Des intérêts bien compris

Tunis n’est pas une priorité pour l’administration Bush. Mais celle-ci apprécie sa coopération dans la lutte antiterroriste. Et le fait savoir.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Le président Zine el-Abidine Ben Ali se rendra le 17 février aux États-Unis à l’invitation de George W. Bush. Cette visite a été précédée de celle, à Tunis, le 2 décembre, de Colin Powell – la première d’un secrétaire d’État en Tunisie depuis le passage de Warren Christopher, en décembre 1993 – et de celle, à Washington, le 6 janvier, de Habib Ben Yahia, chef de la diplomatie tunisienne. Ben Ali « a fait beaucoup pour définir un environnement permettant aux Libyens de comprendre qu’il était temps de changer de politique », a déclaré Powell à l’issue d’un entretien, au département d’État, avec son homologue tunisien, qui a également été reçu par Condoleezza Rice, conseillère du président Bush pour la sécurité nationale, et Richard Armitage, secrétaire d’État adjoint. Cette reconnaissance américaine du rôle de Tunis dans la décision de Tripoli de démanteler son programme d’armement non conventionnel a suscité des commentaires empreints d’autosatisfaction dans la presse tunisienne.
En visite à Tunis, du 20 au 23 janvier, dans le cadre d’une tournée dans la région, le secrétaire d’État adjoint américain chargé des Droits de l’homme, de la Démocratie et du Travail, Lorne W. Craner, s’est entretenu à son tour avec le ministre tunisien des Affaires étrangères, ainsi qu’avec son collègue de la Justice et des Droits de l’homme, Béchir Tekkari. Sujets évoqués : l’initiative du partenariat politique et économique entre les États-Unis et le Moyen-Orient et le plan du président Bush pour la démocratisation du monde arabe.
Le responsable américain a également rencontré des représentants des partis de l’opposition, des organisations de défense des droits de l’homme et des journalistes indépendants. En réponse au scepticisme de ses interlocuteurs, qui ont critiqué tout à la fois l’occupation de l’Irak, le soutien à la politique du Premier ministre israélien Ariel Sharon et les mesures liberticides prises par l’administration américaine au lendemain du 11 septembre 2001, le secrétaire d’État adjoint a réaffirmé la volonté de Washington d’aider à l’instauration de la démocratie dans le monde arabe, « mais sans chercher à exporter son modèle vers d’autres pays ». Réfutant l’idée selon laquelle les États-Unis privilégient aujourd’hui les questions sécuritaires sur celles des droits de l’homme, Craner a affirmé qu’« il n’y aura pas de stabilité durable sans démocratie ». Et d’ajouter : « La Tunisie, qui a éradiqué la pauvreté, assuré un taux élevé de scolarisation et renforcé le rôle de la femme dans la société fait figure de leader dans la région et jouit d’une plate-forme favorable à la démocratie. »
Les relations diplomatiques entre Tunis et Washington remontent à… 1797. Les Tunisiens ont été parmi les premiers à reconnaître l’indépendance des États-Unis, avant que les Américains soutiennent à leur tour le mouvement nationaliste tunisien. Leurs relations se sont renforcées au lendemain de l’indépendance tunisienne, en 1956. Tunis a ainsi été, au cours des cinquante dernières années, un allié privilégié de Washington, et ses programmes de développement ont bénéficié de l’aide américaine.
Bien qu’ils ne jugent pas la Tunisie comme une priorité dans la région, les États-Unis entretiennent de bonnes relations avec ce pays, qu’ils considèrent comme « une voix pour la modération et l’harmonie régionale », selon les termes de Richard Boucher, porte-parole du département d’État. Les États-Unis effectuent régulièrement des exercices militaires conjoints avec la Tunisie, qu’ils souhaitent associer à une initiative de l’Otan en direction des pays de l’Afrique du Nord. L’aide bilatérale de Washington s’élève à quelque 3,5 millions de dollars au titre de l’assistance militaire et 1 million de dollars pour la formation militaire.
