Mali : Diadié Dembélé, pour l’amour des langues
Avec « Le Duel des grands-mères », le jeune auteur malien livre un premier roman bourré d’humour, riche et musical.
Saziké ! L’interjection, récurrente dans Le Duel des grands-mères, est peut-être le mot qui exprime le mieux l’enthousiasme suscité par la lecture du premier roman de Diadié Dembélé. L’inventivité de la langue, sa musicalité, sa richesse, son humour placent d’emblée le jeune écrivain malien né à Kodié parmi les auteurs à suivre. Ce cocktail décapant donne un souffle ravageur à la narration.
Renvoyé au village
Hamet, garçon de Bamako, n’en finit pas de chercher sa place. À la maison, il est l’objet d’une lutte entre son père, qui le pousse à aller à l’école, et sa mère, qui déchire ses carnets. En classe, il s’exprime dans un registre trop soutenu. Ou, comme il l’affirme : « J’aime bien montrer que je sais, que j’ai bien-bien appris le français, le très gros français des grands professeurs agrégés en littérature des grandes et hautes écoles qui se restaurent au lieu de manger, et que-dis-je-que-dis-je au lieu de se tromper. » La seule école où le jeune insoumis se sent à sa place est buissonnière. Mais il se fait alpaguer dans les chemins de traverse qu’il emprunte de plus en plus souvent et, après une bagarre de trop, son père décide qu’il doit être renvoyé au village.
Cette punition a aussi flotté au-dessus de la tête de Diadié Dembélé, enfant : « Il y avait toujours la menace de m’envoyer soit dans un pensionnat, soit au village, soit, ce que l’on imaginait pire, dans une école militaire. C’étaient des endroits où on pourrait me redresser pour des raisons diverses. J’ai imaginé que l’une d’elles avait été mise à exécution : si mes parents m’avaient envoyé au village parce que je commençais à dévier du droit chemin. »
Toi, tu ne vis pas, tu es dans une ville où il n’y a rien. Au village il y a ceci et cela
Le premier verdict d’Hamet est sans appel : « Ces jours m’effraient. Ce vent m’agresse. Les cris des animaux m’agacent. Ce village me répugne. » Le Taboussi, enfant de la ville, doit intégrer les codes de ce microcosme. Pour épouser le regard de son protagoniste, Diadié Dembélé s’est reposé sur sa propre expérience : « En 2008, à 11 ans, j’ai voyagé dans mon village dans des circonstances douloureuses : ma grand-mère maternelle était malade. On me parlait tellement de ce village magnifique. À chaque fois qu’un cousin venait, il me narguait : “Toi, tu ne vis pas, tu es dans une ville où il n’y a rien. Au village, il y a ceci et cela.” J’étais fasciné. Quand ma grand-mère est tombée malade, j’ai sauté sur l’occasion pour accompagner ma mère. J’ai un peu vécu comme Hamet, assez naïvement, en pensant que j’étais indispensable pour les travaux champêtres alors que je ne faisais absolument rien de difficile. »
Observateur désopilant
Choyé par sa grand-mère, Hamet est en effet exempté des tâches les plus pénibles. Le garçon est un observateur désopilant des traditions et des querelles de clochers. Son voyage au bout de l’ennui se transforme peu à peu en quête des origines. L’entêté qui faisait semblant de renverser la pâte de mil et la sauce gombo pour ne pas manger ce « gloubi-boulga », selon son expression, finit par s’en délecter. Renouant avec la coutume, il se mêle avec fierté aux pêcheurs : « J’aime beaucoup la ruralité. La génération de mes grands-parents ne vivait que de la terre. Leur argent ne servait qu’à payer les impôts de l’État central, le reste était planqué sous la natte. Toutes les richesses se résumaient à la récolte. Une bonne saison et ils étaient riches, une mauvaise et il fallait faire attention. Cette fascination pour la ruralité a nourri mon histoire. »
Parmi les codes du village, l’interdiction de parler le bambara. Il ne faut s’exprimer qu’en soninké. À l’école, ces deux langues sont bannies au profit du français. La langue est au cœur de la quête d’Hamet, lui qui affirme : « Je veux retrouver ma langue. » Elle est aussi centrale dans le projet littéraire de Diadié Dembélé : « J’ai pris le parti de restituer le langage de mes personnages non francophones en français, c’est quelque chose qui s’est rapproché de la malinkisation d’Ahmadou Kourouma. Mon idée n’est pas d’écrire en français, mais de penser en soninké ou en bambara puis de restituer le sens. Je parlerai à mon tour de soninkisation ou de bambarisation. »
