Une richesse à partager

Régulation du climat, préservation de l’écosystème, diversification des revenus… plaidoyer pour une ressource aux multiples usages.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 11 minutes.

Qu’est-ce que la gestion participative ?

Les premières victimes de la déforestation sont les populations locales. Les Pygmées du Cameroun ou les Pénans d’Indonésie vivent en étroite relation avec la forêt. Et la perte de leurs ressources traditionnelles rend leur situation de plus en plus précaire. Pourtant, ces populations jouent un rôle primordial dans le développement et le maintien de la biodiversité. En réalité, les forêts primaires (indemnes de toute activité humaine) ont souvent bénéficié d’une forme d’agriculture itinérante. Lors de leurs déplacements, les nomades semaient des graines utiles, assurant ainsi la dissémination des plantes.
Les premières victimes de la déforestation sont les populations locales. Les Pygmées du Cameroun ou les Pénans d’Indonésie vivent en étroite relation avec la forêt. Et la perte de leurs ressources traditionnelles rend leur situation de plus en plus précaire. Pourtant, ces populations jouent un rôle primordial dans le développement et le maintien de la biodiversité. En réalité, les forêts primaires (indemnes de toute activité humaine) ont souvent bénéficié d’une forme d’agriculture itinérante. Lors de leurs déplacements, les nomades semaient des graines utiles, assurant ainsi la dissémination des plantes.
Certains souhaitent pourtant que les hommes soient réinstallés en dehors des parcs naturels et des zones de protection des forêts en général, les populations locales d’agriculteurs étant accusées d’être la première cause de la déforestation. Les autochtones vivent cette situation comme une injustice. Toutefois, le concept d’aire protégée, perçu comme une mesure répressive, a récemment évolué, et les experts reconnaissent l’importance de la participation des locaux aux stratégies de préservation.
Ainsi s’explique l’attrait croissant pour les formes participatives de gestion des forêts. En associant les populations à la gestion des parcs naturels, au reboisement ou à l’agroforesterie, leur succès est garanti. De nombreux exemples montrent que la forêt peut être exploitée de manière durable par ceux qui y vivent. Des conflits d’intérêt peuvent survenir, comme c’est le cas en Amazonie. Ainsi, au Brésil, la déforestation est souvent le fait des grands propriétaires qui mettent en place des cultures industrielles ou de l’élevage bovin à destination du marché nord-américain. Ces activités rapportent des devises, mais ne font vivre que quelques opérateurs économiques locaux. Face à eux, des petits exploitants de l’hévéa, les seringueiros, se sont regroupés pour continuer d’extraire le latex, sachant qu’une famille doit disposer d’au moins 300 ha de forêt pour vivre décemment. La concurrence entre petits paysans et éleveurs a suscité de violents conflits : au cours des vingt dernières années, plusieurs dizaines de seringueiros ont été assassinés.
Mais la situation n’est pas toujours aussi conflictuelle. Au Kenya, la population participe à l’exploitation des ressources à l’échelle familiale ou communautaire. Les besoins locaux en bois de feu ou en matériaux de construction sont ainsi satisfaits. Mais le plus souvent, la destruction de la forêt se poursuit à grande échelle. Le partage des rôles semble bien rodé : les compagnies étrangères s’accaparent les revenus de l’exploitation forestière, les autochtones étant ensuite mobilisés pour réparer les dégâts.

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L’aménagement durable des forêts peut-il être rentable ?

