ADM : flagrant délit de mensonge

Le responsable de la mission américaine de désarmement rend son tablier. Motif : les stocks présumés d’armes de destruction massive n’existaient pas. Cinglant camouflet pour George W. Bush et Tony Blair.

Publié le 2 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Il n’y avait plus, en 2003, d’armes de destruction massive (ADM) en Irak. Le bourrage de crâne entrepris en 2002 par l’administration Bush (voir encadré ci-dessous) ne servait qu’à justifier une invasion en réalité décidée depuis février 2001 (selon l’ex-secrétaire au Trésor Paul O’Neill). C’est une hypothèse désormais publiquement envisagée.
Ce n’est pas que le président George W. Bush ait fait son autocritique, comme on disait en d’autres temps, ni même amende honorable. Dans son discours sur l’état de l’Union du 20 janvier, il affirmait encore : « Le rapport Kay a identifié des douzaines d’activités liées à un programme d’armes de destruction massive et une quantité importante d’équipements que l’Irak cachait aux Nations unies. Si nous n’avions pas agi, les programmes d’armes de destruction massive du dictateur continueraient aujourd’hui. […] Pour tous ceux qui aiment la liberté et la paix, le monde sans le régime de Saddam Hussein est un endroit plus sain et plus sûr. »
Le rapport Kay était ainsi appelé du nom de David Kay, le responsable de l’Irak Survey Group (ISG), la mission américaine chargée de découvrir l’arsenal de Saddam. Et c’est Kay lui-même qui a répondu à Bush. D’abord en démissionnant, le 23 janvier. Puis en déclarant dans la foulée à l’agence Reuters, qui l’interrogeait sur « les stocks présumés d’armes biologiques et chimiques » : « Je ne pense pas qu’ils existaient. Je pense qu’il y avait des stocks à la fin de la guerre du Golfe, en 1991, et que la conjugaison du travail des inspecteurs de l’ONU et des actions unilatérales irakiennes les ont fait disparaître. » Quant au programme nucléaire, « il y a eu, dit Kay, un redémarrage de certaines activités, mais elles étaient rudimentaires. Le programme n’était pas vraiment en sommeil parce que de petites choses continuaient, mais il n’avait en aucune manière été relancé de façon significative. »
L’affaire a pris dès le 28 janvier un tour politique. Kay a répété devant la commission des services armés du Sénat que « nous avions presque tous tort », avant la guerre, de penser que Saddam disposait d’armes interdites. Le sénateur démocrate Edward Kennedy lui a fait remarquer que « la vraie question » était de savoir « s’il y avait eu davantage qu’une insuffisance des services de renseignements », autrement dit, « une manipulation des renseignements pour justifier une décision de faire la guerre ».
Un rapport de 107 pages de la Carnegie Endowment for International Peace publié en janvier accuse, de son côté, l’administration Bush d’avoir « systématiquement représenté de manière tendancieuse la menace constituée par les armes de destruction massive et les programmes de missiles balistiques irakiens ». L’administration a également mélangé le nucléaire, le chimique et le biologique, alors que le danger n’est pas le même. Le rapport note que le travail des inspecteurs de l’ONU a été beaucoup plus efficace qu’on ne l’a dit et qu’en réalité « le choix n’avait jamais été entre la guerre et ne rien faire sur les ADM ».
Pouvait-on croire honnêtement à l’existence de cet arsenal ? Dans son numéro 2225 du 31 août 2003, Jeune Afrique/l’intelligent a publié un article de l’essayiste politique Francis Fukuyama, qui, partant de « l’hypothèse qu’on ne découvrira pas dans les semaines et les mois à venir une cache de matériaux chimiques, biologiques ou nucléaires profondément enfouis dans un coin du désert irakien », se demandait « pourquoi la Commission spéciale des Nations unies (Unscom) et les services de renseignements américains étaient convaincus que les programmes d’armement se sont poursuivis bien après 1991 ». Outre les mensonges flagrants des Irakiens, il estime que les preuves jusqu’alors avancées peuvent « avoir été le produit d’une tromperie plus profonde ».
Et il propose plusieurs explications :
1. « L’Irak était un pays totalitaire où chacun devait se plier aux caprices de Saddam. » Pour se couvrir, les savants irakiens lui ont donc fourni des documents où ils exagéraient « l’importance de leurs activités ».

2. « L’Unscom et les services de renseignements américains ont été désagréablement surpris par l’ampleur des programmes irakiens d’ADM en 1991. Après quoi, ils ont été fortement incités à ne pas se laisser abuser une nouvelle fois. »

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3. « L’administration Clinton a pris [les estimations de l’Unscom] comme un point de départ et les a complétées par des extrapolations fondées sur les derniers renseignements recueillis. L’administration Bush a fait de même. Les surévaluations ont continué jusqu’à ce que tout le monde [y compris le signataire de ces lignes, F.K.] les prennent pour parole d’Évangile et qu’elles servent à justifier la décision américaine de faire la guerre. »
Conclusion du raisonnement de Fukuyama, en août 2003 : « Le plus probable est que l’on s’est débarrassé de ces armes il y a longtemps. »
Les révélations – largement reprises dans la presse américaine – sur la « tromperie » bushienne auront-elles des conséquences sur la campagne présidentielle ? Le possible candidat démocrate, John Kerry, vainqueur dans les primaires de l’Iowa et du New Hampshire, est apparu dans un récent sondage national de l’hebdomadaire Newsweek comme le premier et le seul adversaire capable de tenir Bush en échec : si le vote avait lieu aujourd’hui, il l’emporterait par une marge de 49 % à 46 %. Mais il est, bien entendu, trop tôt pour dire si cette amorce de remontée démocrate est due aux ADM, aux pertes humaines quotidiennes en Irak ou à l’économie.
Quant au Premier ministre britannique Tony Blair, sa position se trouve provisoirement renforcée par le rapport Hutton (voir pages Focus), mais, aussi bien dans son propre parti que chez les conservateurs, on n’a pas renoncé à lui demander des comptes sur la manière dont il a entraîné la Grande-Bretagne dans la guerre en Irak.

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