Côte d’Ivoire – Maison des musiques d’Afrique et du monde : « Cette fois, pas sans nous… »
La civilisation africaine, fondée sur l’immatériel et la créativité, a trop longtemps été niée, étouffée, piétinée. Il est grand temps qu’elle retrouve la place qu’elle mérite, et la future MMAM pourrait y contribuer…
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Gauz
Écrivain ivoirien, auteur de « Debout payé » (2014), « Camarade papa » (2018), et « Black Manoo » (2020).
Publié le 19 mars 2022 Lecture : 7 minutes.
Il est clairement identifié que le monde d’aujourd’hui s’est construit sur la base de deux civilisations aux caractéristiques diamétralement opposées, voire antagonistes. D’une part, la civilisation occidentale au socle matérialiste ; d’autre part, la civilisation négro-africaine aux assises immatérielles. La religion, l’amour, la beauté, la mort, le pouvoir, la richesse, la sagesse, etc. Chacune d’elle a conçu son rapport au monde, à la vie, à son environnement, et l’a transmis, de génération en génération, aux âmes qui les habitent. Aucune d’elle n’est meilleure que l’autre. Elles sont juste différentes.
Soumission des corps et des terres
Seulement voilà, le monde n’est pas une succession de cloîtres. Le développement séparé y est une chimère qui ne résiste pas à la nature profondément curieuse et nomade de l’humain. Les civilisations refaçonnent constamment leurs valeurs à travers la rencontre souvent, les échanges toujours, la prédation parfois. Même dans les conflagrations les plus violentes, ces deux civilisations prennent tellement l’une à l’autre, l’autre à l’une, qu’au bilan de l’Histoire, malgré les discours dominants, il est malaisé de proclamer un vainqueur.
Chez un humain, une valeur d’ici qu’on ajoute à une de là-bas ne s’accumule pas, les deux fusionnent. Quand, au nom du seul profit, la civilisation occidentale s’est jetée sur sa cousine négro-africaine, c’est avec une violence inouïe qu’elle a soumis les corps et les terres. Pour la première fois dans l’Histoire, racisme, condescendance et volonté de déshumanisation sont devenus systèmes d’échange et d’exploitation pendant des siècles. La déportation transatlantique, la colonisation et ses répliques néocoloniales ont profondément bouleversé les deux sociétés, et porté sur les fonts baptismaux le seul discours du dominant. Au point d’en oublier la règle d’or de la mathématique humaine : une valeur d’ici qu’on ajoute à une de là-bas ne s’accumule pas, les deux fusionnent.
Seulement voilà, on ne se dénude pas de sa nature profonde, on ne baisse jamais des armes d’âmes forgées pendant des millénaires. La résistance africaine la plus coriace n’a jamais été dans aucun combat, aucune bataille, aucune guerre. La résistance africaine s’est toujours faite dans la nature même de sa civilisation : l’immatériel.
Réécrire l’Histoire à l’endroit
L’Occident a commis l’erreur historique de croire soumettre par le feu et le fer des peuples qui gardent la création dans la créativité ; qui tiennent au territoire plus qu’à la terre ; qui chérissent les toits plus que les murs ; qui savent les chemins au mépris des routes ; qui entendent le destin mieux que la destination…
On ne peut soumettre ceux qui ont mis leur essence dans les airs, dans les nuages
On peut entraver tels peuples, on peut les assigner à résidence, mais on ne peut les soumettre. On ne peut soumettre ceux qui ont mis leur essence dans les airs, dans les nuages. Partout, ils sauront la faire pleuvoir, ils connaissent la règle d’or de la mathématique humaine : une valeur d’ici qu’on ajoute à une de là-bas ne s’accumule pas, les deux fusionnent. Alors que les mains qui les ont créées étaient ferrées, l’art moderne est né de la rencontre avec des statuettes taillées dans les confins des forêts africaines. Il s’est fait sans elles.
Alors que les corps qui l’ont signée ployaient sous les charges, la danse moderne s’est inventée en imitant leur grâce. Elle s’est faite sans eux. Alors que les gorges qui la criaient étaient étranglées, la chanson moderne s’est créée en imitant leur souffle. Elle s’est faite sans elles. Alors que les doigts qui l’égrenaient étaient honteux, la musique moderne s’est composée en mimant leur jeu. Elle s’est faite sans eux… Des déserts d’Australie aux neiges des pôles, des brumes d’Angleterre aux embruns des Amériques, la culture mondiale est sous perfusion négro-africaine. Pourtant, elle se fait sans l’Afrique. Il est temps de réécrire à l’endroit cette histoire-là.
« Africa is the future ! »
La Côte d’Ivoire accueille un projet culturel d’envergure planétaire : la MMAM, future Maison des musiques d’Afrique et du monde. 15 hectares d’une cité qui concentrera pour la première fois dans le monde, en un lieu unique, artistes, compositeurs, labels, producteurs, diffuseurs, distributeurs, techniciens du spectacle, métiers du son et de la lumière, ingénieurs, mixeurs, monteurs, bookers, managers, danseurs, cinéastes, vidéastes, créateurs de jeux vidéo… Tous les métiers directs ou connexes à la musique y sont présents.
Salle de spectacles de plus de 3000 places, salle de danse, studios d’enregistrement, studios de répétition, résidences d’artistes, espaces de coworking, pôle professionnel, théâtre de verdure, plaine festive… le tout arrimé aux dernières technologies, les chiffres de la MMAM donnent le tournis, ses ambitions sont éléphantesques. Avec un tel projet, la Côte d’Ivoire reprend en main continentale non seulement un combat civilisationnel, elle le fait en le plaçant dans une logique de création d’une industrie culturelle qui pèse des milliards de dollars dans le monde.
Rappeler au monde un « qui » oublié, revivre pour et avec son immatérialité, là se trouve la révolution MMAM
Pour la première fois depuis les indépendances, une idée maîtresse adossée à une structure à 360° de compétences locales et internationales se projette dans la création véritable d’une richesse nationale sans fendre le ventre de la terre, sans raser le couvert végétal, sans corrompre les eaux des rivières et des fleuves. Être sans se dédire, renaître sans se pervertir, rappeler au monde un « qui » oublié, revivre pour et avec son immatérialité, là se trouve la révolution MMAM.
Nous avons retenu les leçons du passé. Cette fois, l’Histoire ne s’écrira pas sans nous. Pas sans nous, artistes ; pas sans nous, créateurs ; pas sans nous, acteurs et professionnels de la culture ; pas sans nous, héritiers des armes des âmes anciennes ; pas sans nous, jeunesse continentale de 19 ans de moyenne qui fait crier au monde « Africa is the future ! »
Vous tous, dirigeants qui vous battez pour que nous revienne notre essence, votre rêve, nous vous l’avons instillé, inspiré, soufflé, infusé, distillé, nous peuples des éthers de la beauté du geste. Chaque pierre d’une telle maison ne peut se dresser sans nous. Vous tous dirigeants, nous vous appelons à nous appeler, nous qui n’avons pas oublié la mathématique universelle qui veut qu’une valeur d’ici qu’on ajoute à une de là-bas ne s’accumule pas, les deux fusionnent. Chez nous, et à partir de chez nous, cette fois, pas sans nous…
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