Helmut Newton

Publié le 2 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Les féministes n’aiment pas qu’un homme puisse se permettre de soutenir que, souvent, les femmes détiennent le pouvoir. C’est pourquoi elles n’aimaient pas les bourgeoises nues d’Helmut Newton, figées dans des positions dominatrices, photographiées dans un hôtel de luxe, au bord d’une piscine, dans un avion ou une décapotable. C’est pourquoi elles qualifiaient le photographe de pervers, de misogyne, voire de pornographe. Helmut Newton ne rira plus de ces critiques : il est mort à 83 ans, le vendredi 23 janvier, dans un accident de Cadillac. Pas n’importe où : à la sortie d’un hôtel de Sunset Boulevard, le Château Marmont, à Hollywood, un lieu fréquenté par les stars qu’il aimait rencontrer et photographier.

Dernier clic d’une aventure sur pellicule qui commence en 1932, quand, à l’âge de 12 ans, le jeune juif berlinois Helmut Neustadter s’achète son premier appareil photo, un Agfa Tengor Box, qui vaut alors un peu plus de 3 marks. Une aventure qui se poursuit par un stage dans le studio de la photographe allemande Yva (Else Simon), qui meurt en déportation à Auschwitz tandis que lui est déjà exilé, loin des persécutions nazies. D’abord à Singapour, où il travaille pendant deux semaines pour le Singapore Straits Times dont il sera renvoyé pour incompétence, puis en Australie (1940) où il devient Helmut Newton, ouvre un petit studio de mode et épouse, en 1947, l’actrice June Brunnel, qui n’est autre que la photographe Alice Springs.
Mais la mode, c’est Paris. Au début des années 1960, Newton collabore au Jardin des Modes, puis au magazine Vogue, version française, rivalisant d’audace et de provocation avec le photographe français Guy Bourdin. Ses clichés en noir et blanc traduisent l’influence du travail des paparazzi, de Weegee (photographe de faits divers, à New York, dans les années 1930) ou encore de Brassaï. Les mannequins ne sont pas prisonniers des studios, mais libérés dans la rue. Pas n’importe où, tout de même : les décors sont cossus, voire chic, et les destinations favorites d’un Newton vêtu de blanc, lunettes teintées, parlent d’elles-mêmes, Paris, Monte-Carlo, Los Angeles, New York, Rome… Comme il l’écrivait pour le quotidien français Le Monde : « Je m’étais assigné pour mission de célébrer la femme de 30-32 ans. Celle du 16e arrondissement qui a trop d’argent, trop de temps disponible et cherche l’aventure. » Sculpturaux, ses modèles sont fréquemment mis en scène de manière insolite : femme nue drapée dans un manteau de fourrure (Mercedes chez elle), allongée dans le gazon et gantée de cuir jusqu’au coude (Nightcrawler), accoudée à un four (Playmate avec poulet). Scabreux, incongru, bizarre, celui que certain(e)s surnommaient le « pornocrate » l’était à dessein, réaffirmant à maintes reprises qu’il « y a deux obscénités en photographie : l’art et le bon goût ». « Grand méchant loup de la photo », titrait Libération en 1996 ; « Visionnaire cru de son époque », lui répond aujourd’hui Le Monde. À preuve, cette célèbre double page de Vogue, en 1981, intitulée « Elles arrivent ! », où cinq mannequins aux jambes interminables marchent vers l’objectif en tenue « mode » à droite, et dans la même position, mais nues sur leurs haut-talons, à gauche. Des femmes conquérantes quoique dévêtues, cela pouvait ne pas plaire. Les années 1980 et 1990 ont prouvé qu’il avait raison. Et le porno-chic a envahi les pages des magazines.

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Helmut Newton était, dit-on, l’un des photographes les plus chers au monde, à 5 000 euros la journée. Cela ne l’a pas empêché de s’engager en cédant ses droits pour l’album annuel que publie Reporters sans frontières (RSF) en 2003. Ou en photographiant Jean-Marie le Pen posant avec ses chiens, comme un certain Adolf Hitler. Fidèle à son pays et dépourvu de rancune, il a cédé son oeuvre à la ville de Berlin. Ceux qui ne peuvent s’offrir Sumo, le livre de 30 kilogrammes que Benedikt Taschen lui a consacré, pourront apprendre à le connaître avec l’album de RSF, ou en lisant son autobiographie, parue chez Random House et à paraître en France chez Robert Laffont. En attendant, comme le dit la publicité pleine page que lui consacre l’entreprise Fujifilm, « Monsieur Newton, pardonnez-nous d’avoir les yeux rouges ».

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