OIF – Louise Mushikiwabo : « L’agression de l’Ukraine par la Russie est totalement inacceptable »
Le 16 mars, l’Organisation internationale de la francophonie a adopté une résolution condamnant l’offensive de Moscou. Un quasi-consensus qui n’a pas été facile à trouver, explique la secrétaire générale de l’organisation.
Réunie en session extraordinaire à Paris le 16 mars, la conférence ministérielle de la Francophonie a adopté une résolution sur l’Ukraine qui « réprouve avec vigueur, et dans les termes les plus énergiques, l’agression militaire de l’Ukraine par la fédération de Russie ». Sur les 54 États représentés, seuls quatre ont émis des réserves : le Cameroun, Madagascar, le Vietnam et l’Arménie.
Ce quasi-consensus n’a pas été facile à obtenir pour la secrétaire générale Louise Mushikiwabo, laquelle avait, le 4 mars, exprimé dans Jeune Afrique, et à titre personnel, un point de vue conforme à celui de la résolution dite « Agression contre l’Ukraine » de l’Assemblée générale des Nations unies. Elle s’en explique ici.
Jeune Afrique : Il a fallu attendre près de trois semaines pour que la conférence ministérielle de la Francophonie produise une résolution condamnant l’agression russe contre l’Ukraine. Pourquoi ce délai ? Le consensus a-t-il été si difficile à obtenir ?
Louise Mushikiwabo : Cette agression de l’Ukraine par la Russie est totalement inacceptable et a surpris beaucoup de nos membres, en particulier ceux qui sont assez éloignés du périmètre géographique de la guerre. En échangeant avec plusieurs dirigeants, j’ai perçu tout de suite qu’il y avait une approche et un positionnement différenciés. En ma qualité de secrétaire générale, je ne pouvais m’exprimer que pour une partie, aussi grande soit-elle, des membres de notre organisation.
Certains parmi eux hésitaient, ils voulaient d’abord comprendre et, peut-être, anticipaient-ils déjà le rééquilibrage des rapports de force dans le monde après cette crise. Je les ai donc invités à débattre, à prendre une position institutionnelle, en saisissant l’occasion de cette 40e session extraordinaire de la conférence ministérielle de la Francophonie, déjà programmée le 16 mars. Le but était d’écouter la voix de chacun pour que l’OIF en sorte avec une autorité politique et morale beaucoup plus importante.
L’ADN de l’OIF, c’est la discussion, le débat direct pour coconstruire
Avant cette réunion ministérielle, des séances de discussion ont eu lieu. Les États ont pu exprimer leurs points de vue. Après une semaine d’échanges, entre les ambassadeurs et représentants ici à Paris, nous avons passé une demi-journée, ce 16 mars, sur le sujet de l’Ukraine. Nous avons conduit un processus diplomatique très musclé pour rapprocher les points de vue. Certains États appelaient même à trancher par un vote. Mais je savais que ça n’était pas idéal pour la cohésion de l’organisation. Vers 19h, on a pu trouver un consensus dont je me réjouis tout particulièrement.
C’est aussi cela la force de la Francophonie. Notre organisation doit écouter et donner de la place à tous ses États, grands et petits. Elle reflète une grande diversité dans la manière de penser, de voir les choses et d’affronter le monde. L’ADN de l’OIF, c’est la discussion, le débat direct pour coconstruire.
Le consensus a été très difficile à obtenir, je dois l’avouer. Mais j’ai beaucoup insisté pour qu’on parle d’une seule et même voix. Et à l’arrivée, la résolution a été adoptée avec seulement quatre réserves sur 54 États.
D’anciens dirigeants de l’OIF, Jean-Louis Roy et Roger Dehaybe, ont critiqué début mars ce qu’ils appellent « le silence de la Francophonie » dans un conflit impliquant un État membre observateur de l’organisation. Cette prise de position vous a-t-elle ébranlée ?
Je n’ai pas de commentaires à faire sur ce qu’ont pu dire d’anciens dirigeants. L’OIF n’est plus la même qu’il y a vingt ou trente ans. Ses membres ont doublé, et elle se transforme en profondeur pour s’adapter aux évolutions du monde.
Les manipulations de l’information et de nos populations, avec la vulgarisation des outils numériques, sont un vrai fléau
La résolution du 16 mars s’inquiète des conséquences néfastes de la désinformation dans cette crise. Qu’entendez-vous par là?
L’ordre du jour de la conférence comportait déjà un point consacré au phénomène de désinformation de manière générale et au sein de l’espace francophone en particulier. C’est un constat que, au-delà de la crise ukrainienne, les manipulations de l’information, mais aussi et surtout de nos populations, avec notamment la vulgarisation des outils numériques, sont un véritable fléau.
L’OIF est engagée sur ce chantier depuis quelques années, à travers des programmes pour développer l’esprit critique des populations et alerter par rapport aux méfaits de la désinformation. Cette crise ukrainienne n’est pas épargnée, et c’est un vrai sujet d’inquiétude, même en dehors des contextes de guerre.
La résolution dénonce également les discriminations aux frontières dont sont victimes les réfugiés d’origine africaine. À qui cela s’adresse-t-il ?
Il s’agit d’une réprobation des discriminations contre les étrangers de manière générale. Il se trouve que les premières images après le déclenchement de la guerre montraient des ressortissants africains, majoritairement étudiants, exclus des prises en charge alors qu’ils cherchaient eux aussi à fuir.
Nous ne pouvons pas offrir l’humanité et les droits à une partie des êtres humains et en laisser d’autres de côté. Il est inacceptable, dans un contexte de fragilité humaine et de vulnérabilité, de ne pas traiter les êtres humains de la même manière. C’est contraire à toutes les conventions internationales relatives aux réfugiés.
Craignez-vous que cette situation en Europe compromette la tenue du sommet de Djerba en novembre prochain?
Je souhaite évidemment que la guerre ne se prolonge pas jusque-là. Ce conflit affecte plusieurs de nos membres. J’espère que des solutions seront trouvées très rapidement pour y mettre fin et abréger les souffrances du peuple ukrainien et de toutes les victimes, proches ou lointaines, de cette guerre.
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