Ce choix s’est construit progressivement : « Au départ, j’avais un style balzacien avec beaucoup de descriptions, de détails. » Puis il y a eu un déclic : « C’était au moment où je travaillais en tant qu’interprète auprès de personnes migrantes. Dans mes rêves, ma mère parlait parfois français, elle qui ne connaît pas cette langue. Le style est né de mes propres contradictions. Je suis incapable de penser le personnage de la mère d’Hamet qui parle directement en français, cela aurait été très artificiel. »
On soupçonne toujours les gens qui parlent plusieurs langues de préférer l’une à l’autre
Mélanger les langues dans l’écriture et les fusionner dans le style est un pari réussi avec brio. Ce que le texte parvient à accomplir n’est pas toujours évident dans la vie : « On soupçonne toujours les gens qui parlent plusieurs langues de préférer l’une à l’autre ou, finalement, d’oublier la langue parentale. » La vraie barrière est dans l’utilisation du français : « Cela reste la langue de l’élite, la langue qu’on est obligé de parler à l’école, qu’on parle à la télé, même si ça change, car il y a des chaînes privées qui utilisent des langues locales. Cela crée une frontière entre les bourgeois et les classes populaires. »
À l’origine, les amours adolescentes
La langue a aussi eu un rôle déterminant dans le parcours littéraire de Diadié Dembélé : « Après mon arrivée en France, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de choses que je n’avais pas résolues avec le français, que j’avais appris au Mali. Je parlais une langue soutenue avec tout le monde, comme Hamet. Des gens me demandaient : “Pourquoi tu parles comme ça ?” Je répondais : “C’est comme ça qu’il faut parler.” Chaque fois qu’on me reprenait, j’étais dans le déni. » Jusqu’à ce qu’il prenne une décision : « Lorsque j’étais en master de création littéraire à Paris 8, où je m’étais inscrit pour me lancer dans un projet de roman, on m’a fait les mêmes remarques. J’ai arrêté de faire l’autruche pour affronter cette question. C’est comme ça qu’est né Le Duel des grands-mères. »
L’écriture n’est pas venue spontanément à l’auteur malien : « J’ai eu un rapport très religieux aux textes, l’un des premiers que j’ai lus, c’est le Coran. On nous apprend que les textes religieux sont les premiers et les derniers. Pour moi, le Texte était déjà écrit, on ne pouvait pas en commettre d’autres. » Puis, il y a eu la découverte d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas, de Seydou Badian Kouyaté… Une inspiration, mais aussi un frein : « Je me disais qu’après eux, on ne pouvait pas produire d’autres livres. J’ai compris vers mes 15 ans qu’on pouvait encore devenir écrivain. »
Auparavant, le jeune homme avait commencé par composer des poèmes pour une raison bien précise : « Les amours adolescentes font qu’on a besoin de prouver à sa dulcinée qu’on est un poète qui dit de beaux mots. Comme je n’avais pas d’argent pour aller au cybercafé et copier des citations, j’ai dû écrire quelque chose qui venait du cœur. C’est à ce moment-là que je me suis attelé à autre chose qu’à mes devoirs scolaires. » Diadié Dembélé, aussi connu sous le nom de Tembarema, a ainsi publié en 2019 un premier recueil de poèmes, Les Tresses royales.
Si Diadié Dembélé s’avoue pessimiste à l’égard de la situation du monde, entre la guerre dans son pays, le Mali, celle qui sévit en Ukraine et l’élection présidentielle en France, on promet à l’écrivain un avenir aussi royal que les tresses qui ont donné le titre à son recueil. On a beaucoup insisté sur le style, éblouissant, il est au service d’une quête des origines qui lui donne tout son sens et le sublime. Samprain !
Le Duel des grands-mères, de Diadié Dembélé, éditions Jean-Claude Lattès, 217 pages, 19 euros.
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