Mines : « Les États africains ont pris conscience de leur pouvoir »

Code minier, prix de transfert, négociation de contrat… Si les États sont de plus en plus aguerris face aux opérateurs privés, le FMI les appelle à muscler encore leur action contre l’érosion fiscale. Entretien croisé avec trois experts de l’institution.

Dans la mine de cuivre de Kipushi, dans le sud-est de la RDC, exploitée par Invanhoe Mines. © Petrus Saayman.

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Publié le 14 avril 2022 Lecture : 6 minutes.

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Dans 15 pays d’Afrique subsaharienne riches en ressources naturelles, le secteur minier contribue à hauteur de 10 % au produit intérieur brut (PIB). Toutefois, les recettes tirées de l’exploitation minière et revenant aux États ne comptent que pour 2 % du PIB. Ce qui « ne représente pas une “juste” répartition des bénéfices ». Ce constat n’est pas dressé par une ONG mais par le Fonds monétaire international (FMI).

C’est en effet l’un des enseignements d’une étude publiée en septembre 2021 et réalisée par trois experts de l’institution, Giorgia Albertin, chef adjointe de la division Afrique australe du département Afrique du FMI et chef de mission pour la Namibie et l’Eswatini, Dan Devlin, spécialiste des politiques fiscales du département des Finances publiques et Boriana Yontcheva, chef adjointe de la division études régionales du département Afrique du FMI et cheffe de mission pour les Seychelles. Ancienne, la question de la justesse des conventions minières revient sur le devant de la scène alors que les États cherchent à mobiliser des ressources pour financer la relance post-pandémie.

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Si des progrès ont été réalisés en Sierra Leone, au Liberia, au Mali et en Guinée entre autres, il reste encore beaucoup à faire pour rééquilibrer les relations entre opérateurs privés et gouvernements.

Jeune Afrique : Liberia, République démocratique du Congo, Guinée… Plusieurs pays ont renégocié des contrats miniers ou sont en passe de le faire. Les États reprennent-ils le pouvoir face aux acteurs privés ?

Dan Devlin : Je ne dirais pas qu’ils ont plus de pouvoir que par le passé mais plutôt qu’ils ont pris conscience de ce pouvoir. La négociation minière comporte de nombreux risques, surtout quand les discussions se font de façon accélérée et, pendant longtemps, les gouvernements ont eu tendance à les minimiser.

Boriana Yontcheva : Le sujet de la répartition des revenus entre acteurs privés et États, autrement dit de l’érosion fiscale pratiquée par les premiers via le transfert des bénéfices, est très débattu et documenté dans les pays développés, beaucoup moins en Afrique subsaharienne. Or le phénomène existe aussi dans cette zone et les États peuvent être insuffisamment outillés pour y faire face.

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Quelle est l’ampleur de ce phénomène ? Peut-on chiffrer le manque à gagner ?

Giorgia Albertin : Il se lit à travers le décalage entre, d’un côté, l’importance de l’industrie minière dans les économies subsahariennes, les montants considérables d’investissements réalisés, le poids du secteur dans les exportations et, de l’autre, le volume restreint des recettes récoltées. À titre d’exemple, dans le cas de la Guinée, une multinationale a investi dans une mine de bauxite cinq fois plus en pourcentage du PIB que ce que l’État a consacré à l’investissement public depuis 2018. Deux mécanismes sont à l’œuvre. Premièrement, pour attirer les investisseurs, les États réduisent le taux d’imposition pratiqué dans le secteur, ce qui alimente une concurrence fiscale régionale malsaine. Deuxièmement, les opérateurs privés, en grande majorité des multinationales, utilisent le transfert international de bénéfices pour limiter leur assiette fiscale – et donc les impôts à payer – dans les lieux de production.

Les codes miniers sont souvent contournés par les conventions signées entre les États et les opérateurs

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Résultat, on estime la perte d’impôt sur les sociétés à environ 600 millions de dollars par an en moyenne pour l’Afrique subsaharienne. [Dans le cas de la Guinée, le dernier rapport pays du FMI note que ramener de cinq ans à un an la durée de l’exonération d’impôt accordée permettrait de percevoir l’équivalent de quatre fois le budget octroyé à l’agriculture, NDLR.]

