Qui sont les rebelles ?

Alors que la force internationale n’en finit pas de se préparer à intervenir, les armes continuent de parler dans le pays. Des chefs de guerre veulent la peau d’un ancien chef de guerre, le président Charles Taylor.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

Pris dans le feu croisé des rebelles du Lurd (Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie) et des soldats fidèles à Charles Taylor, les habitants de Monrovia attendent toujours l’intervention d’une force internationale de paix. Le cessez-le-feu signé le 17 juin à Akosombo (Ghana) par les représentants du gouvernement et les deux rébellions, le Lurd et le Model (Mouvement pour la démocratie au Liberia), a volé en éclats. Qui sont ces rebelles déterminés à bouter Taylor, lui-même ancien chef de guerre, de l’Executive Mansion, le palais présidentiel du bord de mer ?
Le Lurd voit le jour en juillet 1999 à Freetown, capitale de la Sierra Leone voisine, à l’initiative d’un groupe de Libériens exilés après l’élection à la tête du pays de Taylor, en juillet 1997. Les fondateurs du mouvement, tout comme ses combattants, sont dans leur majorité issus des rangs de l’Ulimo (Mouvement uni de libération pour la démocratie), la rébellion qui a fait le coup de feu contre le NPFL (Front national patriotique du Liberia) de Taylor, de 1990 à 1996. Le Lurd apparaît à plus d’un titre comme une réplique de l’Ulimo. Même composition ethnique : essentiellement des Mandingues et des Khrans, l’ethnie de l’ancien président Samuel Doe. Même motivation : combattre Taylor. Mais comme l’Ulimo en son temps, le Lurd est miné par des tensions internes. Si ses membres sont unis, c’est uniquement dans leur volonté d’en découdre avec Taylor.
Sekou Damate Conneh, commandant en chef et président du comité exécutif national de la rébellion depuis décembre 2001, est venu au monde en 1960 à Gbarnga (centre du pays) dans le comté de Bong, au sein d’une famille mandingue. Après avoir travaillé à partir de 1986 comme percepteur pour le compte du ministère libérien des Finances, il quitte son pays et fait vraisemblablement fortune dans le commerce de voitures d’occasion importées d’Europe. Un parcours qui n’est pas sans rappeler celui d’un autre natif de Gbarnga, un certain Charles Taylor, patron d’une agence gouvernementale sous Doe au début des années 1980 et homme d’affaires averti.
L’arrivée de Conneh à la tête du Lurd, alors qu’il ne faisait pas partie de ses fondateurs, est une surprise. L’une des règles que le mouvement s’est fixée est qu’aucun des chefs de la première guerre civile ne devait faire partie de son commandement. Favorisé par cette disposition, Sekou Conneh bénéficiera aussi des relations privilégiées de sa compagne Ayessa avec le pouvoir en place à Conakry. Ayessa, de nationalité guinéenne, devient la « conseillère spirituelle » du président Lansana Conté, après qu’elle lui eut prédit une tentative de coup d’État en 1996, qui eut effectivement lieu. Elle joue toujours un rôle clé dans la coordination des activités politiques du Lurd à Conakry, où elle occupe une résidence dans la corniche de Dixinn.
Dans un rapport publié le 30 avril 2003, l’organisation non gouvernementale International Crisis Group (ICG) étale les preuves du soutien du régime guinéen aux rebelles du Lurd. Selon l’ICG, « les troupes du Lurd circulent librement à Macenta, en territoire guinéen, traversent allègrement la frontière avec le Liberia, et les autorités de Conakry facilitent le recrutement forcé par le Lurd de combattants dans les camps de réfugiés libériens installés en Guinée ». « Oui, nous recevons depuis la Guinée des armes et des munitions comme des mitrailleuses lourdes SMG, des mitrailleuses polyvalentes GPMG, de l’artillerie anti-aérienne et des mortiers de 60 millimètres », aurait confié un combattant du Lurd aux enquêteurs de l’ICG en février dernier.
Le rapport indique aussi que « des stocks de lance-grenades RPG et des véhicules neufs étaient visibles dans la zone frontalière de Macenta, en janvier », attestant de l’assistance de la Guinée aux rebelles libériens. Lansana Conté ne cache pas son animosité envers Taylor, qu’il a déjà qualifié de « cancer de la région ». En septembre 2000, des opposants guinéens armés, soutenus par le Liberia, ont attaqué la Guinée. L’armée de Conté a repoussé ces incursions, avant de se servir des hommes de Conneh comme alliés contre Taylor.
