Papa Wemba
Accusée d’« aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’étrangers » par la justice française, la star de la chanson congolaise sera fixée sur son sort le 16 novembre prochain.
Dublin. Samedi 23 octobre, 20 heures. Dans les loges du SFX Concert Hall situé dans le centre-ville, Papa Wemba décline le verre de champagne que lui tend une hôtesse. Dans la salle, le service de sécurité peine à contenir des fans qui réclament à gorge déployée
leur idole : « Papa! Papa! Papa! »
Lundi 25 octobre, 12 h 30. Tribunal de Bobigny, dans la banlieue parisienne. Papa Wemba profite d’une suspension de séance pour se retirer dans la salle des avocats, échappant aux caméras venues filmer son procès pour « aide à l’entrée et au séjour irrégulier d’étrangers ». On lui reproche d’avoir, sous couvert de ses activités artistiques, obtenu des visas pour plusieurs centaines de « faux musiciens », moyennant finances. En décembre 2001, l’arrivée à l’aéroport de Roissy de 127 personnes, dont 90 qui se réclament de groupes folkloriques venus participer à la Nuit du Congo et de l’Afrique du 31 décembre à Bercy, met la puce à l’oreille de la police des frontières. Tous ont des permis de travail en règle, mais « la plupart n’ont ni instrument ni tenue de gala ». Intriguée, la police place sur écoute Papa Wemba, la tête d’affiche, ainsi que plusieurs artistes et producteurs congolais.
L’affaire éclate le 17 février 2003, quand il est interpellé dans son pavillon d’Aulnay-sous-Bois, non loin de Paris, puis écroué le 20 février à la prison de Fleury-Mérogis. Le président congolais Joseph Kabila ayant versé la caution de 30 000 euros, il bénéficie d’une libération conditionnelle le 5 juin 2004, après trois mois et trois semaines de détention préventive. De passage en février à Paris, Kabila avait évoqué le sujet avec Jacques Chirac. C’est fort de ces appuis, renforcés par la présence d’un carré de proches, qu’il aborde son procès en correctionnelle ce lundi 25 octobre. Il y a Fabien Tellier, le gendre. Un jeune Français qui a épousé Khady Shungu, la fille aînée du chanteur, et pris en main la gestion de sa carrière. Yves Kambala, journaliste vedette d’Antenne A, une chaîne de télé populaire en RDC, qui jouit de l’estime de la star. Louzolo Kibenga, dite « Amazone », l’épouse de Papa, n’est pas très loin : regard vide, boubou bleu, talons aiguilles, la « mama », également mise en cause, ne risque pas de passer inaperçue. Même si elle se réfugie derrière son rôle de « mère de famille au foyer ». Un garde du corps est également là, téléphone portable vissé à l’oreille, il ne quitte pas son maître des yeux.
Principal accusé, Wemba est plutôt détendu. Vêtu d’une chemise à fleurs bariolée sous une veste en daim et, comble de sobriété pour le pape de l’élégance, d’un jean bleu, il semble absent. Ses traits tirés trahissent une nuit courte. Tout au plus partage-t-il avec ses proches le plaisir d’avoir reçu, très tôt ce matin, un coup de fil « sympathique » de Koffi Olomidé, son éternel rival. Verkys Kiamuangana, président des artistes congolais arrivé la veille de Kinshasa pour apporter à l’enfant du pays le soutien de ses pairs, apprécie cette bonne nouvelle. Mais voilà que la séance reprend. Le procureur du tribunal correctionnel de Bobigny requiert une peine de cinq années d’emprisonnement à l’encontre du chanteur. Le chef d’accusation de « bande organisée », passible lui de dix ans, n’a pas été retenu.
22 heures. Fin de ce nouvel épisode d’un feuilleton dont le dénouement tient en haleine des millions de Congolais. Un feuilleton de plus (de trop ?) dans la vie mouvementée d’une star qui reste, à 55 ans, un véritable prophète en son pays, presque une légende patiemment écrite depuis la fin des années 1960, malgré les réticences d’un père qui le voyait journaliste ou avocat.
