Bas les armes !

Désengagement, regroupement de la grosse artillerie, établissement de la liste des combattants appelés à quitter l’uniforme… Sauf la volonté politique de l’entreprendre, tout est prêt pour le désarmement.

Publié le 3 novembre 2004 Lecture : 5 minutes.

La désillusion, ou pis encore, le fatalisme, serait-il en passe de l’emporter sur les espoirs de paix suscités en Côte d’Ivoire par l’Accord d’Accra III du 30 juillet 2004 ? Après l’échéance du 30 septembre 2004, arrêtée pour l’adoption des réformes politiques, notamment celle portant révision de l’article 35 de la Constitution relatif aux conditions d’éligibilité à la présidence de la République, c’est la phase de désarmement, qui devait démarrer le 15 octobre, qui est, elle aussi, renvoyée à des lendemains meilleurs. Malgré une démarche commune entreprise le 11 octobre 2004 auprès du président Laurent Gbagbo par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci, loyalistes) d’une part, les Forces armées des Forces nouvelles (ex-rébellion), de l’autre, rien de concret n’est sorti des discussions menées pendant plusieurs jours entre les différents chefs militaires, sous l’égide des troupes françaises et des Casques bleus de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Si les deux parties se rejettent la responsabilité du blocage du processus de réconciliation nationale, elles se gardent bien de prendre le risque d’une rupture du dialogue ou de revenir sur « l’adieu aux armes » et le serment de paix du 4 juillet 2003. « C’est un fait et une certitude que les plus hautes autorités de l’État et les responsables militaires de tous bords refusent l’option militaire », souligne Albert Tévoédjrè, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies. Le diplomate béninois énumère quelques « avancées notables » arrachées, ces derniers mois, aux frères ennemis ivoiriens : le désengagement et le regroupement de l’armement lourd, le démantèlement des postes de contrôle non autorisés, le dépôt par les protagonistes de la liste des effectifs concernés par le processus de désarmement, les 700 enfants-soldats (enrôlés dans la rébellion) pris en charge par l’Unicef…
Le Premier ministre Seydou Elimane Diarra, lui aussi, veut croire à la paix. « La reprise de la guerre est impossible et ne peut, en aucun cas, être envisagée comme solution à la résolution de la crise ivoirienne », a-t-il martelé le 22 octobre. Ces différentes professions de foi n’empêchent pas le constat que la paix en Côte d’Ivoire se heurte, une fois de plus, à deux logiques contradictoires dont les ressorts ne sont pas dénués d’arrière-pensées.
Pour Gbagbo, il ne pourra y avoir d’avancées significatives des réformes sans un début de désarmement. À ses yeux, l’affirmation de l’autorité de l’État et ses engagements en termes législatifs passent par la réunification du pays et le redéploiement de l’administration sur toute l’étendue du territoire national. Cette approche légaliste trouve tout son sens dans le recours à la procédure du référendum imposée par la Constitution pour toute révision « ayant pour objet l’élection du président de la République ».
Comme pour mieux justifier le préalable du désarmement, Gbagbo s’en réfère également aux articles 126 et 127 de la Loi fondamentale qui établissent une corrélation entre l’obligation de recourir à la voie référendaire et l’interdiction d’engager une procédure de révision « lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Dans un discours à la nation prononcé le 12 octobre 2004, il a tout à la fois réaffirmé l’option irréversible de la réconciliation nationale et sa détermination à faire aboutir les projets de loi une fois le désarmement « amorcé ». Dans ce registre, et c’est sans doute la première fois que cela est dit de façon explicite et solennelle, il s’est engagé « dès que le désarmement démarrera, à introduire au Parlement le projet de révision de l’article 35 de la Constitution sur l’éligibilité ».
C’est une logique tout autre qui sous-tend la position des adversaires du chef de l’État. En se fondant sur le rapport de force sur le terrain et sur l’occupation par ses hommes de la frange septentrionale du territoire, Guillaume Soro, le leader de l’ex-rébellion, faisant fi de tout juridisme, privilégie l’option politique. Il exige l’adoption sans préalable des réformes politiques inscrites dans l’Accord de paix de Marcoussis de janvier 2003, réactivé le 30 juillet 2004 par celui d’Accra III. Cette divergence de perception du processus de sortie de crise se focalise principalement sur la révision de l’article 35 de la Constitution et la garantie définitive de l’éligibilité de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara, écarté de la course à la magistrature suprême au motif qu’il ne serait pas « ivoirien de naissance né d’un père et d’une mère eux-mêmes ivoiriens de naissance ».
L’impasse, notamment autour du programme de Démobilisation, Désarmement et Réinsertion (DDR), n’est pas sans conséquences sur la crédibilité du gouvernement d’union nationale et sur l’autorité du Premier ministre Seydou Diarra lui-même, qui en avait fait son principal cheval de bataille. Pour autant, cet homme rusé n’entend pas rendre son tablier, comme l’exigent les responsables du Front populaire ivoirien, le parti du président Gbagbo : « J’entends poursuivre ma mission avec la même détermination, la même sérénité et la même espérance de la conduire à son terme », a-t-il rappelé, avant d’inviter les députés à s’investir « totalement » dans l’examen et l’adoption des réformes politiques, et les partisans de Guillaume Soro à s’engager « résolument et pleinement » dans un processus de désarmement qui devrait toucher quelque 30 000 ex-combattants, parmi lesquels 25 000 ex-rebelles.
Le blocage actuel met-il en péril l’ensemble du processus de réconciliation nationale ? Habitués aux volte-face des protagonistes de la crise ivoirienne, les responsables de l’Onuci et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) n’en gardent pas moins espoir. « Si, comme le proclame l’Unesco, c’est dans l’esprit des hommes que naît la guerre, le désarmement ne peut commencer que dans l’esprit des hommes et des responsables ivoiriens, souligne Tévoédjrè. Il a commencé de toute évidence et se poursuivra puisque tout combat finit faute de combattants. »
« Fatigués », comme ils le disent souvent dans un langage où l’humour le dispute à la résignation, ils ne sont pas prêts à accepter la surenchère « guerrière ». Même si ex-rebelles et loyalistes s’accusent mutuellement de continuer à s’armer. À un an du scrutin présidentiel prévu en octobre 2005, il ne fait aucun doute que l’internationalisation du conflit ivoirien et l’implication de la communauté internationale, incarnée aussi bien par les Nations unies que par la Cedeao, s’accompagneront, à la longue, de pressions politiques et diplomatiques en vue d’amener, une fois pour toutes, les différents acteurs ivoiriens à respecter les engagements pris à Marcoussis et dans la capitale ghanéenne.
Après s’être longtemps cantonnée à une interprétation rigide de l’Accord de Marcoussis, la France officielle elle-même semble désormais privilégier une vision plus pragmatique du dossier ivoirien, faite de persuasion, de patience, et prenant en compte le désir profond de la majorité des Ivoiriens de sortir définitivement de la guerre. Plusieurs scénarios de désarmement « plus souple », voire de « grignotages » successifs, sont actuellement à l’étude qui devraient permettre, dit-on, d’isoler davantage les extrémistes de tous bords. Comme le laisse entendre un diplomate français, « le temps presse ! Octobre 2005, c’est déjà demain ».

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