Le respect de la nature n’est pas incompatible avec une exploitation commerciale des forêts. Le Sommet de la Terre, qui s’est tenu à Rio en juin 1992, a fini par porter ses fruits, et le développement durable rentre peu à peu dans les moeurs. Le Processus d’Helsinki précise qu’une exploitation durable des forêts et des terrains boisés « consiste à maintenir leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes aux niveaux local, national et mondial, et qu’elles ne causent pas de préjudices à d’autres écosystèmes. » Et en Afrique australe comme ailleurs, une prise de conscience se fait peu à peu quant à l’importance du commerce des produits forestiers provenant de forêts gérées de façon rationnelle.
Une petite partie des forêts de Namibie, d’Afrique du Sud et du Zimbabwe ont été certifiées par le Forest Stewardship Council (FSC) comme « durables ». Il demeure que ce concept de durabilité n’est pas univoque, et contient des contradictions. Une même forêt peut être gérée de manière durable avec des règles très différentes, selon que l’accent en termes de durabilité est mis sur la préservation des espèces végétales ou sur le maintien du niveau de vie des populations locales. Par ailleurs, une forêt qui conserve ses essences traditionnelles peut très bien se révéler inadaptée pour résister à de nouvelles atteintes, comme les changements climatiques, ou le brassage mondial des espèces.
La question de la rentabilité d’une telle démarche est également posée. Les bénéfices ne sont pas immédiats et restent difficiles à évaluer. Les associations de protection de l’environnement soutiennent que le développement durable est une valeur en soi. Et demandent aux États d’édicter des lois imposant leurs applications. Outre les difficultés administratives et politiques, une telle démarche demeure difficile à financer. Comment agir lorsque les deux tiers de la déforestation actuelle sont le fait d’une exploitation illégale ? Certains économistes, en particulier anglo-saxons, préfèrent adopter une attitude plus pragmatique en demandant la création de nouveaux marchés. L’idée est de donner de la valeur sur des marchés internationaux à des biens considérés comme gratuits, comme la biodiversité, le stockage de gaz à effet de serre ou la protection des bassins versants.
Plus concrètement, le Costa Rica, qui mise sur l’écotourisme, a établi en 1996 un nouveau règlement forestier. Ce code reconnaît le rôle des forêts dans la fixation du carbone, la protection des lignes de partage des eaux, la protection de la diversité biologique et de la beauté des paysages. Les propriétaires de forêts qui sauvegardent ces « services » environnementaux sont rémunérés par un impôt sur l’énergie.
Autre enjeu décisif, les revenus tirés de la découverte de nouveaux composés actifs, utilisés pour l’alimentation ou les médicaments, sont rarement reversés aux populations locales. Ce sont pourtant elles qui mettent en évidence ces principes actifs. L’objectif de l’ONG californienne Healing Forest Conservancy est de faire en sorte que les habitants de la forêt retirent des avantages de leur contribution au progrès de la pharmacopée commerciale.

A quoi sert la biodiversité ?

La planète a connu par le passé plusieurs extinctions massives des espèces vivantes, la plus connue étant la disparition brutale des dinosaures. Une nouvelle extinction de grande ampleur est en cours, avec quinze mille espèces animales et végétales qui disparaissent par an. D’après les scientifiques, d’ici à cinquante ans, près du tiers des espèces pourraient avoir disparu. Or chaque disparition est irréversible.
Les forêts tropicales sont les premiers réservoirs de la biodiversité terrestre. Avec seulement 30 % de la superficie terrestre, les forêts hébergent 80 % des espèces animales et végétales. Deux systèmes biologiques se distinguent pour leur richesse génétique : le biotope méditerranéen et les forêts tropicales humides. Avec seulement de 6 % à 7 % de la superficie terrestre, ces dernières contiennent plus de la moitié des espèces terrestres vivantes. Les scientifiques découvrent progressivement leur fabuleuse richesse. Il y a vingt ans, ils estimaient que les pays tropicaux abritaient plus de trois millions d’espèces, dont seulement 750 000 ont pu être décrites. Maintenant, l’estimation est de plus de 100 millions d’espèces dont seulement 10 % sont recensées. La déforestation dans les pays tropicaux est donc particulièrement dramatique pour les ressources mondiales en espèces vivantes et en gènes. Les plantes couramment consommées dans les pays riches ont souvent des ancêtres sauvages dans les forêts tropicales. Ceux-ci constituent un stock de gènes précieux pour la recherche médicale. Malgré la vulnérabilité de ces ressources, le continent africain reste riche en diversité biologique dont il pourrait tirer avantage, à condition de ne pas épuiser son potentiel.
Les laboratoires pharmaceutiques ont également mis à profit les connaissances ancestrales accumulées par les populations autochtones. Des médicaments sont issus de cette flore, comme les alcaloïdes, extraits de la pervenche rose, utilisés dans le traitement de la leucémie. La ciclosporine, qui a joué un rôle décisif dans la transplantation d’organes, provient de champignons. Encore ne s’agit-il que d’exemples isolés. Et l’on commence seulement à prendre conscience de l’importance que représente la canopée, la cime des grands arbres des forêts tropicales. Pour le biologiste français Francis Hallé, « l’activité chimique de la canopée offre de formidables perspectives » pour de nouveaux médicaments, produits cosmétiques, ou insecticides.

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L’écosystème forestier peut-il limiter les variations climatiques ?

