Un si long chemin vers la paix

Deux semaines après la proclamation officielle de la fin de la guerre, la situation reste calamiteuse à Monrovia comme dans le reste du pays.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Dans la journée, les responsables des hôpitaux de Monrovia coupent le courant fourni par les générateurs. Ils ne le remettent que pour assurer les opérations chirurgicales urgentes. Au moins disposent-ils maintenant de quelques médicaments et de matériel pour soigner les nombreux blessés et les malades frappés par l’épidémie naissante de choléra et les autres infections qui prospèrent dans les camps de réfugiés. Dans le sillage des organes des Nations unies chargés des questions humanitaires, de nombreuses organisations non gouvernementales sont venues prêter main forte au million d’habitants de la capitale libérienne. Mais leur travail est contrarié par une insécurité persistante, que déplore l’Organisation des Nations unies par la voix de son coordonnateur spécial pour l’assistance humanitaire d’urgence au Liberia, Ross Mountain. Deux semaines après la proclamation officielle de la fin de la guerre, le 18 août à Accra (Ghana), des tirs sporadiques sont toujours entendus à Monrovia, des viols sont signalés et les jeunes combattants, armés de leurs fusils d’assaut, pillent régulièrement les entrepôts des organisations humanitaires.
Si la vie n’est pas devenue comme par enchantement une partie de plaisir à Monrovia, la situation dans le reste du pays est encore plus calamiteuse. Notamment à Bahn, à 240 km au nord-est de la capitale, dans le comté de Nimba, une région longtemps restée fidèle à Charles Taylor, et que continuent de se disputer les « loyalistes » et les rebelles, malgré l’accord de paix signé entre le gouvernement intérimaire dirigé par l’ancien vice-président Moses Blah, le LURD (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie) et le Model (Mouvement pour la démocratie au Liberia). Le ministre de la Défense Daniel Chea et les chefs militaires du LURD se sont aussi mutuellement accusés d’avoir déclenché de nouvelles hostilités autour de la ville de Gbarnga, à 160 km au nord-est de Monrovia. La situation est tout aussi préoccupante dans la zone contrôlée par les rebelles du Model, des tirs au mortier ayant été entendus près de la cité portuaire de Buchanan, au sud-est du pays. Résultat : des milliers de personnes à nouveau sur les routes, fuyant les combats.
Comme le fait remarquer Ross Mountain, « il n’est pas nécessaire d’avoir des combats pour que les gens commencent à fuir ». Les combattants libériens de tous bords savent très bien tirer en l’air pour effrayer les populations et piller ensuite en toute sérénité les maisons abandonnées. Les nombreux « généraux » des milices orphelines de Taylor, qui ont souvent moins de 18 ans, n’ont pas forcément compris que la fin de la guerre célébrée en grande pompe par les personnalités politiques devait signifier aussi le renoncement à leur activité économique traditionnelle, fondée sur le pouvoir dissuasif du fusil d’assaut AK-47 ou de la mitrailleuse légère. Pour le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Liberia, l’Américain Jacques Klein, les données sont simples : « Les combats se poursuivront tant que des soldats de maintien de la paix en nombre suffisant ne seront pas sur le terrain. Quand les combattants verront que nous avons plus d’armes qu’eux, ils se calmeront. » Klein n’est pas le seul à trouver désespérément lent le déploiement des forces de l’Ecomil, la mission de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pour le Liberia.
L’ancien numéro deux de Taylor, Moses Blah, président intérimaire depuis le 11 août, a aussi demandé à l’organisation sous-régionale d’accélérer le débarquement de ses troupes pour « mettre un terme au carnage ». Au 27 août, les effectifs de l’Ecomil plafonnaient toujours à 1 550 hommes, dans l’attente d’un contingent de 750 soldats ghanéens, maliens et sénégalais. Alors qu’on estime entre 12 000 et 15 000 le nombre de soldats requis pour rétablir la sécurité sur l’ensemble du territoire libérien.
Il ne faut pas non plus trop compter sur un engagement américain. Le 24 août, les quelque 150 marines qui avaient foulé le sol de Monrovia pour aider les premiers bataillons de l’Ecomil à contrôler les points stratégiques de la ville ont rejoint leurs navires de guerre au large des côtes libériennes, disposés cependant à « revenir en cas de nécessité ». Malgré le retour à un calme précaire dans la capitale, l’océan Atlantique reste un lieu plus sûr. Pour ceux qui doutaient de la volonté des Américains de se retirer au plus vite de ce bourbier tropical, le président George Bush a tenu à préciser que sa flotte rebroussera chemin le 1er octobre au plus tard.
Pendant que le Programme alimentaire mondial (PAM) distribue des vivres à plus de 122 000 personnes à Monrovia, que l’ONG World Vision estime que près de 40 % des enfants de moins de 5 ans dans les camps de déplacés de la même ville souffrent de malnutrition, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénombre au moins 260 nouveaux cas de choléra par semaine dans la capitale, et que les enfants en armes, affublés de perruques ridicules et toujours « accros » au haschich, continuent à faire la loi dans la majeure partie du territoire, très loin de là, un homme et ses proches achèvent d’aménager leurs nouvelles et coquettes résidences. À Calabar, dans l’État de Cross River, au sud-ouest du Nigeria, Charles Taylor entame tranquillement sa troisième vie, après celles de chef de guerre puis de président de la République du Liberia. Beaucoup de Nigérians en veulent toujours à leur chef de l’État Olusegun Obasanjo d’avoir offert le gîte au clan Taylor, mais les commerçants de Calabar voient plutôt les choses du bon côté : leurs nouveaux voisins échangent des dollars américains contre des nairas, et les postes de télévision et autres équipements se vendent comme des petits pains…

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