Poids du secteur minier dans l’économie en Afrique subsaharienne

Poids du secteur minier dans l’économie en Afrique subsaharienne

De nombreux pays ont pourtant adopté de nouveaux codes miniers ou modernisé leur législation. Ils ne sont pas appliqués ?

G. A. : Les codes miniers sont souvent contournés par les conventions signées entre les États et les opérateurs. C’est ce qui s’est passé en Guinée : le pays a adopté un code contenant les meilleures pratiques du secteur. Mais, nous sommes entrés dans une période de boom de la bauxite et de nombreux nouveaux opérateurs se sont manifestés. Il y a eu des négociations bilatérales suivies de la signature de contrats accordant des exemptions de taxes et d’impôts, contournant le code minier.

B. Y. : Le problème est désormais bien identifié et beaucoup de pays ont engagé des réformes. L’adoption par vingt pays de la zone en octobre 2021 d’un taux d’imposition effectif minimal sur les sociétés de 15 %, fixé par le cadre inclusif OCDE/G20 et devant entrer en vigueur en 2023, va aussi aider. Cela dit, même s’il y a clairement des progrès, il faut poursuivre les efforts car les canaux de fuite de recettes sont nombreux, et après en avoir combattu un, il faut s’attaquer au suivant.

Par où commencer ?

B. Y. : Il existe des bonnes pratiques simples à adopter. Tout d’abord, lors des négociations, le ministre des Finances – dont l’administration est chargée de la collecte des recettes – devrait systématiquement être assis aux côtés du ministre de l’Industrie ou des Mines, qui va lui discuter des modalités techniques et pratiques.

Ensuite, une autre recommandation forte est d’arrêter les négociations mine par mine pour fixer à la place un cadre pour toute l’industrie. Sur ce point, la Sierra Leone, via son Extractive Industries Revenue Act (Eira) adopté en 2018, est un exemple à suivre. Non seulement la loi fixe un régime fiscal unique qui éviter les contrats spéciaux, mais en plus elle impose la transition vers ce système en cas de renégociation des contrats existants. Elle crée aussi une taxe de rente des ressources dont le taux est cohérent avec celui de l’impôt sur les sociétés pour éviter l’optimisation fiscale. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des acteurs privés se disent aussi favorables à l’instauration d’un cadre unique.

La Guinée, le Liberia et le Mali ont renforcé leur protection en matière de prix de transfert

Enfin, les États auraient tout à gagner, comme l’a fait le Liberia, à négocier une meilleure évaluation du prix des minerais exploités, en ligne avec le prix sur le marché mondial.

Sur un plan plus technique et fiscal, quelle est la priorité ?

B. Y. : Il faut fermer les circuits de transfert des bénéfices pour réduire au maximum les profits déclarés à l’étranger. Cela passe notamment par l’encadrement des prix de transfert et par la limitation des déductions d’intérêts et des incitations fiscales. Un mouvement qui doit être régional.

D. D. : Sur ce plan, le Zimbabwe est un cas intéressant. Le pays a adopté une législation claire et ferme sur les prix de transfert et mis à disposition des opérateurs une documentation expliquant les attentes et les sanctions en cas de non-respect des règles ou de non-présentation des documents exigés. Des sanctions qui sont effectivement appliquées le cas échéant. On peut aussi citer la Guinée, le Liberia et le Mali qui ont renforcé leur protection en matière de prix de transfert. L’Afrique du Sud et le Nigeria ont, eux, fixé des limites sur les déductions d’intérêt. Et le Kenya a ajouté une disposition contre le chalandage fiscal à sa politique relative aux conventions fiscales.

Est-ce que les États ont les moyens de mettre en œuvre ces réformes ?

B. Y. : Là aussi, il y a eu une prise de conscience de la nécessité de renforcer les administrations fiscales en investissant dans la formation, en sollicitant l’appui technique du FMI, de l’OCDE, de la Banque mondiale, notamment, en recourant à des cabinets juridiques et de conseil. C’est un changement de long terme mais il est amorcé.

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