Sarabande animale
Par les réalisateurs de «Microcosmos », une réflexion douce et poétique sur la vie et l’humanité. « Genesis » est sorti à Paris le 20 octobre.
Publié le 3 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.
Avec Microcosmos, Claude Nuridsany et Marie Pérennou nous entraînaient dans une touffe d’herbe bruissante d’élytres, de pattes, d’ailes, de mandibules et d’antennes. Avec leur nouveau film, Genesis, sorti à Paris le 20 octobre, ils s’éloignent du monde des insectes pour nous livrer une réflexion douce et poétique sur la vie et l’humanité.
Si les acteurs principaux de ce conte polychrome sont le périophtalme (le fameux poisson marcheur), les araignées pholques, les perroquets, les autruches et bien d’autres encore, ce sont bel et bien les hommes et leur lien avec le cosmos qui orientent la démarche des réalisateurs. Ce n’est pas un hasard si les deux seuls mammifères à apparaître sur l’écran sont un foetus et un vieillard : Claude Nuridsany et Marie Pérennou racontent comment la matière inanimée prend forme, vit en se nourrissant de la vie et meurt sans pour autant disparaître.
Leur porte-parole, griot à la diction lente, assis dans une hutte de terre, est incarné par l’acteur malien Sotigui Kouyaté. « Dès le début, il nous est apparu que le conteur ne pouvait pas être occidental, même si le discours que nous avions l’intention de lui faire tenir s’appuyait sur les connaissances actuelles des scientifiques. Nous avons pensé à l’Afrique parce que la tradition orale y est encore extrêmement vivante, entretenue par les griots, et parce que c’est le berceau de l’humanité. Nous avons tout de suite songé à Sotigui Kouyaté, dont nous admirions le travail dans le cadre de la troupe de Peter Brook, aux Bouffes du Nord. S’il avait refusé le scénario, il n’est pas évident que nous aurions fait le film », se souvient Claude Nuridsany.
À l’issue de la première rencontre avec l’acteur du film Little Senegal (Rachid Bouchareb) et de la pièce Tierno Bokar (Peter Brook), un accord de principe est trouvé. Ce n’est pourtant que quatre ans plus tard que le tournage pourra commencer – après que tous les animaux ont été fixés sur pellicule. Tour à tour enfant, magicien, démiurge, sage omniscient, Sotigui accompagne les spectateurs tout au long d’une rêverie faite de rencontres avec « une sarabande pittoresque d’animaux » choisis pour « répondre aux interrogations de l’homme sur la vie ». « Tous les animaux du film ont la trempe pour incarner un vrai personnage, par leur apparence et leur comportement. Ce sont presque tous des symboles qui doivent faire rebondir l’imaginaire du spectateur », ajoute Marie Pérennou. En écho, Claude Nuridsany précise : « Ce n’est pas un documentaire. Ce n’est pas un film animalier. C’est plutôt un conte musical visant à exprimer notre relation avec le cosmos. » Il y aura des esprits chagrins pour contester ce choix et les risques qu’il comporte : anthropomorphisme, simplisme… Mais les réalisateurs défendent leur parti pris : évoquer « le cannibalisme de la vie » sans « tomber dans une des anomalies de la période actuelle, qui est la révolte contre la mort ».
Un budget de plus de 6 millions d’euros, deux ans d’écriture, quatre de repérage et de tournage en Islande, aux Galápagos, dans l’océan Indien, huit mois de montage, des prouesses techniques en veux-tu en voilà pour filmer un autruchon dans son oeuf ou le ballet amoureux des araignées(*)… On pourrait imaginer que de tels chiffres montent à la tête. Mais non. Marie Pérennou semble encore émue quand elle évoque la Grande Île : « Madagascar, c’est le premier grand voyage que nous ayons fait tous les deux, il y a vingt-cinq ans, quand nous commencions notre travail de photographes free lance. » Pas de doute, leur passion de la vie les porte depuis longtemps. Et s’ils parviennent à en restituer toute l’émotion, c’est parce qu’ils connaissent ce secret : « Nous ne sommes pas des êtres isolés. Nous appartenons à une espèce de grande ronde où nous dansons avec les autres. »
* Un superbe livre retrace cette aventure : Genesis, La Martinière, 160 pp., 30 euros.
