« Ils n’écoutent plus personne ! »

Les jeunes Algériens et les vétérans de la guerre de libération ne sont pas aujourd’hui nécessairement sur la même longueur d’onde.

Publié le 3 novembre 2004 Lecture : 3 minutes.

Avenue Belkacem-Krim, à Alger. Sur le perron d’un immeuble du quartier de Télemly, un homme se tient debout, l’il vif, le regard pénétrant. Seule sa chevelure couleur de neige trahit son âge et les années envolées. L’homme a toute une vie de lutte derrière
lui. D’abord, dans l’armée française, avec laquelle il participa aux combats de la Seconde Guerre mondiale, puis au sein du mouvement nationaliste. En juillet 1954, il assista à la fameuse « réunion des vingt-deux » qui, trois mois plus tard, déboucha sur la création du Front de libération nationale (FLN). Son nom ? Mohamed Mechati.
Quand il évoque les idéaux de la Révolution, l’ancien moudjahid se montre aujourd’hui très amer. Après tant de morts et tant de larmes, il avait rêvé d’une autre Algérie : un pays « moderne, où règnent liberté, justice et dignité ». La politique actuelle ne lui inspire que des commentaires désenchantés. Les réformes ? « On en parle depuis Boumedienne. » La corruption ? « Elle est en haut lieu, mais il n’y a jamais de sanctions, on se fout du monde. » Est-ce à dire que le pays va droit dans le mur ? Les jeunes, qui constituent près des trois quarts de la population, ont leurs propres aspirations. À en croire Mechati, ils sont « désabusés parce qu’on n’a jamais pensé à eux ». Il est difficile de leur parler parce qu’« ils n’écoutent plus personne ». Malgré tout, dans les conférences-débats sur la Révolution auxquelles il participe, il tente de les convaincre de s’impliquer davantage dans la politique, comme le firent ceux qui, en octobre 1988, descendirent dans la rue pour crier leur colère et exiger plus de liberté et de justice.
Mouloud fut de ceux-là. Plus qu’un repère historique, la date du 1er novembre 1954 représente pour lui la naissance de la nation algérienne. Mais il estime que les valeurs exaltées par la proclamation rédigée par Mohamed Boudiaf et Mourad Didouche ont fait long feu dans l’Algérie indépendante. « Les notions de respect de l’individu, de démocratie et de liberté religieuse ont été détournées par les gens qui étaient au pouvoir, alors que certains d’entre eux n’avaient même pas participé aux combats. Ils ont galvaudé l’esprit de Novembre », tranche-t-il.
Tout Algérien apprend, dès sa troisième année d’école primaire, l’histoire officielle de la guerre de libération. Tous les 1er novembre, dans la plupart des villes et des villages du pays, une gerbe est déposée sur la tombe du chahid (martyr) anonyme. Pour Salaheddine Hallas, jeune étudiant à l’École nationale d’administration, cette date reste « très chère ». Parmi ses proches, il compte plusieurs anciens moudjahidine, « des vrais, pas ceux du cessez-le-feu », ces opportunistes qui ne se sont engagés que lorsque
l’indépendance n’a plus fait aucun doute. Les plus cyniques se sont même inventé des états de service imaginaires pour bénéficier des avantages réservés aux anciens combattants. « Une honte », juge Salaheddine. Pour ce futur haut fonctionnaire, rien n’est plus sacré que la lutte pour l’indépendance.
Ses camarades de promotion croient, eux aussi, en une Révolution presque idéale menée par des jeunes qui avaient le même âge qu’eux aujourd’hui. « Ils étaient la voix du peuple, ils ont dit non à la domination étrangère », affirme Zaïna. « La Révolution enseigne l’espoir, renchérit Ahcène Gheroufella. Après l’indépendance, il y a eu des détournements, mais la démocratie ne se construit pas en un jour. » Tous en sont convaincus : le combat n’est pas terminé. À chaque génération sa révolution. Ahcène attend impatiemment de faire la sienne. « Ce sera de gagner la bataille du développement », soupire-t-il.

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