Tarallo persiste et signe
Hasard du calendrier : le 28 octobre, alors qu’Omar Bongo Ondimba déjeunait à l’Élysée avec Jacques Chirac, André Tarallo, son ancien « ami », le « monsieur Afrique » d’Elf Aquitaine, le « Foccart du pétrole », entrait discrètement et péniblement dans une enceinte tout aussi majestueuse, mais beaucoup moins glorieuse. Celle du palais de justice de Paris. Pour la première fois depuis l’ouverture, le 6 octobre, du procès en appel de l’affaire Elf, Tarallo, 77 ans, ancien directeur des hydrocarbures, s’est présenté devant le tribunal. En convalescence après une opération de la carotide, il n’avait pas encore pu faire le déplacement, à son grand regret, a-t-il tenu à souligner.
C’est en simple blazer bleu – son état de santé l’empêche de porter une cravate, a expliqué Me Michel Jeol, son avocat -, assisté d’une canne brune, que Tarallo s’est avancé lentement jusqu’au premier rang des prévenus. Pour ranimer, pendant plus de deux heures, le fantôme de son unique alibi : Omar Bongo, le président gabonais.
Reconnu coupable d’abus de biens sociaux en première instance le 12 novembre 2003 et condamné à quatre ans de prison – il n’y est resté que deux mois, en raison de son état de santé – et à une amende de 2 millions d’euros, Tarallo n’avait pas su convaincre les jurés que les comptes bancaires ouverts en Suisse à son nom appartenaient en fait à Bongo et qu’il n’en était que le simple gestionnaire. Un an plus tard, devant la cour d’appel, sa défense n’a pas bougé d’un iota.
De sa voix stable, avec toujours ce petit cheveu sur la langue, Tarallo commence par rappeler qu’il est « le seul survivant » de l’époque où le « système Elf » s’était mis en place. « C’était un système de corruption… » Il se reprend, le mot fait mal, les avocats se regardent, gênés. « Euh… de distribution de commissions aux chefs d’État qui existait bien avant l’arrivée de Loïk Le Floch- Prigent », le PDG d’Elf de 1989 à 1993, condamné à cinq ans de prison, mais qui n’a pas fait appel. « Qu’est-ce qui a changé avec Le Floch-Prigent ? » interroge la présidente. « Quand il est arrivé, il m’a parlé de ses projets de développement pétrolier. C’est là qu’il a évoqué la gestion des moyens. « J’ai confiance en Sirven, a-t-il dit. Mais on m’a dit que vous étiez irremplaçable en Afrique. Vous continuerez à vous en occuper. Mais il y aura une répartition des moyens, et Sirven aura plus à faire que vous. » » Assis de l’autre côté du banc des prévenus, Alfred Sirven, satisfait de la peine obtenue en première instance – cinq ans ferme -, mais rappelé au tribunal par le procureur, écoute patiemment. Déjà, en première instance, Tarallo s’en était pris au numéro deux d’Elf et avait voulu se distancier de ses anciens collègues. Il en remet une couche. « À la mort de Mathieu Valentini [un intermédiaire, ami de Tarallo], Sirven et Le Floch-Prigent m’ont demandé d’ouvrir un compte pour récupérer les fonds du président Bongo que géraient Valentini. Je me suis trouvé devant le président Bongo, qui n’a plus voulu entendre parler de quelqu’un d’autre que moi-même pour cet argent. » Tarallo s’interrompt et se retourne un moment pour respirer dans son tonifiant cardiaque. Les questions de la présidente du tribunal se font pressantes. Elle s’impatiente devant l’obstination du prévenu à se défausser sur le président gabonais, mais semble surtout craindre que Tarallo n’ait plus la force de se présenter lors des débats qui doivent durer jusqu’à la mi-décembre. Ses relations avec Bongo ? « Je le connais depuis le début des années 1970. Je le voyais environ deux fois par mois, mes passeports peuvent l’attester. Il a joué un rôle important pour le groupe Elf. »
Frédéric Isoard, successeur de Tarallo à la direction des hydrocarbures, est appelé à la barre par la défense pour témoigner. Il explique : « Les rapports entre Tarallo et le président Bongo étaient très étroits. Ils se tutoyaient. » Pourquoi le président Bongo aurait-il voulu ouvrir ces comptes ? « Il voulait que je fasse des investissements pour lui, se défend Tarallo. Mais je reconnais que j’aurais dû le tenir mieux informé quand j’ai acheté l’appartement. Il me l’a reproché. » L’appartement du quai d’Orsay (13 millions de FF), ses travaux de réaménagement (27 millions de FF) et son ameublement font partie des achats que Tarallo n’arrive décidément pas à justifier. « J’ai eu tort d’utiliser des fonds du compte Colette pour l’appartement », lâche-t-il dans un souffle. Le procureur général relève que Bongo a toujours démenti les dires de Tarallo. « Comment peut-on imaginer que le président accepte sans rien dire la déferlante médiatique engendrée par la procédure judiciaire ? Il ne pouvait que démentir », répond l’ancien cadre d’Elf, laissant le procureur sceptique. Deux heures ont passé. L’interrogatoire de Tarallo est terminé. Hagard, il sort du tribunal après s’être passé les mains longtemps sur le visage. De son appartement du quai d’Orsay, il attendra le verdict. Il risque dix ans de prison, mais son état de santé devrait lui épargner un retour en cellule.
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