Le volume des investissements américains en Tunisie est estimé à 500 millions de dollars. Une cinquantaine d’entreprises américaines ou à participation américaine sont installées dans le pays, dont plusieurs opèrent dans la prospection pétrolière. Elles emploient près de 11 000 personnes. Les Tunisiens espèrent cependant un accroissement des investissements américains qu’ils jugent très faibles, eu égard aux avantages qu’offre leur législation. Ils souhaitent également l’intensification du flux touristique en provenance des États-Unis et l’établissement d’une ligne aérienne directe entre les deux pays.
Les responsables américains adressent souvent des éloges aux autorités tunisiennes pour leur coopération exemplaire dans le domaine de la lutte antiterroriste. Le directeur de la CIA George Tenet s’était rendu à Tunis, le 18 février 2002, pour discuter avec le président Ben Ali et les responsables tunisiens concernés des mesures à mettre en oeuvre en matière de sécurité. La coopération entre les deux pays dans ce domaine ne se limite pas à l’échange d’informations sur les réseaux terroristes. Elle porte aussi sur les aspects opérationnels. C’est du moins ce qu’a affirmé le quotidien Australian, qui a révélé, dans son édition du 23 janvier, que des agents de renseignements tunisiens, algériens et marocains sont déployés actuellement en Irak, sur la frontière avec la Syrie et dans les environs de Fallouja et Ramadi. Leur mission : aider les forces de la coalition à identifier les volontaires arabes qui ont rejoint la résistance irakienne et débusquer les réseaux de recruteurs et de passeurs leur venant en aide.
Selon un récent rapport américain, les autorités de Washington ont par ailleurs demandé à leurs homologues de Tunis et d’Alger des facilités dans la région du Sahara en vue de pré-positionner des équipements militaires.
« Washington se soucie peu du respect des droits de l’homme dans les pays où ses intérêts sont en jeu », déplorent les représentants de l’opposition tunisienne. En réponse à ces critiques, les responsables américains rappellent que le rapport sur les droits de l’homme publié annuellement par le département d’État n’omet pas d’énumérer les manquements du gouvernement tunisien dans ce domaine. Ils ajoutent que le personnel de leur ambassade suit de près les conditions de travail des défenseurs des droits de l’homme et assistent aux procès politiques. De même, les membres du gouvernement américain qui se rendent à Tunis ne manquent pas d’aborder cette question avec leurs homologues tunisiens.
Dans une lettre adressée à l’organisation Human Rights Watch, datée du 8 août 2002, Powell a ainsi affirmé que les États-Unis continent à encourager la Tunisie « à répondre aux inquiétudes concernant les droits humains ». Au cours de sa récente visite à Tunis, le chef du département d’État a souligné l’importance des réformes économiques et sociales engagées par la Tunisie, mais il a plaidé aussi pour une plus grande ouverture politique. « La coopération dans la lutte contre le terrorisme ne doit pas se faire au détriment du respect des droits de l’homme », a-t-il expliqué.
Au cours de la séance du Sénat américain qui a confirmé sa nomination comme ambassadeur des États-Unis en Tunisie, le 4 novembre dernier, William J. Hudson a cité, parmi les « priorités » dans les relations de son pays avec la Tunisie, la coopération dans la lutte contre le terrorisme, l’avancement des négociations commerciales en vue d’achever le traité de libre-échange entre les deux pays et l’amélioration de la situation des droits de l’homme. La décision de Washington d’installer le bureau régional pour la mise en oeuvre de l’« initiative de partenariat entre les États-Unis et le Moyen-Orient » au sein même de l’ambassade américaine à Tunis participe de cette volonté d’accompagner la Tunisie, « le pays le plus séculier dans le monde arabe » (William J. Hudson dixit), dans sa transition démocratique.

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