À quoi sert l’Otan aujourd’hui ?

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord semblait avoir perdu sa raison d’être avec la chute du mur de Berlin. Sa mission s’est au contraire élargie.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 5 minutes.

En 1948, juste après la Seconde Guerre mondiale, Américains, Canadiens et Britanniques cherchent à s’organiser face à la menace soviétique. Ils se réunissent sans les Français, déjà jugés « peu sûrs », pour rédiger un protocole dit « Pentagon paper » qui préfigure le futur traité de l’Atlantique Nord. Signé le 4 avril 1949 à Washington, ce dernier institue une solidarité défensive forte entre les Alliés. Il est donc très favorable à la France, qui se trouve en première ligne devant les divisions de Staline puisque l’Allemagne est désarmée. Les Français ne peuvent se passer de la dissuasion – en particulier nucléaire – américaine.
Très vite, avec la fin du monopole nucléaire américain, l’Alliance atlantique se dote d’une organisation militaire, l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord), destinée à contenir les forces soviétiques sans recourir systématiquement à l’atome. À sa tête sont placés trois commandements suprêmes : deux confiés aux Américains, le troisième aux Britanniques.
La première crise sérieuse survient avec le général de Gaulle. Peu après son retour aux affaires, en pleine guerre d’Algérie, il propose au président Eisenhower de constituer, au sein de l’Organisation, un directoire à trois : États-Unis, Grande-Bretagne et France. Mais personne ne suit le général : ni les Anglo-Saxons ni les « petits » pays. Vexé, de Gaulle prend de plus en plus de recul vis-à-vis de l’Otan et, le 7 mars 1966, bien que la France reste membre de l’Alliance, il annonce sa sortie de l’organisation militaire intégrée et demande aux Américains d’évacuer toutes leurs bases situées sur le territoire français. Les Américains apprécient peu ! L’ingratitude française est déjà vilipendée outre-Atlantique. Mais peu à peu les rancoeurs s’estompent. Les accords Ailleret-Lemnitzer planifient la participation de la France en cas d’attaque brutale des troupes soviétiques.
Arrive le 9 novembre 1989. Quarante ans après la signature du traité de l’Atlantique, le mur de Berlin s’effondre. Le monde soviétique suit. L’Ouest a gagné. Mais dès la chute du mur se pose la question essentielle : « L’Otan peut-elle survivre aux conditions historiques de sa naissance ? » L’Organisation avait été créée pour faire face aux Soviétiques ; il n’y a plus d’URSS, plus de démocraties populaires. À quoi sert-elle ? En fait – au moins provisoirement -, l’Otan survit assez bien. On peut même noter qu’elle s’élargit doublement. Depuis la fin de l’affrontement Est-Ouest, elle voit augmenter à la fois le nombre de ses membres et l’étendue de ses missions sur l’ensemble de la planète.
En 1990, l’Otan « offre son amitié » aux pays d’Europe centrale et orientale (les Peco). En 1994, grâce au « partenariat pour la paix », la coopération est étendue à la Russie. En 1999, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque deviennent membres de l’Alliance et, lors du sommet de Prague, en novembre 2002, sept autres pays sont officiellement invités à les rejoindre : les trois États baltes, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie et la Slovénie. Seuls doivent attendre encore un peu l’Albanie, la Croatie et la Macédoine.
L’élargissement quantitatif des membres de l’Otan convient fort bien aux États-Unis, qui reçoivent un vigoureux soutien des nouveaux États d’Europe, très reconnaissants d’avoir pu « changer de camp » grâce à la puissance américaine. L’apport militaire de ces pays est, bien sûr, très faible, mais, psychologiquement, leur appui permet de marginaliser un peu plus ceux qui s’opposent encore à l’extension « tous azimuts » des missions de l’Otan.
Le second élargissement de l’Otan, celui qui concerne l’extension de sa zone d’activité à l’ensemble de la planète, est sans nul doute beaucoup plus important que le premier. Il ne s’agit plus seulement de protéger les différents membres de l’Alliance d’une agression : l’Otan doit désormais être prête à contrôler les crises majeures sur toute la terre. Ce concept, affirmé solennellement à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de l’Alliance, en 1999 à Washington, a été renforcé à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et encore lors du récent sommet de Prague. La déclaration finale stipule en effet : « L’Otan doit pouvoir aligner des forces capables de se déployer rapidement partout où elles sont nécessaires […], de mener des actions à longue distance et dans la durée. » En outre, les Alliés affirment entériner « le concept militaire agréé de défense contre le terrorisme ».
Ce second élargissement, qui ne fixe aucune limite aux actions susceptibles d’être confiées à l’Otan, sous la haute direction des États-Unis, ne va pas sans poser de sérieux problèmes. Le premier de ceux-ci concerne les capacités militaires de l’Europe. Lors du sommet d’Helsinki, les Européens ont prévu de créer une Force européenne de réaction rapide (Ferr) qui, normalement, doit utiliser les unités militaires les mieux entraînées de l’Union européenne. Or c’est aussi, très exactement, la vocation fixée par l’Alliance à sa Force de réaction de l’Otan (FRO). Où vont aller les priorités ? Peut-on raisonnablement espérer voir se constituer un véritable pilier européen de l’Alliance ? Le danger de voir les Européens se diviser sur ces sujets est manifestement considérable.
Autre problème important posé par l’élargissement des missions de l’Otan, la lettre et l’esprit du traité de l’Atlantique Nord risquent d’être, de plus en plus souvent, violés. Avec le traité initial, chaque État membre conservait sa pleine souveraineté et devait approuver le déclenchement des opérations militaires menées en commun. C’est d’ailleurs en raison de ce principe que la France, la Belgique et l’Allemagne ont pu s’opposer – au moins partiellement – au renforcement par l’Otan de la « défense » de la Turquie à l’approche du conflit irakien. Mais il est aujourd’hui de plus en plus clair que les Américains n’ont pas du tout l’intention de se laisser longtemps ligoter par des considérations juridiques à leurs yeux surannées. Comme l’a dit récemment Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense de George W. Bush : « C’est la mission qui définit la coalition et non la coalition qui définit la mission. »
En fonction de ses besoins estimés, Washington traite « en bilatéral » avec les membres de l’Alliance qui le veulent bien, les autres n’ayant qu’à s’incliner. C’est la raison pour laquelle Michèle Alliot-Marie, ministre français de la Défense, s’insurgeait le 8 février 2003 à Munich lors de la Conférence internationale sur la sécurité : « Être alliés, cela implique aussi un égal partage, dans la durée, des risques et des responsabilités […]. Un autre mode de relations tend à s’instaurer, à la fois plus conjoncturel et plus précaire, celui des coalitions ad hoc […]. Ces coalitions ne peuvent en aucun cas se substituer à l’Alliance. »
Ce n’est manifestement pas l’opinion des États-Unis ! Tout porte à croire que le « plus fort » va de moins en moins rechercher l’accord de tous pour engager les moyens de l’Otan. Et qu’il se gênera de moins en moins pour intervenir dans les affaires intérieures d’un État.
Dans le contexte actuel « post-Saddam », le traité de l’Atlantique Nord n’a pas beaucoup plus de chances d’être respecté que la Charte des Nations unies.

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