Chasse au trésor
Feu le dictateur Sani Abacha avait déposé dans plusieurs banques de la City 4,3 millions d’euros préalablement détournés. Londres a fini par les restituer.
Beau succès pour la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC). À la fin de l’année dernière, le Royaume-Uni a en effet restitué au Nigeria 4,3 millions d’euros détournés de la Banque centrale pendant la dictature de feu le général Sani Abacha (1993-1998).
L’affaire commence en 1998, quand le service des douanes de l’aéroport d’Heathrow saisit trois valises bourrées de billets appartenant à Alhaji Daura, un homme d’affaires arrivant du Nigeria à bord d’un avion privé. Après enquête, le ministère britannique des Affaires étrangères établit qu’il s’agit d’un « coursier » de la famille Abacha chargé de mettre à l’abri, à Londres, quelques « économies ». Les fonds sont alors bloqués, en vertu d’une demande d’entraide judiciaire internationale émise par le gouvernement intérimaire d’Abdulsalami Abubakar, aux commandes du pays depuis le décès du chef de l’État, au mois de juin précédent. Soucieux de redresser le pays et de réussir la transition vers la démocratie, ce dernier multiplie les initiatives pour enrayer l’hémorragie financière orchestrée par Abacha durant son passage au pouvoir. Au cours des années suivantes, Olusegun Obasanjo, le nouveau président élu, poursuivra le travail et, avec le concours de l’EFCC, tentera de récupérer les sommes détournées et placées en Europe et aux États-Unis. Le montant de celles-ci est estimé à 5 milliards de dollars (environ 4 milliards d’euros).
Jusque-là, seule la Suisse avait clairement manifesté sa volonté de coopérer avec les autorités nigérianes. N’avait-elle pas restitué, en avril 2002, 605 millions de dollars (484 millions d’euros) au Trésor nigérian ? La Grande-Bretagne, en revanche, s’était longtemps montrée réticente, bien que son ministère des Finances ait reconnu que quelque 1,3 milliard de dollars avaient été déposés sur divers comptes ouverts dans des banques britanniques par l’ancien dictateur et ses proches. « Nous avons dû prouver notre détermination à récupérer ces sommes, indique-t-on au siège de l’EFCC. Pour que les Britanniques nous prennent au sérieux, il a fallu menacer d’engager une action judiciaire. Ensuite, la situation s’est très vite débloquée. »
La Commission est soutenue par Obasanjo, qui a placé son second mandat sous le signe de la lutte contre la corruption. Il faut dire que, selon l’ONG Transparency International, qui, depuis plusieurs années, s’attache à mesurer « l’indice de perception de la corruption », le Nigeria apparaît comme l’un des pays les plus corrompus de la planète. Le 7 novembre 2003, au cours d’une réunion organisée à Berlin par Transparency – dont il est membre fondateur -, le chef de l’État nigérian a invité les multinationales à rendre publics leurs comptes. L’appel a été entendu par Shell et British Petroleum (BP), deux compagnies pétrolières très bien implantées au Nigeria. Cette intervention s’inscrivait dans le cadre de l’opération Publish What You Pay [« rendez public ce que vous payez »] lancée par George Soros, le milliardaire américain d’origine hongroise, avec le soutien de Tony Blair, le Premier ministre britannique, dans le but de lutter à l’échelle internationale contre les commissions occultes et les détournements.
Voeu pieux ou grand bond en avant ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais il y a des signes encourageants. Le 23 décembre 2003, l’homme d’affaires britannique (d’origine israélienne) Uri David, 78 ans, a été reconnu coupable par un tribunal helvétique de blanchiment d’argent, d’escroquerie et de soutien à une organisation criminelle. Il avait contribué à blanchir de l’argent destiné à la famille Abacha. La banque suisse UBS a déjà restitué au Nigeria 86 millions de dollars (68 millions d’euros) en provenance de divers comptes ouverts à son initiative.
À la fin de l’année dernière, dans un article du Times, de Londres, un grand spécialiste du blanchiment, l’Américain Jeffrey Robinson, a démonté le mécanisme mis en place par Abacha. Lors de la passation d’un marché public, celui-ci prélevait systématiquement sa part, qui était versée sur des comptes bancaires ouverts par des hommes d’affaires honorablement connus sur les places financières internationales. En fonction de ses besoins, il leur demandait ensuite d’effectuer des versements en sa faveur. Voire d’acheter en son nom telle propriété à l’étranger ou telle voiture de luxe. « De cette manière, les mouvements d’argent avaient l’apparence de la légalité, raison pour laquelle ils sont, aujourd’hui encore, très difficiles à reconstituer », écrit Robinson. Par cette filière, trois multinationales, l’allemand Ferrostaal, l’indien Tata et le français Dumez, auraient respectivement versé à Abacha 13 millions, 540 millions et 8 millions de dollars. On comprend qu’Obasanjo souhaite étendre la transparence jusqu’aux sources de « l’argent sale ».
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