Quand la planète suffoque…

La réduction des surfaces boisées fait peser une menace écologique s ans précédent sur l’environnement à l’échelle mondiale.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Exploitation du bois, défrichage, incendies… En l’espace d’un siècle, la moitié de la forêt tropicale a disparu. De nombreuses nuisances accompagnent cette destruction : modification du climat mondial, érosion accélérée des sols, émission de gaz à effet de serre, et perte de la diversité génétique. Une richesse inestimable part en fumée chaque année. Les forêts tropicales humides, qui ne couvrent que 6 % à 7 % de la surface de la planète, abritent plus de la moitié des espèces vivantes sur terre. Les forêts primaires, c’est-à-dire jamais cultivées ou exploitées par l’homme, qui contiennent une flore et une faune uniques, sont menacées de disparition dans de nombreux pays.
D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le rythme de destruction de la forêt tropicale dans le monde était estimé, dans les années 1980, à un peu plus de 11 millions d’hectares par an. Ce rythme se serait accéléré après 1990 pour passer à plus de 15 millions d’hectares, ce qui équivaut à la superficie totale du Népal, du Nicaragua ou de la Grèce. Bien que tout le monde soit unanime sur l’ampleur du drame, ces chiffres sont à manier avec prudence. Les inventaires sur le terrain, très coûteux, sont rarement effectués dans les pays du Sud. La FAO doit s’appuyer sur les enquêtes d’associations environnementales, comme la Global Forest Watch (GFW), Greenpeace ou encore Telepak, pour tenter de cerner l’ampleur de la déforestation illégale. La principale source d’informations demeure les images prises par satellite, mais la FAO reconnaît elle-même que ce procédé n’est pas très précis. De plus, l’agence onusienne, sous le feu des critiques, a été amenée à modifier récemment sa définition d’une zone forestière. Même avec entre 80 % et 90 % des arbres détruits, un territoire était encore classé parmi les forêts, ce qui conduisait à des résultats contestables.
La situation n’est pas partout la même. Les forêts dans le monde sont classées en trois groupes principaux : les forêts boréales situées dans le Grand Nord, les forêts tempérées et les forêts tropicales, les plus riches en matière de biodiversité, mais aussi les plus menacées. La superficie des forêts tempérées, pour sa part, progresse. Les pays riches ont reboisé massivement au cours des dernières décennies, sur les terres agricoles les moins aisément cultivables ou d’un moins bon rendement.
Le rythme de la déforestation, en revanche, est particulièrement élevé en Afrique et en Amérique du Sud, régions qui détiennent les deux plus importants massifs au monde, le bassin du Congo pour la première, l’Amazonie pour la seconde. Pour l’ensemble de l’Afrique, depuis le début des années 1990, cinq millions d’hectares de forêts auraient disparu chaque année. Il ne resterait que 12 % du couvert d’origine en Afrique de l’Ouest.
Le Soudan vient en tête de liste avec 9,6 millions d’hectares détruits en dix ans, suivi par la Zambie (8,5 millions d’ha), la République démocratique du Congo (5,3 millions d’ha), le Nigeria (4 millions d’ha) et le Zimbabwe (3,2 millions d’ha). Toujours d’après la FAO, au cours de la dernière décennie, les pays africains qui ont le plus perdu en pourcentage de leur superficie totale sont le Rwanda et le Burundi, qui ont vu disparaître presque 40 % de leur couvert forestier, ainsi que la Côte d’Ivoire, le Sierra Leone et le Niger, qui en ont perdu un tiers. Seul espoir, en Afrique, une grande partie des zones facilement accessibles a déjà été exploitée. Le rythme de déforestation devrait donc se réduire. La situation est jugée plus grave en Asie du Sud, où la forêt primaire pourrait entièrement disparaître à moyen terme.
