Royal Air Maroc, Ethiopian, Air Sénégal : les compagnies africaines parées au décollage

Malgré les dégâts considérables causés par la crise sanitaire, un contexte international troublé et la toujours possible résurgence du Covid-19, le ciel africain semble s’éclaircir enfin.

Un Boeing 787-9 de Royal Air Maroc atterrit à l’aéroport international David-Ben-Gourion de Tel Aviv, en Israël, le 13 mars 2022, après avoir effectué le premier vol direct vers l’État hébreu depuis la normalisation des relations entre les deux pays, en 2020. © JACK GUEZ/AFP

Publié le 4 avril 2022 Lecture : 8 minutes.

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Les 500 premières entreprises africaines en 2022

La 23e édition du Top 500 porte les stigmates de la pandémie. Ce classement exclusif fondé sur les performances de 2020 – on était alors au plus fort de la tourmente – le reflète. Les grandes entreprises ont subi un choc inédit.

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Relevez la tablette de votre siège, attachez vos ceintures… Le (re)décollage est proche…. En cette période encore agitée, le Covid-19 joue les prolongations, l’agression russe en Ukraine exacerbe les tensions, toutefois les nuages se dissipent peu à peu dans le ciel africain.

« Le pire est passé. L’Afraa (Association des compagnies aériennes africaines) estime que le trafic a atteint en février 64 % du niveau de 2019. L’heure est à la reprise. Tout en restant modérée, car toutes les mesures sanitaires ne sont pas levées, elle apparaît plus rapide pour les compagnies qui avaient un réseau important avant la pandémie » analyse depuis Nairobi auprès de Jeune Afrique, le Malien Abderrahmane Berthé, secrétaire général de l’Afraa.

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En témoigne, au cours de ce premier trimestre, la relance à toute vitesse des programmes de vols d’Ethiopian Airlines, Egyptair et de Royal Air Maroc. Ce trio de tête, mais aussi nombre de compagnies de taille moyenne ou plus modeste parient toutes sur une reprise du marché cette année. Pour y parvenir, les compagnies époussettent leurs appareils et ressortent des hangars ceux qu’elle avait mis sous cocon. Certaines ne renouvellent pas les contrats de sous-location à d’autres opérateurs, « un marché paradoxalement assez actif depuis près d’un an », pointe un consultant.

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Réouverture des grandes lignes internationales

Air Côte d’Ivoire, Royal Air Maroc, Air Algérie, Egyptair ou Rwandair rouvrent des lignes internationales à un rythme qui devrait s’accélérer jusqu’au second semestre. Certaines l’avaient même anticipé, comme Air Sénégal, qui a ouvert une liaison Dakar-New York dès septembre 2021 en A330-900. Pour sa part, Royal Air Maroc devrait rétablir l’ensemble de ses grandes lignes intercontinentales d’ici à la fin du trimestre et peut compter sur la reprise du tourisme avec l’allègement des mesures sanitaires. Sans compter sa toute nouvelle liaison, historique, avec Israël en partage de code avec El Al Israel Airlines. De son côté, Egyptair vient  de lancer ses premiers vols directs vers Dublin et Kinshasa.

Quant à Ethiopian Airlines, si Tewolde GebreMariam, l’emblématique patron du leader continental, a décidé à la surprise générale de démissionner, il laisse à son successeur, Mesfin Tasew, un groupe largement épargné par la crise, qui a misé sur le fret pour rester dans le vert. Après la remise en service de ses Boeing 737 Max, le 1er février, trois ans après le drame du vol 302, la compagnie affiche aujourd’hui moins d’une dizaine d’appareils encore parqués sur une flotte de 130 aéronefs.

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Point notable « les compagnies qui avaient su développer une logique de hub avant la crise, sont mieux à même de tirer rapidement parti de la reprise », estime Didier Bréchemier, senior partner de Roland Berger chargé de l’aérien.

Nous espérons retrouver un niveau comparable à 2019 dans le courant ou à la fin de 2023.

Reste que la crise a fait des dégâts. En Afrique, le trafic, selon l’Association du transport aérien international (IATA), a fait en 2020 une chute vertigineuse de 65,7 % à 34,3 millions de passagers. Le chiffre est estimé à 55 millions de passagers sur 2021, encore en repli de plus de 40 % sur la situation pré-crise.

