Jusqu’où ira le « club des onze » ?

Une dizaine de personnalités, dont quatre candidats à la présidentielle d’avril, ont choisi de créer un front antifraude. Ce qui rassemble ces alliés de circonstance, en vérité, c’est le rejet, plus ou moins marqué, de Bouteflika.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 4 minutes.

L’élection présidentielle d’avril prochain s’annonce chaude. Très chaude. Une quarantaine de dossiers de candidature déjà retirés, un président qui n’a pas annoncé qu’il se représentait mais dont tout le monde pense qu’il le fera, une armée influente qui a déclaré par le biais de son chef d’état-major qu’elle resterait neutre, mais à qui la classe politique a demandé de ne pas l’être (après avoir exigé qu’elle ne s’immisce plus dans ses affaires…). À quoi s’ajoutent un Front de libération nationale (FLN) largement majoritaire dans le pays mais coupé en deux et dont les avoirs financiers et les activités ont été gelés par une décision de justice, un gouvernement accusé de vouloir organiser une fraude massive pour assurer la réélection d’Abdelaziz Bouteflika… Sans oublier une presse en mal de sensationnel qui, chaque jour, fait monter la pression et a pris fait et cause pour Ali Benflis, candidat déclaré et principal opposant du chef de l’État. Et au milieu de ce « capharnaüm », l’expression est du Premier ministre Ahmed Ouyahia lui-même (voir son interview dans J.A.I. n° 2246), une population qui ne sait plus trop quoi penser de cette élection, qui doute et attend que l’actuelle précampagne transcende les querelles de personnes pour lui présenter du concret : un programme, des idées et des débats.
Dernier événement en date sur la scène politique : la création d’un front antifraude, que certains décrivent plutôt comme une coalition anti-Boutef. Une dizaine de personnalités politiques d’horizons divers ont choisi de faire de la transparence du prochain scrutin leur cheval de bataille. Ali Yahia Abdenour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, Rachid Benyellès, général à la retraite, Chérif Belkacem, figure historique du FLN et ex-membre du Conseil de la Révolution, Saïd Sadi, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Ahmed Taleb Ibrahimi, président du parti islamiste Wafa (non agréé), Abdelkrim Dahmane, représentant de Bouguerra Soltani, le leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste, membre de la coalition gouvernementale) et, last but not least, cinq anciens chefs de gouvernement : Mouloud Hamrouche (1989-1991), Redha Malek (1993-1994), Mokdad Sifi (1994-1995), Ahmed Benbitour (1999-2000) et Ali Benflis (2000-2003). Seuls quatre d’entre eux sont candidats à la présidentielle : Benbitour, Benflis, Sadi et Benyellès. Les autres attendent. Ce « club des onze », pour reprendre l’expression qui fait florès à Alger, est plus exactement un club des « 10 + 1 », la position du MSP restant floue (voir encadré). Ils exigent le départ du gouvernement Ouyahia – suspecté de vouloir « organiser » la réélection de Bouteflika -, la neutralité des institutions, de l’administration et des médias publics. Leur dernière sortie vise le ministre de l’Intérieur Noureddine Yazid Zerhouni, proche du président. « Nous avons décidé de porter plainte, car le ministre s’arroge les prérogatives du Conseil constitutionnel », explique Mokdad Sifi. Une note émise par le ministère (du 10 janvier 2004) à l’intention de l’administration entreprend de régir les conditions d’obtention des signatures – 75 000 au minimum – collectées au profit des candidats.
Cette circulaire exige de tout citoyen désireux d’apporter sa caution à un candidat la constitution d’un dossier contenant, entre autres, la production d’une quittance de loyer ou d’électricité. Saïd Sadi rue dans les brancards : « Les règles doivent être les mêmes qu’en 1999 [le dernier scrutin présidentiel, NDLR]. Le décret du 30 décembre 1998 définit les formalités de cette opération et n’autorise pas l’introduction d’autres normes. Changer les règles du jeu en cours de compétition n’est pas un gage de crédibilité. Rien ne peut justifier une telle décision. Une famille rurale sans eau ni électricité, les jeunes n’ayant pas de logement à leur nom ou les sinistrés du séisme de mai 2003 sont dépossédés de leurs droits civiques. Si on suit cette note, ils ne peuvent faire valoir un droit élémentaire de la citoyenneté », explique-t-il. Le bras de fer est entamé, chacun campe sur ses positions.
« Tout ce que nous souhaitons, c’est un scrutin libre et transparent, déclare Ali Benflis. Notre groupe veut simplement que chacun puisse se présenter, défendre ses idées et bénéficier des mêmes conditions que les autres. Les Algériens n’accepteront plus d’élections truquées. La comédie des législatives de 1997 et de la présidentielle de 1999 [qui avait vu le retrait in extremis des six candidats confrontés à Bouteflika] ne peut se prolonger. »
À El-Mouradia, le palais présidentiel, le discours est le même. « Qu’ils se présentent tous normalement. On verra bien s’ils pèsent aussi lourd électoralement qu’ils l’affirment », confie un haut fonctionnaire proche du chef de l’État. Parmi les « onze », seuls Ahmed Taleb Ibrahimi et Ali Benflis peuvent, a priori, espérer un score honorable. Les autres n’ont pas de base électorale ou pas de parti pour les soutenir et sont assez peu représentatifs de l’électorat algérien. Mouloud Hamrouche pourrait être un candidat de poids, eu égard à ses états de service et à la compétence que tout le monde lui reconnaît. Mais il a tourné le dos au FLN, ce qui représente un handicap certain. Alliés de circonstance, ces personnalités s’entendront-elles jusqu’au bout ? Présenteront-elles un candidat unique ? C’est assez peu probable, car un seul point commun les rassemble : le rejet, plus ou moins marqué, de Bouteflika.
Au-delà de ces joutes politiciennes, le risque de dérapage est réel. Que se passerait-il si les acteurs de la compétion estimaient, à tort ou à raison, que le scrutin a été truqué ? L’organisation par les « onze » d’un meeting populaire à Alger, le 9 février prochain, constituera un test. Les querelles au sein des salons feutrés d’Alger sont une chose. Il ne faudrait pas qu’elles basculent dans la rue.

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