Le prix de la démocratie

Publié le 3 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Depuis une décennie au moins, la démocratie est vraiment à la mode, un « must » comme on dit en anglais, à tel point que ceux qui en récusent le principe se comptent désormais sur les doigts d’une main, ou presque : Kadhafi, Castro, les dirigeants chinois, ceux de la Corée du Nord, de la Birmanie, de l’Arabie saoudite et quelques autres du même acabit.
Plus nombreux sont les dirigeants politiques qui, sous la contrainte intérieure ou extérieure, se sont résignés à se dire démocrates. Ils font semblant de croire en la démocratie et feignent de la pratiquer, mais trichent autant qu’ils le peuvent et s’arrangent pour gagner à un jeu dont ils n’appliquent les règles que pour la galerie.
Pour eux et chez eux, la démocratie est en vitrine, et « la cuisine électorale », elle, se mijote à l’abri des regards.
Ces faux démocrates sont une bonne centaine : plus de la moitié des pays membres de l’ONU sont dirigés par des hommes et des femmes politiques non démocrates.
Restent les pays où la démocratie est entrée dans les moeurs, au point de faire partie du mode de vie et d’apparaître comme un ensemble de droits acquis sans lesquels la population ne s’imagine pas vivre. Ces nations, que j’appellerai de démocratie installée, ne sont, aujourd’hui encore, qu’une cinquantaine (dont l’Inde) et ne rassemblent que le tiers environ de l’humanité.

Cela dit, dans ces derniers pays, tout autant que dans la centaine la démocratie n’est que formelle, le système démocratique souffre d’une tare dont on ne parvient pas à le guérir : le droit de vote n’y est pas considéré comme un devoir et ne bénéficie pas des conditions optimales qui permettent de l’exercer.
On est effaré d’observer que dans tous les pays et sur tous les continents le pourcentage de non-inscrits est toujours élevé et, le jour où les électeurs sont appelés à voter pour choisir leurs représentants ou le président, la moitié des inscrits seulement se rendent aux urnes. Rarement plus, et parfois moins.
Nulle part le peuple souverain ne se déplace massivement pour voter, de sorte qu’un droit conquis de haute lutte par nos parents ou grands-parents est négligé par beaucoup trop d’entre nous.
Ce qui a fait dire à un démocrate : de même qu’il n’y a guère de différence à la longue entre celui qui ne lit pas et celui qui ne sait pas lire, de même la démocratie s’effiloche lorsque trop peu de citoyens se soucient de se rendre aux urnes lorsqu’on les y appelle.
On le déplore, mais que faire ? Et, d’abord, pourquoi en est-il ainsi ?

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Pour deux raisons principales :
– Les listes électorales : leur établissement est très imparfait, surtout dans les pays où la démocratie est un phénomène nouveau. Là, plus de la moitié des électeurs, parfois les deux tiers, ne peuvent s’inscrire sur les listes et, de ce fait, n’ont pas la possibilité de voter.
On ne les y incite pas, on ne leur facilite pas l’inscription et ils demeurent exclus de l’exercice d’un droit fondamental : là où il en est ainsi, le suffrage est donc, de fait, réservé à une élite.
– Ni bâton ni carotte : hormis en Belgique et en Turquie – et dans quelques autres pays où le vote est obligatoire, sous peine d’amende -, il n’y a aucune sanction quand on ne remplit pas son « devoir électoral ».
Ni récompense pour ceux qui se font une obligation de se déplacer et de consacrer du temps pour aller voter.

Vous savez qu’on vote, en ce début novembre 2004, aux États-Unis, pour élire le président, le tiers des sénateurs et la totalité des membres de la Chambre des représentants. Mais savez-vous que, de toutes les grandes démocraties, ce pays est celui où la tendance à ne pas s’inscrire sur les listes électorales est la plus forte et où, de surcroît, moins de la moitié des inscrits se dérangent pour aller voter ?
On nous dit que, cette année, la passion aidant et les deux candidats à la présidence ayant des chances égales de l’emporter, le pourcentage des votants sera plus élevé que d’habitude. Peut-être, mais il sera encore beaucoup trop bas.
On s’en inquiète tellement que plusieurs personnalités américaines viennent de proposer une thérapie originale pour guérir leur société de la double et déplorable particularité indiquée ci-dessus.

Comment inciter les uns à s’inscrire et les autres à exprimer leur suffrage ? « Très simple, disent ces personnalités américaines ingénieuses et qui n’oublient pas un instant que, dans leur pays plus qu’ailleurs, l’argent est au centre de tout, le moteur principal de toute action, il faut instaurer une loterie (!) dotée d’un grand prix de 10 millions de dollars, de plusieurs prix de 1 million de dollars chacun et de dizaines d’autres prix moins importants.
Tous ceux qui ont voté reçoivent, à l’instant où ils ont accompli leur devoir, gratuitement, le billet de participation à cette loterie et, par conséquent, une chance de gagner un des nombreux prix.
Faites savoir qu’il y a une récompense réservée à plusieurs centaines de ceux qui se seront rendus aux urnes et vous verrez que, dans les entreprises comme au sein des familles, on ne parlera que de cela. Chacun incitera l’autre à aller voter et la participation tendra vers 100 % des électeurs.
D’où viendra l’argent pour payer les prix ? De l’État ou, mieux encore, des entreprises qui voudront voir leur nom associé à cette opération nationale. Elles se battront pour payer et on aura même l’embarras du choix.
On pourra d’ailleurs, si on le préfère, recourir à un « mixage » État-entreprises pour distribuer encore plus d’argent, doter la loterie d’un plus grand nombre de prix, ou faire qu’ils soient plus élevés. »

Cette idée typiquement américaine est encore, même dans ce grand pays où l’on ne craint pas d’innover, au stade de la proposition.
J’avoue être séduit, même si, d’emblée, j’ai été, comme vous l’êtes sans doute en ce moment, choqué par la perspective de lier la démocratie à l’argent, de polluer la première par le second.
Mais à y réfléchir, cet inconvénient est-il plus grand que les avantages ?
Le risque de voir l’appât du gain faire oublier à certains électeurs qu’en votant ils accomplissent un acte de poids et que la démocratie n’est pas un jeu, ce risque existe évidemment.
Mais les avantages paraissent nombreux :
Faire participer effectivement aux scrutins (presque) tous les citoyens d’un pays en âge de voter est effectivement le plus important. Mais donner à chaque scrutin un intérêt supplémentaire lié aux facteurs jeu, gain et chance, être en mesure de communiquer à la télévision, le soir même du scrutin ou le lendemain, en même temps que la liste des élus, celle des gagnants à la loterie électorale, n’est-ce pas tentant ?
Plus particulièrement pour les pays où la démocratie est neuve et où s’inscrire pour pouvoir voter est encore bien difficile…

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Je rappelle que le problème qui nous est posé est : que faire pour que tous les électeurs, dans tous les pays, s’inscrivent sur les listes et votent lorsqu’ils sont appelés à le faire ? Si on rejette l’idée américaine exposée ci-dessus, il faut adopter le système qui fait de la participation aux scrutins nationaux une obligation pour chaque membre du corps électoral.

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