Le jeu de la patate chaude

La communauté internationale se décharge de plus en plus de ses responsabilités en Afrique sur les institutions régionales. Selon l’ONG Human Rights Watch, l’opération n’est pas sans danger.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 5 minutes.

« Bien que la plupart des reportages sur l’Afrique continuent de témoigner d’une situation affligeante, le moment présent est en réalité porteur d’espoir. » Qui a tenu ces propos ? Un afro-optimiste béat, prompt à se pâmer dès que le nombre des civils massacrés ou violentés au cours de l’année précédente a légèrement diminué ? Vous n’y êtes pas. Il s’agit de Human Rights Watch (HRW), l’organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme, dans son rapport mondial 2004(*). L’avis d’un connaisseur, en somme.
L’année 2003 s’est mieux terminée qu’elle n’avait commencé. En République démocratique du Congo, les principaux acteurs de l’interminable guerre ont fini par signer un accord de paix et se partagent désormais les responsabilités au sein d’un gouvernement de transition dirigé par Joseph Kabila. Au Burundi voisin, Domitien Ndayizeye, le président intérimaire, paraît déterminé à faire la paix avec l’ensemble des mouvements rebelles et à s’attaquer sérieusement, par le biais d’innovations institutionnelles, à la « question ethnique ». Au Liberia, après le départ forcé de Charles Taylor, le seigneur de la guerre devenu président, on n’a sans doute jamais été aussi près d’un retour à la normale, en dépit des rodomontades de quelques chefs rebelles. Quant à la Côte d’Ivoire, qui continue de susciter des inquiétudes et une circonspection justifiées, elle paraît néanmoins engagée sur la voie de l’apaisement : l’hypothèse d’une reprise des hostilités y apparaît de moins en moins vraisemblable.
Mais les analystes de Human Rights Watch sont bien placés pour savoir que la paix est encore loin d’être acquise, dans tous ces pays. Les récentes enquêtes concernant la situation au Liberia (21 janvier) et au Burundi (22 décembre) montrent avec force détails que plusieurs groupes rebelles et certains éléments des armées régulières continuent de commettre, en toute impunité, des atrocités sur les populations civiles. Plus que les accords de paix signés l’an passé, c’est donc la volonté des Africains de mettre en place des mécanismes de prévention et de résolution des conflits qui, selon le rapport de HRW, constitue le principal motif d’encouragement.
« Au moins sur le papier, se réjouissent les auteurs, l’Union africaine (UA) et les initiatives qu’elle a prises, y compris le Nouveau Partenariat pour le développement en Afrique (Nepad) et la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique (CSSDCA), offrent aux pays africains déterminés à enraciner le respect des droits de l’homme et à prévenir les conflits la possibilité de faire pression sur les gouvernements qui abusent de leur pouvoir. » Le rapport rappelle que le protocole de l’UA sur la paix et la sécurité autorise explicitement la nouvelle organisation continentale à intervenir dans un État membre en cas d’infraction très grave – crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité notamment. La mise en place, dans le courant de l’année, du Conseil de paix et de sécurité (composé de quinze membres) témoigne de ce désir des Africains de prendre leurs responsabilités. On serait tenté de dire : enfin !
Sur le terrain, c’est le Burundi qui a été le théâtre de la première opération de maintien de la paix de l’UA. La Mission africaine pour le Burundi a reçu mandat de désarmer, démobiliser et réintégrer dans la société les combattants rebelles. Et d’aider le pays à réussir sa transition démocratique en assurant notamment la sécurité des personnalités politiques. Forte de 3 500 hommes (essentiellement sud-africains, éthiopiens et mozambicains), la mission a indiscutablement contribué à l’amélioration de la situation politique. En revanche, elle n’est pas parvenue, selon HRW, à réduire les violences commises sur les populations civiles.
Dans un premier temps, l’Afrique du Sud a pris en charge les frais de l’opération, avant que les États-Unis et la Grande-Bretagne n’apportent un soutien financier au déploiement de renforts éthiopiens et mozambicains. Très sollicitée, elle n’entend toutefois pas être la seule à mettre la main à la poche pour donner corps aux louables ambitions d’une Union africaine aux moyens limités. Son gouvernement vient ainsi de décliner une demande de contribution supplémentaire à la Mission des Nations unies en RDC (Monuc).
Plus encore que l’UA, les organisations sous-régionales se montrent très actives. HRW estime que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) continue de jouer « le rôle le plus important dans la résolution des conflits en Côte d’Ivoire et au Liberia ». De fait, la Communauté a dépêché 1 300 hommes pour, aux côtés des forces françaises, empêcher la reprise des affrontements en Côte d’Ivoire. Et 3 500 soldats dans les environs de Monrovia, lors du départ en exil de Charles Taylor, en août 2003.
L’organisation humanitaire, dont le siège est à New York, est convaincue que « les interventions africaines en vue d’arrêter les conflits vont se multiplier au cours des prochaines années ». Cette « africanisation » de la gestion des crises présente cependant certaines insuffisances. Et comporte quelques dangers. Le rapport souligne que les interventions régionales ont, par exemple, tendance à ignorer la question de l’indemnisation des victimes, mais aussi celle de la démobilisation et de la restructuration des armées après l’arrêt des hostilités. Plus grave encore, il arrive que « les troupes de maintien de la paix soient recrutées au sein d’armées nationales qui commettent régulièrement des abus contre leurs propres populations ». Et que les pays impliqués aient « des intérêts dans le conflit qu’ils sont censés résoudre ». Enfin, il est malheureusement possible, sinon probable, que « les interventions régionales africaines encouragent la communauté internationale à ne plus assumer ses responsabilités ». C’est en effet en Afrique, le continent le plus pauvre, et de loin, que le maintien de la paix est le plus souvent pris en charge par des institutions régionales. « Aux Africains la résolution des problèmes africains » ? Cette doctrine est a priori séduisante. Dans les faits, il n’est pas exclu qu’elle arrange davantage les grandes puissances que les populations du continent.

* World Report 2004 : Human Rights and Armed Conflict, Human Rights Watch, janvier 2004.

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