immigrés d’ici à la fin de la décennie (pour compenser la croissance de la population arabe), le Premier ministre s’efforce donc de trouver des palliatifs. Par ailleurs, les responsables israéliens comptent bien exploiter l’immigration des Beta Israel pour renforcer leurs relations avec les capitales africaines. Lors de son récent séjour à Addis-Abeba, Shalom était ainsi accompagné d’une brochette d’hommes d’affaires israéliens, certains déjà implantés dans le pays. La pression des Éthiopiens installés en Israël a également compté. Non contents de manifester en faveur du « regroupement familial » sous les fenêtres du Premier ministre et devant le siège du Likoud, ils ont assigné le gouvernement Sharon, qu’ils accusent de ne pas tenir ses promesses, devant la Cour suprême.
Et pourtant, les Beta Israel sont loin d’avoir trouvé la Terre promise. Exerçant le plus souvent la profession d’artisan, ils sont très majoritairement illettrés (75 % des hommes et 90 % des femmes) et ne maîtrisent pas l’hébreu. D’où d’insurmontables difficultés d’intégration. Noirs dans un pays de Blancs, ils sont confrontés au racisme. En 1996, plusieurs banques du sang israéliennes se sont ainsi débarrassées des échantillons prélevés sur les natifs d’Éthiopie, compte tenu du fort taux de sida prévalant en Afrique subsaharienne. Relégués pour la plupart à la périphérie des grandes villes ou dans des colonies en Cisjordanie, ils dépendent souvent de l’aide de l’État pour leur survie. Seule l’armée les accueille sans hésitation !

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