Conneh n’est cependant pas au Lurd ce que fut Taylor au NPFL : un chef incontesté dont l’organisation sert avant tout les ambitions personnelles. On ne lui attribue pas un charisme particulier et il ne fait pas l’unanimité au sein du mouvement. En avril 2003, le général Joe Wylie, conseiller militaire senior du Lurd, accusait son président de se livrer à « une chasse aux sorcières ». Il annonçait même la convocation d’une réunion spéciale du Comité exécutif national (NEC) pour démettre Conneh de ses fonctions. Celui-ci réussit à se maintenir, s’affranchissant progressivement du contrôle des « intellectuels » du NEC. L’organe politique exécutif du Lurd est composé de Libériens en exil un peu partout. Contrairement aux chefs militaires, les membres du NEC demeurent dans l’ombre, tout comme les financiers du Lurd que l’on dit installés pour la plupart aux États-Unis. On ne connaît que quelques noms, comme celui de Roosevelt Quiah, un ancien diplomate originaire du comté de Sinoe, au sud-est du pays, qui aurait longtemps financé le Lurd, selon le rapport de l’ICG, avant d’accorder ses largesses au Model.
Le commandement militaire du Lurd, à la tête d’un effectif estimé à environ trois mille hommes, est régulièrement remanié au gré des rivalités et des défections. En octobre 2002, par exemple, Conneh soupçonne le « chef d’état-major » du Lurd Prince Seo, un Khran, de vouloir l’éliminer et le fait arrêter par des soldats guinéens. Il sera libéré en janvier 2003, « mis à la retraite » et remplacé par son adjoint, le général Mohamed Seeya Sheriff, alias Cobra, un Mandingue. La cohabitation des anciens dignitaires khrans du régime de Samuel Doe avec les chefs militaires mandingues est délicate. Chayee Doe, frère de Samuel Doe, qui était le vice-président du Lurd chargé des questions administratives, est maintenant considéré comme l’un des cadres du Model, la rébellion concurrente créée en mars 2003.
Le Model apparaît comme le produit du jeu de déstabilisation croisée entre Taylor et le président ivoirien Laurent Gbagbo, dont le régime a été attaqué par le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (Mpci) le 19 septembre 2002, puis par deux autres rébellions, le Mouvement populaire ivoirien du Grand-Ouest (Mpigo) et le Mouvement pour la justice et la paix (Mjp), à la fin de novembre 2002. Le rapport de l’ICG d’avril dernier met en lumière non seulement l’implication des mercenaires de Taylor dans l’embrasement de l’Ouest ivoirien, mais aussi la contre-attaque de Gbagbo.
Selon l’organisation basée à Bruxelles, Abidjan aurait financé la création du Model, qui a recruté des Libériens d’ethnie khran réfugiés depuis des années en Côte d’Ivoire, notamment à Danané, Guiglo, Man, Toulépleu, et dans la région forestière de Tia. Après avoir combattu dans l’Ouest ivoirien aux côtés de l’armée régulière contre le Mpigo, le Mjp et les soldats errants venus du Liberia et de la Sierra Leone, les troupes du Model ont ouvert un front anti-Taylor à partir de la frontière ivoirienne. L’ICG croit savoir que la livraison d’armes et de munitions au Model, à partir du port d’Abidjan, a été gérée début 2003 par des officiers des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci).
Le Lurd et le Model ont besoin de donner des gages à la communauté internationale pour espérer jouer un rôle dans le Liberia de l’après-Taylor. Les chefs militaires du Lurd ne sont pas particulièrement des démocrates de la première heure. Seeya Sheriff, le lieutenant de Conneh, admettait en 2002 qu’en cas de victoire du Lurd il serait personnellement favorable à l’établissement d’une junte militaire et qu’il ne serait pas question d’organiser une quelconque élection. S’agissant du comportement du mouvement sur le terrain, ce qu’en dit l’organisation américaine de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) n’est pas rassurant. Le 6 mars dernier, l’Ong faisait état de viols subis par cinq infirmières libériennes détenues pendant trois mois par les troupes de Conneh l’an passé.
Le 9 juillet dernier, témoignant devant la commission des droits de l’homme du Congrès américain, la directrice pour l’Afrique de HRW, Janet Fleischman, a dénoncé l’attitude ambiguë de Washington à l’égard du Lurd et du pouvoir de Conakry. Elle a rappelé qu’un bataillon de huit cents soldats guinéens avait été entraîné par l’armée américaine en 2002 et que la Guinée n’avait fait l’objet d’aucune condamnation officielle pour son soutien aux rebelles. Il faut ajouter que les dirigeants du Lurd, à l’image du conseiller militaire Joe Wylie, séjournent régulièrement sur le territoire américain sans être inquiétés.
Les diplomates américains, informés par la CIA, l’agence américaine de renseignements, semblent maintenant comprendre que ni le Lurd ni le Model ne représente une alternative appropriée à Taylor. Mais peut-on ramener la paix au Liberia sans ces deux mouvements rebelles ?

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