Chéri Samba s’exporte
Le peintre kinois expose ses uvres à Paris jusqu’en mai. Un égocentrique coupé des réalités africaines ?
« J’aime Chéri Samba » : c’est le titre de l’exposition qui s’est ouverte à la Fondation Cartier le 23 janvier dernier. Pareille déclaration ne peut que flatter Samba wa Mbimba N’zingo Nuni Masi Ndo Mbasi. Adepte du principe selon lequel on n’est jamais mieux servi que par soi-même, cet artiste n’a pas attendu que des commissaires lui dévoilent publiquement leur flamme pour s’autobaptiser « Chéri » Samba. Ce pseudo, qui en dit long sur son insatiable besoin d’être adulé, il le porte depuis plus de vingt ans.
Et avant ? Comme tous les enfants, il dessine sur tous les supports qui lui tombent sous la main, bouts de papier, cahiers d’écolier, emballages usagés. Avec cette différence : lui cherche déjà à monnayer ses croquis. Son premier tableau représente l’emblème de l’équipe de football de Kinto M’Vuila, village du Bas-Congo où il a vu le jour le 30 décembre 1956. Il l’avait peint en utilisant une tige de bois comme pinceau. Mais si ses uvres étaient à l’époque à la portée de ses petits camarades, les collectionneurs se les arrachent désormais à prix d’or.
À 16 ans, avec la complicité de sa mère, il a rejoint Kinshasa où il a réussi à trouver un emploi de dessinateur dans deux agences de publicité concurrentes, quittées et réintégrées à plusieurs reprises, multipliant à chaque fois son salaire. Trois ans plus tard, il décide de voler de ses propres ailes et s’offre (avec l’argent « emprunté » dans la caisse de son ancien employeur, depuis remboursé) un atelier avenue Kasavubu dans la
commune de Ngiri-Ngiri où il travaille aujourd’hui encore. Dès l’inauguration, le 10 octobre 1975, il connaît la gloire ainsi que des ennuis (éphémères) avec les autorités. Qui reprochent à La Rébellion Lulua contre Baluba, un des tableaux exposés montrant une scène de guerre entre deux ethnies, de réveiller de mauvais souvenirs. S’il ne passe pas la nuit derrière les barreaux, c’est parce qu’il peut déjà se permettre de payer la lourde amende qu’on lui réclame. Plus tard, pour « faire plaisir » à ses détracteurs, il repeint directement sur la toile qui lui a valu des déboires, Heureux le peuple qui danse
S’il a « cassé son bic » (quitté l’école) à 16 ans, Samba est expert en marketing. L’année même où il s’installe à son compte, il insère dans sa peinture deux éléments qui
constitueront sa patte et que l’on retrouvera désormais sur tous ses tableaux : son
autoportrait et du texte. Pour justifier sa propre omniprésence, Samba invoque trois
raisons. « Primo, je suis l’observateur et je ne vois pas pourquoi on ne me verrait pas sur le tableau. Secundo, c’est pour éviter que quelqu’un d’autre se reconnaisse et me réclame de l’argent comme cela est arrivé par le passé, et, tertio, pour prouver aux esprits qui doutent de mon talent que je suis capable de réaliser un autoportrait. » Susceptible, Samba ? À un critique canadien qui aurait eu l’outrecuidance de ne pas penser le plus grand bien de son uvre, il réplique par une toile : Chéri Samba corrige l’historien Bogumil Jewsiewicki.
En inscrivant des commentaires sur ses tableaux, Samba a plus d’une idée derrière la tête. Il s’agit d’abord de se différencier des « concurrents » comme Chéri Chérin, Bodo ou Moke et autres « peintres sur sac à farine » en vogue dans le Kinshasa des années 1970, en créant ce qu’il nomme la « griffe sambaïenne ». Le texte sert aussi à accrocher et à « retenir un peu plus longtemps le spectateur devant un tableau ». Avec l’ambition
de faire passer un message et de « changer les consciences ». Ainsi, dans un triptyque où il apparaît au côté de Picasso, il se demande si le musée Beaubourg est « raciste ». Dans un autre, intitulé Après le 11 septembre, il entend « condamner le terrorisme », mais aussi exprimer son indignation face au silence que suscitent les malheurs de l’Afrique. D’autres messages, plus didactiques, apparentent davantage ses toiles à des affiches
pour campagnes de sensibilisation. « Quand j’ai peint Le Sida ne sera guérissable que dans dix ou vingt ans, j’ai entendu des gens dire : si Chéri Samba en parle, c’est que cette maladie existe. Avant on pensait que c’était un syndrome imaginaire pour décourager les amoureux. On m’avait offert des cartons de préservatifs et je les distribuais », rappelle-t-il.
Tout le mérite de la peinture de Chéri Samba est d’être accessible et populaire. Du moins à l’époque où l’artiste se permettait de disposer ses toiles sur la devanture de son atelier. Depuis, les temps ont changé. En 1987, des commissaires européens ont « découvert » Chéri Samba et lui ont permis de faire circuler son uvre aux quatre coins de la planète (France, Japon, Suède, Canada, Allemagne), mais très peu en Afrique. Un comble quand on sait que Chéri Samba voit ses tableaux comme des « tambours parleurs » qui transmettent au peuple les « messages importants ». Le petit atelier (trois mètres sur
deux mètres et demi) de l’avenue Kasavubu s’est agrandi, mais ses portes ne sont plus ouvertes. Désormais l’artiste reçoit sur rendez-vous. « Je regrette que les Kinois et mes
compatriotes n’aient pas vu ma production depuis des années. Pourtant je les sais assoiffés de la découvrir. Ils ne connaissent pas mon travail actuel », reconnaît-il. « Le
problème, aujourd’hui, est d’assurer ces uvres qui ont une grande valeur », poursuit-il. Il y a donc peu de chance que les trente-cinq tableaux (de la collection Pigozzi de
Genève) exposés à la Fondation Cartier soient un jour vus en Afrique. Ils coûtent trop cher ! « J’essaye de soulager mes compatriotes quand je suis invité à une émission
télévisée. Je leur montre ma production à travers l’écran », argumente le peintre congolais. Drôle de monde, où la peinture qui se réclame du « peuple, concerne le peuple et s’adresse au peuple » ne se donne plus à voir qu’à une élite. L’exposition Chéri Samba est peut-être symptomatique du monde de l’art occidental qui se donne bonne conscience en intégrant les artistes du Sud, quitte à les priver du rôle initial qu’ils s’étaient assigné.
J’aime Chéri Samba, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris, du 24 janvier au 2 mai 2004.
Pour en savoir plus : www.fondation.cartier.com
Catalogue coédité par Actes Sud.
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