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Abderrahmane Berthé estime : « Nous espérons retrouver un niveau comparable à 2019 en rythme annuel dans le courant ou à la fin de 2023. Mais le recul d’activité a été massif et inédit en 2020 avec une perte de chiffre d’affaires de 10,2 milliards de dollars. En 2021, cette perte d’activité s’est réduite à 8,6 milliards de dollars. Mais nos compagnies devraient encore enregistrer cette année une baisse de chiffre d’affaires de 4,9 milliards de dollars».

Certains acteurs en situation de survie

Cette tornade sans égale a touché tous les acteurs africains, dont certains jouent encore leur survie. South African Airways, déjà en situation de quasi-faillite avant la crise (sous procédure de sauvegarde depuis décembre 2019) a été clouée au sol en mars 2020 avant de reprendre timidement ses vols en septembre 2021. En dépit de l’injection de 7,8 milliards de rands (470 millions d’euros) par le gouvernement, l’entreprise publique, autrefois première compagnie du continent, demeure moribonde.

Dans une transaction qui reste à matérialiser, le ministre des Entreprises publiques Pravin Gordhan a annoncé en juin 2021 la cession de 51 % du capital au consortium Takatso (fonds Harith General Partners et Global Airways) qui doit injecter, par ailleurs, 3 milliards de rands pour relancer la compagnie. Pas sûr que cela suffise avec une flotte composée seulement d’une demi douzaine d’appareils actifs.

South African Airways et ses futurs actionnaires travaillent, par ailleurs, à une alliance avec Kenya Airways, elle aussi financièrement asphyxiée en dépit d’une aide d’État récente de 176 millions de dollars. Avec la bénédiction, à la fin de 2021, des présidents Uhuru Kenyatta et Cyril Ramaphosa, les deux opérateurs devraient se rapprocher sous une forme encore à déterminer. Le sort de Mango, importante filiale de South African Airways, reste en suspens, mais une autre filiale – South African Express – a elle été liquidée en 2020.

Le soutien clair, rapide et massif de Dakar constitue un facteur déterminant pour l’avenir d’Air Sénégal.

Non loin de là, à Madagascar, après plusieurs années d’errance stratégique et d’alliances ratées (Lufthansa, Air Austral) et la quasi-fermeture pendant 18 mois du ciel national, la compagnie publique malgache a failli vivre ses derniers instants, sans parler des salariés souvent non payés et poussés à démissionner. Après un redressement judiciaire à la fin de 2021, Air Madagascar doit renaître sous le nom de Madagascar Airlines – après fusion avec sa filiale régionale Tsaradia, créée en 2019. Mais « Air Mad » reste désespérément à court de trésorerie et d’appareils, et doit toujours près de 40 millions d’euros à Air France.

Si Air Madagascar, pas plus que Tunisair, par exemple, n’a pu encore compter sur de l’argent public frais, d’autres gouvernements ont tenu à soutenir leur transporteur national. Royal Air Maroc peut ainsi bénéficier d’un plan de soutien de 6 milliards de dirhams dont 3,4 milliards de dirhams (312 millions d’euros) d’augmentation de capital.

Concrétiser le projet de société de leasing panafricain

Au pays de la Teranga, à la pointe en matière d’aérien, le président Macky Sall a, dès mai 2020, décidé un programme pluriannuel d’aide de 45 milliards de F CFA (près de 69 millions d’euros) à Air Sénégal (398 000 passagers en 2019). Une source proche de la compagnie sénégalaise dirigée par Ibrahima Kane glisse : « Ce soutien clair et extrêmement rapide constitue un facteur déterminant pour l’avenir de la société et sa relance. Cela a permis de consolider le plan stratégique de développement à moyen terme et de rassurer nos partenaires y compris financiers.».

La compagnie basée à Dakar a notamment poursuivi un important programme d’intégration de huit court-moyen courrier Airbus A200 (ex-CSeries Bombardier). D’abord prévu pour la fin de 2021 sous forme d’acquisition, le programme s’est mué depuis en contrat de leasing auprès de différents loueurs (Macquarie AirFinance, Carlyle Aviation…). « Les conditions de ce marché du leasing sont actuellement favorables, c’est un choix pragmatique car les conditions d’acquisition jouent un rôle clé dans les équilibres économiques», pointe notre source.

