Joseph Kabila

Fort de l’amélioration de la situation dans son pays, le président de la Républiquedémocratique du Congo entame une tournée européenne en ce début de février.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 9 minutes.

Il fut, lors de son apparition le 26 janvier 2001, le plus jeune chef d’État au monde, propulsé tel un météorite à la tête du plus grand marigot d’Afrique. Trois ans plus tard, Joseph Kabila n’a plus grand-chose à voir avec cet ovni politique écrasé par l’ombre de son père assassiné. Président incontesté aux yeux de la communauté internationale et des grands « parrains » de la République démocratique du Congo (RDC), donné comme probable vainqueur de la future élection présidentielle – pour autant qu’elle puisse se dérouler -, cet homme de 33 ans est en passe de réussir ce que nul n’aurait cru possible : une sortie de crise par étapes pour la RDC avec, au bout du chemin, la perspective encore hasardeuse des premières consultations libres dans l’histoire du pays depuis 1960. Lorsque, à l’issue d’un conclave fiévreux des généraux et barons du régime encore tétanisés par la mort du Mzee Laurent-Désiré Kabila, bouddha noir omniprésent et tonitruant qu’une sorte de mimétisme compulsif de Mobutu avait fini par égarer, sortit du chapeau le nom du jeune Joseph, nul n’aurait osé parier que ce quasi-inconnu allait parvenir peu à peu à desserrer l’étau qui étranglait la RDC.
Général major et commandant en chef de l’armée de terre de par l’unique volonté de son père, discret au point de paraître impersonnel, sans autre charisme physique qu’un look de garde du corps en costume croisé, le nouveau président n’a ni base, ni fief, ni moyens, ni compagnons d’armes. De cet état d’apesanteur, faiblesse rédhibitoire aux yeux des observateurs, il fera pourtant un atout décisif. En lévitation au-dessus du microcosme venimeux de Kinshasa, Joseph Kabila ne se connaît ni amis ni états d’âme.

Les premiers à s’en rendre compte sont les « tontons » qui pensaient l’avoir fait roi et croyaient pouvoir le manipuler. Ces vieux briscards, mi-opportunistes mi-aventuriers, qui formaient la garde rapprochée du Mzee, apprennent vite à leurs dépens que le fils n’est pas le père. L’un après l’autre, Gaëtan Kakudji, Victor Mpoyo, Didier Kazadi, Dominique Sakombi, Mwenze Kongolo, Denis Kalume sont évincés, sèchement refoulés aux portes du Palais de marbre et de la cité de l’OUA. Seul Abdoulaye Yerodia Ndombasi parvient à sauver sa tête en animant la mouvance politique qui, à défaut de parti constitué, se met en place pour soutenir Joseph Kabila. Aujourd’hui récompensé par un poste de vice-président, cet ancien psychanalyste amateur de cigares et de phrases obscures a néanmoins payé d’une longue disgrâce le fait d’avoir, en public, apostrophé le jeune chef d’un « président-fiston ! » sonore : Joseph Kabila abhorre la familiarité… Même si, à la différence de son père, il préfère contourner les obstacles plutôt que de les aborder de front, le président congolais
sait parfois trancher.
Dès les premiers jours qui suivent sa prestation de serment, ceux qui entrent dans son bureau, aussi sobre et impersonnel qu’une suite d’un grand hôtel, ne le font pas sans une certaine appréhension. Murmurés en anglais ou en swahili, les ordres sont brefs et coupants. Ni crises ni coups de sang, un minimum de chaleur humaine, pas d’alcool, aucune frasque connue : la différence entre Joseph et Laurent-Désiré est autant psychologique que physique. Mieux au fait des rapports de forces mondiaux, Kabila junior a immédiatement adopté un profil inverse de celui de son père vis-à-vis des Occidentaux. Entre janvier et avril 2001, il effectue sept voyages à l’étranger, rencontre une quinzaine de chefs d’État, renoue avec Paris, Washington et Bruxelles, et se fait l’humble porte-parole d’un pays pillé, à demi occupé, en proie à une catastrophe humanitaire sans précédent. Une recherche tous azimuts de protection doublée d’une volonté de se placer entre les mains des bailleurs de fonds qui plaît et qui fonctionne. Séduit dès leur première rencontre, le président français Jacques Chirac a cette phrase : « Cessez de dire que le jeune Kabila est timide. Il vaut cent fois mieux que son père. Il sait ce qu’il veut et il ira loin. » Accompagnée par une libéralisation perceptible de la vie politique intérieure – les partis politiques et les médias retrouvent rapidement une marge de manoeuvre appréciable -, cette stratégie porte ses fruits. Depuis juin 2003, la RDC a rejoint les rangs des pays pauvres bénéficiaires d’allègements de dette et de crédits exceptionnels. Sud-Africains et Belges, les investisseurs commencent timidement à fréquenter à nouveau les hôtels de Kinshasa. Surtout, Joseph Kabila a eu l’intelligence de surfer sur une donnée géopolitique fondamentale depuis le 11 septembre 2001 : perçues comme autant de havres possibles pour les réseaux terroristes, les zones de non-droit, à l’instar d’une grande partie de la RDC, doivent impérativement être pacifiées et sécurisées. Une normalisation dont il a su apparaître comme l’outil indispensable.