Le décès en 1966 de ce dernier, ancien soldat autoritaire et absent, donne libre cours aux ambitions musicales de Wemba. Celles qui résonnaient déjà dans la paroisse Saint- Joseph de Léopoldville, capitale du Congo belge. Celles qu’il tenait de sa mère, animatrice de veillées mortuaires, qui l’aura initié au chant. À 20 ans, en 1969, le jeune Wemba, de son vrai nom Shungu Wembadio Pene Kikumba, participe à la fondation d’un des principaux groupes zaïrois des années 1970, Zaïko Langa Langa, une formation qui séduit très vite les jeunes avec une rumba plus dynamique, plus chahutée, et dont Papa Wemba sera la vedette principale avant de quitter le groupe en 1975. Sa notoriété dépasse déjà les frontières du Kasaï, sa région natale dans le sud de la RD Congo. Des faubourgs de Kinshasa, il lance le groupe Viva la Musica avant de s’introniser « chef coutumier du village de Molokai », à Matongué, le quartier qui l’a vu grandir. C’est de ce laboratoire que Wemba déclenche le mouvement de la Sape, la Société des ambianceurs et des personnes élégantes. Fou de fringues, il se veut le pape de la religion Kitendi, l’ordre de « ceux qui vénèrent l’étoffe ». Les jeunes s’habillent en coquets dandys, ne négligeant aucun détail, du choix de leurs chaussures à celui de la coupe de cheveux. La Sape prône le culte de la frime et de la flambe. Ce qui a un coût.
En Afrique, son abondante discographie, une cinquante de 45 tours et plusieurs albums, assure déjà à Wemba une excellente notoriété. Il devient en 1984 comédien dans le film franco-zaïrois La Vie est belle. L’Europe, où vit une importante communauté africaine, reste son objectif prioritaire. Il y effectue plusieurs séjours et, à chacun de ses retours à Kinshasa, est attendu par une foule enthousiaste. Les politiques lui font les yeux doux. Mais il refuse tout engagement, bien qu’on lui ait prêté des relations ambiguës avec les fils Mobutu. Papa Wemba finit par s’installer à Paris en 1986. L’Afrique est à la mode, les « sapeurs » envahissent la capitale, et le chanteur zaïrois s’impose très vite comme une star. Dès la fin de cette année-là, il est à l’affiche de Black mic-mac, un film sur les milieux afro-parisiens. Son premier album français sort en 1988. Destin Ya Moto est une sélection de tubes rumba-rock à la sauce kinoise et subtilement mariés à des sonorités pop. Sa rencontre avec l’Anglais Peter Gabriel, musicien et créateur du label Realworld, sera un tournant décisif dans sa carrière. Wemba assure les premières parties lors de tournées européenne et américaine, jouant dans les salles les plus prestigieuses. En France, c’est dans l’immense complexe parisien de Bercy (16 000 places) que les deux artistes se produisent en novembre 1993. Puis la discographie du musicien congolais s’étoffe : Émotion (1995), et, pour fêter ses trente ans de carrière, Bakala Dia Kuba (2001).
Depuis, la piraterie et la crise du marché du disque se sont installées, asséchant la rente que constituait pour les artistes la vente de leurs oeuvres. Championnes de l’esbroufe, les stars congolaises sont prêtes à tout pour continuer à mener grand train. Papa Wemba a-t-il été victime du ngulu ? En lingala, ngulu signifie « cochon », c’est ainsi que les « passeurs » appellent leurs compatriotes prêts à payer très cher pour un visa Schengen. « Des gens ont profité de mon nom pour le pratiquer et, quand je l’ai compris, j’ai été tenté », confesse l’artiste qui reconnaît avoir « aidé » sept personnes. Ses proches, ses fans et son avocat n’excluent pas que sa bonne foi ait pu être surprise et évoquent des complicités consulaires. La justice, elle, s’est donné un peu de temps pour y voir plus clair. Et l’affaire laissera des séquelles profondes dans la société congolaise. La condamnation de l’homme que les siens perçoivent comme un héros serait très mal comprise si elle devait être lourde. Papa Wemba reste pour ses compatriotes un motif de fierté. Une icône qui nourrit les rêves de nombre de jeunes du continent. En la désacralisant, ce procès brise le thermomètre sans faire baisser la fièvre. Celle qui pousse chaque jour des milliers de candidats au départ, dans les bras de « négriers ». Les vrais, cette fois. Verdict le mardi 16 novembre à 16 heures.
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