Blair respire, la BBC trinque

Publié le 3 février 2004 Lecture : 2 minutes.

Les faits sont têtus, mais ils n’ont que l’évidence qu’on leur prête. La British Broadcasting Corporation (BBC), réputée à juste titre pour son exigence journalistique, a bel et bien commis une erreur en affirmant, sur Radio 4, le 29 mai 2003, par la voix de son journaliste Andrew Gilligan, que Tony Blair avait délibérément gonflé le dossier gouvernemental sur les armes de destruction massive (ADM) irakiennes. Selon le rapport du juriste lord Hutton rendu public le 28 janvier, Gilligan a déformé les propos de son informateur, l’expert en armes chimiques et biologiques David Kelly, qui s’est suicidé le 17 juillet 2003. Le journaliste a par ailleurs prétendu, à tort, qu’Alastair Campbell – ex-directeur de la communication du Premier ministre et ancien journaliste de tabloïd – et Tony Blair « savaient probablement » que Saddam Hussein ne pourrait pas déployer son arsenal de mort en « quarante-cinq minutes ». Conclusion : la vénérable « Beeb », 82 ans au compteur, 24 000 salariés et 2 000 journalistes, « n’aurait pas dû lancer de fausses accusations mettant en doute l’honnêteté du gouvernement ».

Toujours à la pointe de l’information, prompte à reconnaître ses erreurs et à les assumer, la BBC a annoncé elle-même, en premier, la démission de son président Gavyn Davies et de son directeur général Greg Dyke. Et présenté des « excuses sans réserve » au locataire du 10, Downing Street. En interne, la Beeb n’avait pas attendu les conclusions du rapport Hutton pour corriger ses dysfonctionnements et laver son linge sale en public dans un documentaire autocritique (Panorama) sur son traitement de l’affaire Kelly diffusé en prime time. Un comportement qui l’honore et dont certains médias feraient bien de s’inspirer.
« Le vrai mensonge, c’est de dire que j’ai menti à cette Chambre ou délibérément trompé le pays sur les armes de destruction massive en falsifiant les renseignements », s’est écrié Tony Blair devant les députés. Il pouvait triompher : le rapport Hutton, en détournant le regard sur la BBC, offre au Premier ministre un second souffle politique. Mais, au bout du compte, sa victoire n’aveuglera pas grand-monde. Quoi que l’on puisse penser du bien-fondé de la guerre en Irak, le casus belli invoqué par Londres et Washington, ces fameuses ADM, reste à ce jour une chimère (voir pp. 22-24). George W. Bush et Tony Blair l’ignoraient peut-être, mais que penser de deux chefs d’État de pays puissants qui se lancent dans une guerre sur la base de renseignements erronés ou douteux ? Et qui ne tirent pas les conséquences des déficiences des administrations dont, après tout, ils sont responsables ?
Le véritable vainqueur de cette triste affaire risque de n’être ni Tony Blair ni la vérité, mais le tycoon Rupert Murdoch, patron de BskyB, qui pourrait profiter du soudain discrédit de la Beeb. La Charte royale qui garantit l’indépendance de ce service public et lui permet de toucher le produit de la redevance (170 euros) expire en 2006. La BBC pourrait être privée de redevance. Et contrôlée comme ses concurrents par l’Ofcom (un organisme de régulation extérieur) et non, comme aujourd’hui, par ses douze gouverneurs. Tandis qu’on fait toujours semblant de fouiller l’Irak à la recherche d’improbables ADM, elle perdrait sa très particulière indépendance pour une erreur qui relève plus de l’exception que de la règle.

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