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L’appui de la communauté internationale a été décisif pour obliger les belligérants extérieurs à se retirer de la RDC et crucial pour forcer, en décembre 2002, après dix mois d’intenses négociations, les accords de Pretoria sur la transition politique. Là encore, comme en janvier 2001, on ne donne pas cher de la peau de Joseph Kabila. Avec ses quatre vice-présidents, ses soixante ministres et vice-ministres et son Assemblée provisoire de six cents membres, la formule de transition paraît ingérable. En fait, le fils du Mzee a sauvé l’essentiel : il reste en fonctions sans que le principe de collégialité ait été retenu et il conserve son équipe de conseillers de qualité. Reconnu par toutes les parties, il a su attirer à Kinshasa ses principaux rivaux, lesquels savent, à l’instar d’un Jean-Pierre Bemba au passé chargé, que tout retour en arrière est impossible et que seul leur statut de vice-président les protège des foudres de la justice internationale. Enfin, le budget dont dispose la présidence reste appréciable : 18 millions de dollars pour les six derniers mois de 2003, de quoi laisser perplexe dans un pays où, s’il veut se faire soigner dans un hôpital, un malade doit tout apporter avec lui : draps, nourriture, médicaments, seringues, pansements et pourboire du chirurgien…

Bemba muselé, Étienne Tshisekedi – qui continue de se considérer comme l’incarnation exclusive de l’alternance démocratique – mis hors jeu de par sa propre intransigeance, Azarias Ruberwa, l’homme de l’Est, contraint depuis qu’il est vice- président de prendre quelque distance avec ses amis rwandais, Joseph Kabila est donc beaucoup moins affaibli qu’il n’y paraît. Habilement, il s’appuie sur une nouvelle génération de quadras diplômés revenus de l’étranger, sans aucun lien avec le mobutisme ou le kabilisme première manière, à l’image du ministre de l’Information Vital Kamerhe, un originaire du Kivu qui fut son principal négociateur aux accords de Pretoria, ou de la plupart de ses conseillers. À l’image aussi d’un homme courtois et compétent, formé dans une grande école de commerce belge et qui pourrait bientôt le rejoindre tant il semble s’éloigner de son ex-mentor Jean-Pierre Bemba : le président de l’Assemblée nationale Olivier Kamitatu.
Profitant de ce contexte favorable qui fait de lui un homme populaire, y compris à Kinshasa (réalisé en juillet 2003, un sondage de l’Institut Facilitas Consulting lui donne 66 % d’opinions favorables), le président congolais ne cesse de répéter que des élections générales auront lieu le plus rapidement possible, soit en juin 2005. Même s’il ne le dit pas, chacun subodore en effet qu’il y sera candidat. Reste que ni la loi électorale ni la loi sur la nationalité n’ont encore été élaborées par l’Assemblée, et que même si l’on se contente d’un recensement approximatif avec l’appui de l’ONU, la tenue d’une telle consultation dans un pays de 55 millions d’habitants où certaines régions n’ont plus reçu de visite gouvernementale depuis plus de vingt ans paraît une véritable gageure. Certes, il faudra bien sortir un jour de l’attelage encombrant, coûteux et risqué de la transition et des leaders autoproclamés en millions d’habitants où certaines régions n’ont plus reçu de visite gouvernementale depuis plus de vingt ans paraît une véritable gageure. Certes, il faudra bien sortir un jour de l’attelage encombrant, coûteux et risqué de la transition et des leaders autoproclamés en donnant la parole au peuple. Mais est-ce bien le plus urgent ?

