Rentabilité oblige

En favorisant la transformation locale, les pays producteurs tentent d’accroître leurs revenus tout en créant des emplois.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

«L’industrie du bois en Afrique est condamnée ! » Cet industriel n’a jamais été aussi véhément. Et pour cause : selon lui, le renforcement de la fiscalité forestière africaine voulu par la Banque mondiale menace la rentabilité des grandes exploitations, « celles qui investissent le plus dans les première et deuxième transformations du bois ». Entendez « avant séchage » pour la première transformation (sciage essentiellement) et « après séchage » pour la deuxième transformation.
Tout commence au Cameroun, où, au cours des années 1990, les autorités, pressées par institutions financières internationales, réforment la loi forestière. Désormais, les concessions forestières, qui sont réduites en volume pour en multiplier le nombre, seront mises aux enchères. Une bonne affaire pour le Trésor camerounais. Là où quelques grandes entreprises européennes ou asiatiques opéraient, on trouve à présent plusieurs dizaines de sociétés ayant payé entre 2 000 F CFA et 5 000 F CFA l’hectare. Désormais, un très grand nombre d’opérateurs se partagent des parcelles ne dépassant pas 40 000 ha en moyenne.
« Pour comprendre l’évolution de la filière, il faut savoir deux choses, poursuit l’industriel. D’une part, pour obtenir une parcelle, vous devez soumissionner au moins pour trois. Avec, à chaque fois, le dépôt d’une caution de plusieurs dizaines de milliers de dollars. À cela s’ajoute la fiscalité existante avant l’intervention de la Banque mondiale : les forestiers acquittaient déjà des taxes de concession, de superficie, d’abattage, de reboisement, des taxes sur les grumes entrant en usine locale, des taxes à l’exportation, des droits de douane sur les intrants, la TVA sur les ventes, l’impôt sur les sociétés et des taxes indirectes diverses, telles que celle sur les carburants ou les taxes sur les services comme les transports. L’intervention de la Banque mondiale a conduit à multiplier ces prélèvements.
Le second élément concerne la taille des nouvelles parcelles : pour rentabiliser une exploitation forestière, il faut produire plus de 3 000 m3 par mois, 40 000 m3 par an. À 5 m3 par hectare, il faut exploiter une superficie minimale de 8 000 hectares sur une durée de trente ans, le temps nécessaire au reboisement. Ce qui exige une surface d’exploitation de 240 000 ha au total. En dessous, on n’a aucune visibilité et on ne peut lancer aucun plan d’aménagement. Rien que pour rentabiliser un bulldozer, il faut produire 1 000 m3 par mois… »
D’où la crainte causée aux forestiers par l’expérience camerounaise. Emballées par les premiers résultats, les institutions de Bretton Woods souhaitent, sans plus attendre, généraliser cette nouvelle politique à l’ensemble du bassin forestier d’Afrique centrale. « Au Congo, les exploitants, confrontés au triplement des taxes, tentent de survivre, commentent les industriels. Tous les investissements sont gelés. En République démocratique du Congo, la guerre civile a déjà considérablement réduit le nombre d’entreprises forestières. Et celles qui ont survécu auront bien du mal à supporter de nouvelles augmentations fiscales, alors qu’elles doivent déjà tout faire : routes, dispensaires, écoles, etc. La situation est encore plus grave au Gabon. Ce pays avait considérablement progressé dans la voie d’une gestion durable de sa forêt. Les trois plus grandes entreprises locales – Rougier, Tanry et Isoroy – ont été certifiées et ont adopté des plans d’aménagement forestier portant sur plus de cinq millions d’hectares. Une augmentation de 1 000 F CFA des redevances à l’hectare ne sera pas supportable. »
Alors que la Banque mondiale est peu loquace sur le sujet, les dirigeants politiques semblent confirmer les dires des industriels. Ainsi, à la présidence camerounaise reconnaît-on que la multiplication des opérateurs a été un échec : « Il est vrai que les scieries intégrées n’ont plus assez de matière première pour fonctionner. Elles ferment les unes après les autres ! » Au Congo, on n’en est pas encore là. L’équipe dirigeante laisse entendre qu’entre les diktats de la Banque mondiale et la réalité, il y a plusieurs milliers de kilomètres et une certaine marge de manoeuvre. En Centrafrique, le nouvel État a bien du mal à contrôler ce qui se passe dans ses forêts. Bref, le renforcement de la fiscalité pousse à la fraude, et menace dangereusement les objectifs de préservation de la forêt d’Afrique centrale. Les chiffres sont alarmants. On parle de 700 000 ha détruits chaque année en Afrique centrale, plus 400 000 ha « dégradés », c’est-à-dire victimes de destruction de la biodiversité. Cette situation est d’autant plus désolante que la forêt équatoriale africaine semblait, depuis quelques années, avoir trouvé le chemin de la sagesse, fruit de la collaboration entre les exploitants industriels et des ONG spécialisées dans la conservation.
En matière de transformation, certes, l’Afrique reste très en retard sur ses concurrents asiatiques ou latino-américains. Le continent continue d’exporter près de la moitié de son bois en grumes, contre moins de 15 % pour la Malaisie (premier exportateur mondial de bois tropicaux) et moins de 1 % pour le Brésil (premier producteur mondial de bois tropicaux). Rappelons néanmoins qu’il y a un peu plus d’une dizaine d’années l’Afrique exportait essentiellement des grumes. Les années 1990 ont vu l’adoption de législations interdisant d’en exporter, au moins pour les principales essences, et ces mesures ont visiblement porté leurs fruits.
La transformation africaine n’est, pour le moment, guère élaborée. Elle se limite souvent au sciage, c’est-à-dire à la première transformation : 70 % des exportations au Cameroun, 54 % en RD Congo, 30 % au Congo par exemple. Le déroulage n’est véritablement développé qu’au Gabon (15 % des exportations) et en Angola. Les opérateurs du secteur informel commencent, pour leur part, à concurrencer l’industrie. Au point d’éliminer dans de nombreux pays les importations européennes de meubles dans le secteur grand public. Les villes frontalières camerounaises sont ainsi envahies de meubles de salon locaux qui font fureur au Gabon, en Guinée équatoriale, au Tchad, en Centrafrique ou au Nigeria. Bien que le style ne soit guère élaboré, ces premières tentatives industrielles constituent toutefois d’indéniables pépinières d’entreprises pour la deuxième transformation du bois. Des évolutions similaires sont visibles en Afrique de l’Ouest, au Ghana et en Côte d’Ivoire notamment.
Pour favoriser cette évolution, l’Association interafricaine des industries forestières (IFIA) a lancé un programme d’industrialisation dans ses zones d’intervention (en Afrique centrale, essentiellement), Race Wood 2004. Appuyée par l’Union européenne, cette initiative prévoit de mettre en contact des sociétés européennes et des opérateurs africains dans les domaines technique, commercial et financier, etc. Les premières réalisations devraient permettre aux opérateurs locaux de faire valoir leur compétitivité dans le domaine du bois. « Songez que nos entreprises n’embauchent pratiquement plus d’étrangers », précise leur représentant.

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