Outre l’exploitation du bois, la déforestation a de multiples causes, dont la transformation des forêts en zones agricoles. D’après la FAO, presque les deux tiers des forêts défrichées ces dix dernières années ont été transformées en petites exploitations agricoles. À titre d’exemple, le renouvellement des plantations de cacao s’est fait, pendant de nombreuses années, en défrichant de nouvelles zones de forêt tropicale. L’investissement était ainsi limité, et les nouvelles plantations bénéficiaient d’un sol fertile et d’une présence très faible des maladies spécifiques au cacaoyer. La rentabilité d’un tel procédé est devenue moins évidente. Les terres à défricher sont devenues moins accessibles, et les plantations actuelles vieillissent. Peu à peu les paysans ont recours à des techniques plus sophistiquées d’agroforesterie, qui permettent d’assurer une plus grande longévité aux plantations existantes de cacaoyers.
Autre fléau croissant, l’exploitation illégale et massive du bois. D’après le World Resources Institute (WRI), les deux tiers de la production mondiale de bois se feraient en toute illégalité : entre 50 % en Afrique centrale et 80 % dans certaines régions du Brésil. Cette situation est aisément explicable. Les bois tropicaux rares font l’objet de bien des convoitises et les gouvernements n’ont pas les moyens de faire respecter leur législation concernant leur exploitation. Les forêts sont victimes à la fois de l’appétit des sociétés d’exploitation privées, et de la pauvreté des populations riveraines, qui ont besoin de bois de chauffe et de nouvelles surfaces à cultiver. Et les pays du G8, qui importent plus des trois quarts des produits forestiers, n’ont pas pris de dispositions législatives prévoyant la saisie d’importations illégales.
Pourtant, les gouvernements locaux ainsi que la communauté internationale se doivent de réagir face à une situation plus que préoccupante. En dehors des dommages environnementaux irréversibles, les revenus actuels vont se raréfier. La destruction à grande vitesse du patrimoine naturel forestier n’est pas une solution viable. Le Nigeria, très peuplé, n’a déjà plus suffisamment de forêts naturelles et, d’exportateur de bois, il est devenu importateur, ce qui l’oblige à se lancer dans des programmes de plantation. En Côte d’Ivoire, la production, qui était d’environ 4 millions de m3 par an dans les années 1970, est descendue à 1,5 million au début des années 1990. Et aux Philippines, la production annuelle est passée en vingt ans de 10 millions de m3 à moins de 2 millions de m3. L’exploitation s’est focalisée sur les espèces les plus rares. Or, en Afrique, seuls deux ou trois arbres à l’hectare présentent un intérêt économique suffisant pour justifier d’être coupés, transportés et vendus. Pourtant, la construction des routes et la manutention obligent à abîmer ou à détruire de nombreux arbres pour n’en exploiter qu’un seul.
La solution passe-t-elle par la protection des forêts ? D’après la FAO, 11,7 % des forêts d’Afrique ont acquis le statut de zones protégées. Malgré quelques beaux succès, le bilan reste mitigé. La protection de ces zones reste difficile à assurer lorsque les populations riveraines n’en tirent pas profit, comme l’illustrent les cas de l’Ouganda et du Kenya. Dans les années 1970 et 1980, les agriculteurs ont défriché plus de 25 000 hectares de forêts vierges du parc national du mont Elgon. En Ouganda toujours, plus de 10 000 hectares ont été défrichés dans le parc national de Kibale. Et au Kenya, entre 1995 et 2000, toutes les forêts indigènes de la réserve d’Imenti, sur les pentes du mont Kenya, ont été illégalement mises en culture.
Ce concept issu du colonialisme, où la population est exclue des zones protégées, a montré ses limites. Quelque 350 millions de personnes dans le monde vivent dans des forêts denses ou à leurs abords, et en dépendent fortement pour leur subsistance. Il convient de les associer impérativement à la protection des forêts. Ainsi ils deviendront les garants de leur préservation, et permettront leur mise en valeur raisonnée.

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