Tony Blair aux portes du purgatoire

On s’interroge de plus en plus sur les raisons qui ont poussé le Premier ministre britannique à soutenir aveuglément l’intervention armée contre l’Irak. Et si son attitude procédait avant tout de ses convictions religieuses ?

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

Alors que les hommes politiques se préparent aux vacances, Tony Blair doit faire face à la plus grave crise de crédibilité de sa carrière. Une crise qui pourrait peser sur l’ensemble des relations diplomatiques entre le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Europe.
Le catalyseur direct de l’affaire a été le suicide de David Kelly, un expert du ministère de la Défense. Kelly a subi la pression simultanée du gouvernement et du Parlement, après qu’il eut suggéré à la BBC que le cabinet du Premier ministre avait exagéré un rapport d’enquête sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein, avant la guerre en Irak.
Le mystère du suicide de Kelly – sur lequel enquête désormais un juge britannique, Lord Hutton – a fasciné les journaux anglais, qui cherchent tous à faire porter le chapeau de sa mort à une institution, que ce soit le Parlement, la BBC, les services de renseignements ou le cabinet du Premier ministre.
Mais c’est Tony Blair qui semble le plus vulnérable. Car derrière cette captivante histoire policière se profilent d’importantes questions politiques. Pourquoi Blair était-il si déterminé à soutenir l’intervention armée contre l’Irak, alors que de nombreux conseillers le mettaient en garde contre les dangers de l’après-guerre ?
Cette question a été relancée par de nouveaux témoignages, à Washington comme à Londres, et elle est devenue plus explosive au fur et à mesure que l’occupation de l’Irak s’avérait plus dangereuse. Et la réponse à cette interrogation tient davantage au caractère de Tony Blair, souvent incompris, qu’à des raisons diplomatiques.
Blair n’est pas de ceux qui recherchent un soutien public maximal, comme certains ont pu le croire lorsqu’il a pris ses fonctions. Il est le plus croyant des Premiers ministres depuis William Gladstone, au milieu du XIXe siècle, et, sur certaines questions morales, il peut se montrer très obtus.
Comme le relevait son mentor lord Roy Jenkins, il y a un an, peu de temps avant sa mort : « Le Premier ministre est loin de manquer de convictions. Il en a peut-être trop. Surtout en ce qui concerne le monde au-delà des frontières du Royaume-Uni. Il est un brin trop manichéen à mon goût – mais peut-être suis-je vieux jeu -, analysant les problèmes en termes de bien ou de mal, de noir ou de blanc. »
L’amitié que Blair porte au président Bush peut sembler surprenante, surtout après celle qu’il entretint avec Clinton. Mais elle s’explique par leurs convictions religieuses communes, exacerbées après le 11 septembre 2001.
La plupart des politiques supposent que Blair a soutenu Bush avant tout par loyauté, mais lui-même n’hésite pas à affirmer qu’il fut le premier à évoquer la question des armes de destruction massive avec le président américain, il y a un an. « Si les Américains n’intervenaient pas, disait-il à la journaliste britannique Jackie Ashley, j’insisterais pour qu’ils le fassent. » Et de poursuivre : « Les preuves que nous avons en provenance d’Irak sont surabondantes. »
Il est clair que Blair avait besoin de preuves nombreuses et fiables pour justifier son soutien à la guerre. Car, à la différence des conflits récents, comme me l’a expliqué un membre des services secrets, cette guerre était très liée au renseignement. Elle ne pouvait se justifier par un acte d’agression ou par une menace soudaine et manifeste contre la sécurité du Royaume-Uni ou de l’Amérique. Elle nécessitait des informations fiables sur les intentions futures de Saddam Hussein, qui ne pouvaient être obtenues que par le biais du renseignement. Cela a accru la pression sur les agents secrets. Ceux-ci n’ont accepté qu’à contrecoeur que certaines de leurs informations soient rendues publiques pour justifier la guerre.
Mais, depuis, les doutes se sont multipliés sur ces informations, et les preuves de l’existence d’armes de destruction massive se sont révélées pour le moins ténues. L’information cruciale selon laquelle des armes chimiques pouvaient être prêtes en quarante-cinq minutes ne reposait que sur une seule source irakienne, bien moins fiable qu’il n’apparaissait dans les documents publiés.
Plus important, quantité d’experts militaires et de diplomates se sont inquiétés, avant le conflit, de l’absence de stratégie à long terme, après la victoire. De nombreux généraux américains et anglais, certains à la retraite, ont prévenu que l’occupation de l’Irak serait lourde de difficultés et de dangers : les chiites irakiens et les nationalistes se retourneraient contre les forces de la coalition, et les clans rivaux se révéleraient incapables de former un gouvernement stable.
Les gouvernements anglais et américain ont tous deux ignoré ce conseil et se sont préparés à la guerre. Et les conséquences s’en font désormais sentir. Leurs forces sur le terrain subissent des pertes continues, dues, comme Washington l’admet désormais, à une guérilla imprévue.
De nombreux politiciens britanniques considèrent désormais l’épreuve de force diplomatique qui précéda la guerre sous un jour nouveau. À cette époque, les inspecteurs des Nations unies demandaient du temps pour découvrir les armes de destruction massive de Saddam Hussein, tandis que les Français et les Allemands soutenaient qu’une guerre n’était pas nécessaire et pourrait compromettre la paix au Moyen-Orient.
Mais Tony Blair a choisi de décrire les Français – et les Allemands – comme des défenseurs de Saddam, alors même qu’ils avaient fourni les renseignements les plus décisifs concernant les opérations d’el-Qaïda en Europe. La critique de Blair contre les Français l’a aidé à gagner le soutien de l’opinion. Mais elle a sérieusement endommagé les relations avec l’Europe, comme l’avaient prévu de nombreux diplomates.
Aujourd’hui, les avertissements contre la guerre, de la part de la France et des Nations unies, paraissent plus justifiés. Si les inspecteurs de l’ONU avaient poursuivi leurs recherches, ils en auraient conclu, comme les Britanniques aujourd’hui, qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive.
C’est le plus grave reproche que l’on puisse faire à Blair : ses convictions personnelles sur « les forces du mal », couplées à la croisade de George W. Bush, ont supplanté les doutes des experts militaires et des diplomates et créé une cassure avec les partenaires européens du Royaume-Uni.
Et le suicide d’un scientifique britannique est devenu le symbole du coût que représente pour le Royaume-Uni le fait de mener une politique fondée sur le charisme d’un seul homme.

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