Depuis le début des années 1990, les records de chaleur s’accumulent. Les climatologues mettent en cause le comportement de l’homme. Or plus de 20 % des émissions de gaz carbonique, principal responsable des dérèglements climatiques, seraient dus à la déforestation des zones tropicales. Les forêts mondiales renferment à elles seules plus de la moitié du carbone présent dans la végétation terrestre et le sol, dont plus d’un tiers pour les forêts tropicales. Ce carbone est relâché lorsque la plante meurt ou lorsqu’elle est brûlée. Par ailleurs, le pourrissement de la végétation au fond des barrages ou sa combustion produit un autre gaz à effet de serre, le méthane, encore plus dangereux que le gaz carbonique.
Les forêts assurent d’autres rôles de régulation. Une fois le bois coupé, le vent dessèche le sol. La capacité des forêts à stocker l’eau est aussi dix fois plus importante que celle d’un pâturage. Si la forêt est détruite, l’eau de pluie dévale les pentes, entraîne la terre, accélérant l’érosion des sols et amplifiant les inondations. « En quarante ans, la forêt primaire en Côte d’Ivoire est passée de 8 millions d’hectares à 1,5 million d’hectares, explique Éric Servat, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Dans la même période, les pluies ont diminué de l’ordre de 20 % à 25 %. On sent qu’il y a un lien entre les deux, même s’il n’existe pas de preuve indiscutable. Les forêts ne génèrent pas les pluies, qui proviennent des océans, mais les recyclent. Grâce aux forêts, la période des pluies dure plus longtemps, et les précipitations sont plus abondantes. Même dans une région où les pluies ne manquent pas, leur réduction a une influence sur les biotopes, sur le calendrier agricole et sur le fonctionnement des barrages hydro-électriques. » Dans le même ordre d’idée, des études prévoient que le remplacement de toutes les forêts du bassin amazonien par des herbages réduirait les précipitations sur le bassin d’environ 20 % et ferait monter de plusieurs degrés la température moyenne dans la région. Le reboisement est donc à l’ordre du jour. À la convention sur le climat qui s’est tenue à Marrakech en 2001, les forêts, de par leur rôle dans l’absorption du gaz carbonique, ont été officiellement acceptées comme « puits de carbone ». Les pays du Nord pourront financer des projets de plantations dans les pays du Sud, au lieu d’investir dans des programmes de lutte contre la pollution chez eux, souvent plus coûteux.
Un pays, riche en potentiel forestier, peut ainsi espérer à terme tirer des revenus du reboisement dans le cadre des échanges du futur marché du carbone. Reste qu’il va encore falloir attendre de cinq à dix ans pour connaître la vérité scientifique sur le rôle exact des forêts. En attendant, les industriels s’achètent une vertu à moindre prix. C’est notamment le sens donné au projet de reboisement financé par le pétrolier Shell au Gabon, ou à celui du constructeur automobile français Peugeot, démarré il y a deux ans, en liaison avec l’Office national français des forêts (ONF). Dix millions d’arbres vont être plantés sur douze mille hectares au coeur de l’Amazonie brésilienne. En liaison avec Pro-Natura, une ONG brésilienne spécialisée dans le développement durable, un million et demi de graines provenant de vingt espèces d’arbres différentes ont déjà été semées. Les industriels anticipent ainsi sur leurs obligations futures. Mais il faudrait planter 150 ha chaque année, pour compenser les pertes dues à la seule déforestation.

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Peut-on cultiver la forêt ?

Agriculture ne signifie pas toujours destruction de la forêt. Avec l’agroforesterie, les arbres et les cultures coexistent sur un même sol. Les agroforêts, contrairement aux monocultures, contiennent une large variété de plantes comestibles, mais ne demandent pas de gros investissements. Leur principe est d’utiliser la diversité des espèces et des variétés de plantes et d’animaux bien adaptées aux contraintes locales. Cette notion se répand de plus en plus en Afrique, sur l’exemple d’un système qui a permis en Asie, notamment à Sumatra en Indonésie, de constituer des milliers de kilomètres carrés de jardins forestiers.
Traditionnellement, les habitants des zones tropicales savaient réaliser des agroforêts très diversifiées, avec une grande variété de plantes utiles, ne prélevant que ce dont ils avaient besoin (légumes, racines et tubercules, fruits, oeufs, plantes médicinales, etc.). Aujourd’hui, les atouts de l’agroforesterie sont de plus en plus reconnus. Longtemps accusée de détruire les forêts denses humides, la plantation de cacaoyers est maintenant considérée comme susceptible de contribuer au reboisement. Selon des recherches menées par l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) au sud du Cameroun, les paysans de ces régions améliorent « l’environnement tout en produisant de la nourriture et des cultures de rente. En effet, ils cultivent le cacao dans un milieu biologiquement très varié, proche de la forêt, riche en arbres fruitiers, écorces médicinales et en bois d’oeuvre. Ils cherchent la façon la plus efficace d’installer des vergers tout en menant des cultures annuelles fournissant nourriture et argent les premières années. » L’exploitation de la forêt ne se limite donc pas au bois. On y trouve d’autres plantes comestibles, des épices, du miel, des huiles végétales, des animaux ainsi que de nombreux matériaux comme le rotin et le bambou, ou encore des composés actifs entrant dans la fabrication de médicaments. Au Ghana, les produits de la forêt couvrent près de 20 % des besoins alimentaires de la population locale et pas moins de 150 espèces d’animaux et de plantes sont utilisées. Au Nigeria, la forêt humide de l’État de Cross River abrite plus de 700 espèces de plantes et d’animaux, dont 430 sont utilisés.

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