Joseph Kabila pense que oui, et il se fait fort de mener cette tâche de front tout en s’attaquant aux utres priorités. Construire tout d’abord une armée nationale et républicaine dans un pays qui n’en a jamais eu, à partir des vestiges des anciennes forces zaïroises, des rebelles de Bemba et du RCD Goma, des combattants Maï Maï et des enfants-soldats, les fameux kadogos. Déjà, à Kisangani, une première brigade intégrée de 3 000 hommes, la « brigade Ituri », est en voie de formation sous encadrement belge. Établir également des relations de confiance avec les voisins de l’Est, l’Ouganda et tout particulièrement le Rwanda. À Kigali, on ne comprend pas pourquoi Joseph Kabila a boycotté les cérémonies d’investiture du président Kagamé en août 2003, ni pourquoi son ministre des Affaires étrangères n’a toujours pas répondu à la visite faite à Kinshasa par son homologue rwandais. Sûr de lui et de ses soutiens occidentaux, Kabila, qui rêve de réduire ses voisins à leur exacte dimension géographique et géopolitique (appuyé en cela par la France), serait-il tenté de faire monter les enchères ? Ce dossier-là, en tout cas, reste encore très chaud, même si la paix signée entre les ex-belligérants n’est pas remise en cause. Joseph Kabila lui-même ne s’est d’ailleurs toujours pas rendu dans les provinces de l’Est, les deux Kivus et le Maniema d’où est originaire sa mère.

Il est vrai que ce type de déplacement dans un pays préalablement réunifié nécessite que soit réglé un point essentiel : celui de la propre sécurité du chef de l’État. Or les conséquences de ce qui est sans doute la seule zone d’ombre des trois années au pouvoir de Joseph Kabila demeurent très présentes. Le procès, en janvier 2003, devant la cour d’ordre militaire, des assassins de Laurent-Désiré Kabila a été expéditif et lapidaire. Trente condamnations à mort, vingt-neuf à perpétuité, une thèse officielle peu crédible selon laquelle le complot longuement ourdi aurait eu pour unique cerveau et commanditaire un colonel, Eddy Kapend, dévoré par l’ambition, et beaucoup d’accusés en fuite jugés par contumace… dont certains seraient déjà en train de se réorganiser dans l’Est sous l’appellation des « compagnons de Masasu ». De quoi nourrir bien des rêves de revanche et bien des paranoïas, tout comme ces rumeurs récurrentes de coup d’État en préparation depuis Bruxelles ou Brazzaville, avec mercenaires et missiles Stinger à l’appui. D’où les mesures de sécurité très strictes qui entourent le jeune président et les lieux où il réside et travaille. Un premier cordon où l’on parle le lingala (policiers et militaires congolais), un second où l’on ne comprend que le swahili (kadogos), un troisième où les ordres sont en anglais (soldats zimbabwéens), des gardes du corps en civil formés en Israël et un hélicoptère à portée de main, portes ouvertes, prêt à évacuer le chef. Tout cela coupe, évidemment, des réalités quotidiennes. Joseph Kabila le sait, le regrette, cultive la nostalgie des bars et des dancings où on le voyait parfois, mais affirme compenser cette lacune par une multiplicité de réseaux informels et familiaux. Père d’une fillette de 4 ans dont la mère, qu’il n’a pas encore trouvé le temps d’épouser officiellement, vit à ses côtés, Joseph Kabila protège sa vie privée avec soin. À la différence de son père ou de Mobutu, on ne lui connaît ni penchant ostentatoire pour les femmes, ni fêtes tapageuses où le champagne coule à flots – si le luxe ne lui est certes pas indifférent, il le préfère discret. Rien d’ailleurs n’horripile plus cet amateur de vieille rumba zaïroise que les éternelles remarques sur son jeune âge. « Je ne suis ni trop jeune ni trop vieux, j’ai le bon âge, dit-il, avant d’ajouter : quand on a eu la vie qui fut la mienne, on vieillit vite ; en fait, je n’ai pas eu d’enfance. » Comme la plupart de ses concitoyens…

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