La modernisation des flottes est un impératif pour les compagnies.

À noter qu’en la matière plusieurs grandes institutions africaines dont Afreximbank et la Banque africaine de développement (BAD) continuent de plancher sur la création d’une société panafricaine de leasing d’avion. « Ce projet avance peu à peu. Nous le soutenons fortement. L’accès aux appareils les plus modernes reste un facteur limitant surtout pour les petites compagnies », pointe Abderrahmane Berthé.

De fait, en matière de compétitivité, « la modernisation des flottes est un impératif pour les compagnies, surtout en période de prix élevé des carburants. Les dernières générations d’appareils et de moteurs permettent une réduction de consommation de 15 à 25 % », rappelle Didier Bréchemier.

Intégration d’appareils dernier cri

À l’image d’Air Sénégal, les compagnies les plus audacieuses se remettent à intégrer des appareils dernier cri. En Afrique centrale, la gabonaise Afrijet (250 000 passagers par an avant la crise), a officialisé en novembre 2021 au salon de Dubaï l’arrivée en leasing de trois nouveaux « turboprop » ATR 72-600. « D’un rayon d’action de 1 400 km, très efficients, et qui plus est certifiés pour opérer avec jusqu’à 50 % de carburants non fossiles, ces appareils sont un élément fort de notre relance », indique une source de l’entreprise.

Pour sa part, Ethiopian Airlines vient de passer commande de cinq Boeing 777-8F cargos pour continuer à asseoir sa forte position sur le fret. « Sur le continent, le volume de cargo n’a pratiquement pas baissé durant la crise. Cela a été l’un des rares facteurs de résilience pour les opérateurs », rappelle Abderrahmane Berthé.

Au vu de la demande réelle et des moyens qu’exige le secteur, e nombre de petites compagnies demeure trop important.

De son côté, Egyptair pourrait acquérir neuf gros porteurs passagers d’ici à la fin de 2023, selon le ministre égyptien du Plan. Un projet qui s’inscrit dans le cadre du renouvellement de sa flotte long-courrier. Même Tunisair, pourtant en grande difficulté, poursuit son programme d’équipement. Le 10 février, Khaled Chelly, PDG depuis mars 2021, a réceptionné un deuxième A320Neo (sur une série de cinq), pris en leasing auprès du loueur irlando-japonais SMBC. Un élément clé de son plan de redressement.

Les alliances et la connectivité, facteurs clés de la croissance

Reste que si pour les compagnies aériennes un certain optimisme prévaut désormais, beaucoup reste à faire pour éclaircir durablement le ciel africain, notamment du côté du nombre d’opérateurs. « Il est compréhensible que les États tiennent à maintenir un pavillon national. Mais, au vu de la demande réelle et des moyens que demande ce secteur, le nombre de petites compagnies demeure trop important. Les alliances peuvent être une voie intéressante. Mais même à l’occasion de cette crise historique, on constate peu d’initiatives en ce sens, », juge Didier Bréchemier.

Abderrahmane Berthé en appelle à ces politiques d’alliance « inévitables » mais aussi aux gouvernements. « Nous demandons aux États de continuer de soutenir le développement du secteur. La connectivité est un facteur essentiel à la croissance de l’Afrique ». Pour lui, les pouvoirs publics doivent harmoniser les processus sanitaires et surtout ne pas alourdir les ailes des compagnies : « Une fiscalité trop forte de même que le niveau des redevances aériennes ou des coûts d’utilisation des aéroports handicapent nos compagnies confrontées aux géant mondiaux plus solides ».

Il convient aussi, selon le secrétaire général de l’Afraa, de poursuivre le processus d’intégration du ciel africain sous l’égide de la décision de Yamoussoukro, applicable depuis 2002. « Aujourd’hui, 35 pays, soit 800 millions d’habitants ont adopté la décision, c’est une réalisation considérable. Mais il faut maintenant que tous ces signataires l’appliquent réellement. Ce qui n’est hélas pas le cas », conclut-il. Un autre gros chantier après la relance ?

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