L’argent fait-il le bonheur ?
Les personnes, hommes ou femmes, les pays, grands ou petits, doivent-ils se donner pour but principal de devenir plus riches ? Ceux qui se sont enrichis sont-ils plus heureux ?
Des humoristes que j’ai déjà cités ont répondu à leur manière : « L’argent ne fait pas le bonheur de celui qui ne l’a pas » (Boris Vian) ; « Quand j’étais jeune, je croyais que la chose la plus importante dans la vie était l’argent. Maintenant que je suis vieux, je le sais » (Oscar Wilde).
Mais ceux qui ont étudié sérieusement la question – économistes, sociologues et psychologues -, qu’ont-ils observé et que disent-ils ?
Eh bien, ils sont unanimes à conclure que : l’argent ne fait pas le bonheur, en tout cas pas toujours et pas nécessairement, même s’il y contribue grandement.
« C’est beaucoup plus complexe », ajoutent-ils, et ils ont raison : vous vous en apercevrez à la lecture du développement ci-dessous qui synthétise leurs conclusions.
1. Dans un pays donné, quel que soit son niveau de développement, si on interroge les riches, près de 40 % d’entre eux se disent « heureux » ; posée aux pauvres, la même question donne moins de 20 % « d’heureux ». Cela signifie ou, plus exactement, confirme que si l’argent ne fait pas le bonheur, il y contribue.
Mais, précisent les chercheurs, on s’habitue à la richesse, au confort et au « bonheur » qu’elle procure. Ce qui était luxe devient assez vite commun et nécessaire : ainsi le chauffage central, l’eau courante et l’électricité sont-ils devenus, au cours du XXe siècle, dans la plupart des pays, des facteurs de bonheur matériel et psychologique : ils se sont mués peu à peu en nécessité, sans laquelle on cesse d’être heureux.
2. Le bonheur est… relatif : chacun de nous compare sa condition à celle du voisin, de « l’autre », et se sent plus « heureux » s’il s’estime mieux loti que lui…
De multiples expériences conduites dans le monde entier ont établi qu’un individu, quels que soient sa nationalité, sa religion et son âge, est mû par les « normes psychologiques » suivantes : il acceptera de recevoir moins si ce « moins » est tout de même mieux que ce qui est donné au voisin ; à l’inverse, il refusera un « plus » si ce qu’on lui propose est inférieur à ce qui est consenti à l’autre.
Exemple n° 1 : si vous donnez à des gens le choix entre un revenu disons de 50 000 euros et un autre de 75 000 euros, la grande majorité d’entre eux choisira le premier, bien qu’inférieur au second, dans les deux cas complémentaires suivants :
– s’il est sensiblement plus élevé que celui octroyé aux voisins de même catégorie ;
– et si le montant le plus élevé des deux, les 75 000 euros, est, lui, inférieur au revenu dont bénéficient les personnes auxquelles ils ont l’habitude de se comparer.
Exemple n° 2 : une augmentation de salaire substantielle proposée par une entreprise à l’un de ses collaborateurs, et qui le satisfait, apparaît à ce collaborateur tout d’un coup inacceptable s’il apprend que l’entreprise a octroyé une augmentation plus importante à un collègue de même catégorie.
La réalité est ainsi toujours corrigée par la comparaison avec « l’autre » : nous sommes ainsi faits que chacun de nous se compare à « l’autre » et n’est pas heureux s’il s’estime moins bien traité.
Nous acceptons en général de travailler plus et mieux même si nous n’en sommes pas assez récompensés matériellement ou psychologiquement, à condition d’être – si possible – mieux traités que l’autre, ou à tout le moins aussi bien.
3. Dans les sociétés développées, le niveau des impôts est devenu un facteur du travail : on explique que les citoyens des États-Unis travaillent plus d’heures par an que les Européens parce que le total de l’impôt, des charges sociales et taxes pesant sur les individus et les entreprises est, aux États-Unis, de l’ordre de 30 % des revenus, alors qu’en Europe ce total est en général supérieur à 50 %.
À cause de ce niveau de taxation – mais est-ce la seule, ou même la principale raison ? -, les Européens prennent plus de vacances que les Américains et les Japonais.
Cela pour les individus. Quid des pays ?
1. Selon les économistes les plus sérieux, grâce à la mondialisation et, en particulier, au fait que les deux États les plus peuplés de la planète, la Chine et l’Inde, ont « décollé » économiquement, les pays pauvres ont commencé à rattraper progressivement leur retard sur les riches.
Les chiffres relatifs à la période 1980-2000 montrent que, au cours de ces deux décennies, les riches ont, certes, continué à s’enrichir. Mais, à l’exception malheureuse de la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, la quasi-totalité des pays pauvres a enregistré une croissance plus rapide et des progrès plus nets que les pays du monde développé.
Normal, puisque les pauvres partaient de plus bas et qu’ils avaient, et ont toujours, plus de chemin à parcourir.
2. Ces mêmes économistes ont démontré de manière convaincante que le rattrapage aurait été plus rapide :
– si les pays riches – au premier rang desquels les États-Unis et l’Europe – ne l’avaient contrecarré par une aide insuffisante, inadéquate et mal ciblée, par des barrières douanières injustifiées et, surtout, par des subventions scandaleusement égoïstes à certaines de leurs productions, notamment agricoles ;
– si les gouvernements des pays pauvres et en voie de développement n’avaient eux-mêmes rendu presque impossibles les échanges commerciaux entre eux par des barrières douanières.
En outre, comme pour aggraver leur cas, ces gouvernements n’ont pas su doter leurs pays du cadre juridique (et des institutions) qui donne la stabilité et la sécurité indispensables aux investissements (intérieurs et extérieurs).
Et ils ont consacré trop d’argent à des projets non viables ou aux dépenses militaires.
Au détriment de l’éducation et de la santé.
« L’argent n’a pas d’odeur. Mais la pauvreté en a », a dit quelqu’un sous forme d’aphorisme.
La première assertion n’est pas exacte, car, on le sait désormais, l’argent a une odeur : celle d’où il vient, de son cheminement, de la manière dont il a été acquis, de celui ou celle qui abuse du pouvoir qu’il donne.
Quant à la pauvreté, elle a l’odeur de la misère qu’elle engendre, de la mauvaise santé, de l’analphabétisme dans lesquels elle emprisonne ses proies.
Conclusion : l’argent ne fait certes pas le bonheur, mais sans argent, le bonheur et, en tout cas, le progrès, l’épanouissement d’un individu, le développement d’un pays ou d’une entreprise sont impossibles. En outre, sans argent ou avec trop peu d’argent, il est difficile à un individu ou à un pays de préserver sa dignité.
En un mot comme en mille, pour se réaliser, une personne, un pays ou une entreprise n’ont pas besoin d’être riches, mais il leur faut cesser d’être pauvres.
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