Pourquoi il faut éradiquer la polio

Alors que la poliomyélite resurgit sur le continent, la directrice régionale de l’OMS rappelle combien la pandémie de Covid-19 a entravé la lutte contre cette maladie qui, avant 2019, était presque éradiquée. Et souligne l’urgence de la combattre au Malawi.

Vaccination contre la poliomyélite dans un camp de réfugiés, à Imvepi, dans le nord de l’Ouganda, près de la frontière avec le Soudan du Sud, le 1er mai 2017. © Jiro Ose/Redux-REA

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  • Matshidiso Moeti

    Le Dr. Matshidiso Moeti est la Directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique.

Publié le 24 mars 2022 Lecture : 4 minutes.

Dans les environs de Lilongwe, la capitale du Malawi, là où les routes goudronnées laissent place à des chemins de terre, une poliomyélite non diagnostiquée a paralysé une fillette de 3 ans, bouleversant sa vie à jamais. Le Malawi n’avait pas connu de cas de poliovirus sauvage [n’appartenant pas à une souche vaccinale] depuis 1992 et, pour beaucoup, cette maladie n’était plus qu’un vieux souvenir.

Difficile diagnostic

Durant la décennie 1990, la poliomyélite a paralysé chaque année plus de 75 000 enfants africains. Mais, à la suite de campagnes de vaccination de masse couplées à une surveillance très stricte, le poliovirus sauvage a été officiellement bouté hors de l’Afrique subsaharienne il y a moins de deux ans. Nous sommes passés de 300 000 cas en 1985 à zéro cas en 2020, au moment même où la pandémie de Covid-19 sévissait.

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La poliomyélite est une infection virale, qui provoque une détérioration du système nerveux, et, dans certains cas, une paralysie pouvant déboucher sur une invalidité permanente, voire sur le décès du patient. Elle se transmet principalement par de l’eau ou des aliments contaminés, et les symptômes – fièvre, maux de gorge, maux de tête, douleurs dans les bras et les jambes – sont tellement banals qu’une infection déclarée est souvent difficile à diagnostiquer avant que l’atteinte paralytique ne se manifeste.

En Afrique, les derniers cas s’étaient manifestés dans le nord du Nigeria, frappé par la guerre

Alors que cette maladie reste endémique en Afghanistan et au Pakistan, avec une douzaine de cas identifiés par an dans chacun de ces pays, elle a été éradiquée à peu près partout ailleurs. Le continent américain en a été déclaré exempt en 1994 ; la Chine, l’Australie et les pays du Pacifique occidental en 2000 ; l’Europe en 2002 ; l’Asie du Sud-Est en 2011. En Afrique, les derniers cas de poliovirus sauvage se sont manifestés dans le nord du Nigeria, en 2016, région où la guerre et son cortège d’horreurs ont fait reculer la vaccination.

Au cours de ces deux dernières années, dans de nombreuses autres parties du monde, la pandémie de Covid-19 a entravé le combat contre les maladies évitables par la vaccination, parmi lesquelles la poliomyélite. Ainsi, en 2020, pendant quatre mois, les campagnes contre la polio ont été suspendues dans plus de trente pays. Plus généralement, les services de vaccination ont été désorganisés. Cette situation a privé des dizaines de millions d’enfants de vaccin contre la polio. La petite malawite de 3 ans, désormais paralysée à vie, fait partie de ces victimes.

Le cas détecté au Malawi constitue un revers dans la lutte mondiale contre la maladie

Nous connaissons aujourd’hui suffisamment bien le poliovirus sauvage pour savoir que ce cas au Malawi a été importé du Pakistan. Il ne remet pas en cause le statut de l’Afrique, « région certifiée exempte du poliovirus ». Mais il constitue un revers dans la lutte mondiale contre la maladie. Si la transmission n’est pas arrêtée d’ici aux douze prochains mois, le continent pourrait perdre sa certification. La poliomyélite crée trop de ravages, sur le plan humain comme sur les systèmes de santé, pour que nous laissions cette situation se reproduire.

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Porte-à-porte

La présence du virus et ses origines génétiques sont détectables par le biais de prélèvements réalisés dans les égouts urbains, raison pour laquelle nous avons lancé des opérations de surveillance à Lilongwe et dans les villes des pays avoisinants.

Nous avons également envoyé des personnels de santé faire du porte-à-porte au Malawi, afin d’identifier les familles dont les enfants sont victimes de paralysies inexpliquées, puis de procéder à des analyses qui détermineront si la poliomyélite en est la cause.

La prochaine campagne de vaccination vise plus de 23 millions d’enfants, au Malawi et dans les pays voisins

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Avec le soutien de partenaires locaux et étrangers, les gouvernements de la région ont lancé une campagne de vaccination intensive. Elle vise plus de 23 millions d’enfants au Malawi et dans les États voisins : Tanzanie, Zambie, Mozambique et Zimbabwe.

Le vaccin doit être administré en plusieurs doses. Couvrir les zones aussi bien urbaines que rurales requiert une logistique spécifique, ainsi que du personnel qualifié, qui puisse transporter ces doses en nombre suffisant.

Retombées économiques

Heureusement, nous bénéficions des enseignements tirés de ces dernières années d’expérience en Syrie et en Somalie, où, en dépit des défis que constituent les conflits armés et l’insécurité, le programme de lutte contre la poliomyélite a rapidement arrêté la propagation de poliovirus importés. 

Que l’Afrique ait obtenu, il y a deux ans, le statut de continent exempt de la poliomyélite n’est pas dû au hasard. Cette certification est le fruit de décennies d’engagement de la part des gouvernements, des populations et des partenaires étrangers. L’expérience que nous avons acquise nous permet d’agir rapidement pour maîtriser une éventuelle flambée des cas.

On estime qu’on a sauvé 180 000 personnes et évité à 1,8 million d’enfants dans le monde de devenir invalides

Pour les populations, le bénéfice est immense. Selon nos projections, les campagnes d’éradication de la polio ont sauvé la vie à 180 000 personnes et évité l’invalidité à 1,8 million d’enfants de par le monde. La disparition de cette maladie a également des retombées économiques positives, estimées à 50 milliards de dollars d’ici à 2035, dont la majeure partie va aux pays à faibles revenus, libérés de la gestion de cette terrible menace sanitaire.

Éliminer la poliomyélite ne répond évidemment pas qu’à des considérations économiques. Cette maladie est source de souffrances, dont nous pouvons débarrasser les populations du monde entier. Chaque enfant paralysé est une victime de trop.

Les cas de poliovirus sauvage n’ont jamais été aussi peu nombreux sur la planète, et nous avons une chance historique de briser définitivement la chaîne de transmission de ce virus. Pour cela, les gouvernements, partout en Afrique, et surtout dans en Afrique australe, doivent s’associent à nos efforts, renforcer la surveillance, faire vacciner leurs enfants et nous remettre sur la bonne voie afin de débarrasser la Terre de ce fléau.

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