Présidente sinon rien

A cinq heures de l’après-midi, de Samira Makhmalbaf (sorti en France le 27 août)

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Lorsqu’elle se rend pour la première fois à Kaboul, peu après la guerre menée par les États-Unis contre le pouvoir taliban, Samira Makhmalbaf ressent un choc. Alors qu’elle entre dans un des rares hôtels de la capitale afghane, le visage découvert mais habillée très sobrement avec son voile, à l’iranienne, la cinéaste croise un homme qui, à son passage, se tourne face au mur pour ne pas la regarder. Sa « tenue » est manifestement trop indécente pour ce supporter du burqa !
Quand elle raconte cette anecdote, la réalisatrice veut signifier que l’on doit se méfier des idées reçues véhiculées par les médias sur des situations complexes. L’Afghanistan n’a pas changé du jour au lendemain. Les traditions, y compris celles qui semblent les plus rétrogrades, sont encore largement respectées dans un pays où le mollah Omar n’était pas partout impopulaire.
Cet Afghanistan « réel » d’aujourd’hui, qui ne correspond pas à l’image d’un territoire en marche vers la démocratie que veulent colporter les Américains, c’est celui qu’a voulu peindre la réalisatrice dans À cinq heures de l’après-midi. Pour montrer, dit-elle avec toute l’assurance de ses 23 ans, que « ce n’est pas Rambo qui va sauver le peuple d’Afghanistan ».
Comme dans ses deux premiers longs-métrages, Samira Makhmalbaf nous propose une fiction à base documentaire. Ou un documentaire maquillé en fiction, c’est selon. Elle raconte le destin de Noqreh, une jeune Afghane, fille d’un vieil homme très pieux, qui aspire à l’émancipation – personnelle et politique – dans le Kaboul en ruines de l’après-guerre. Ce que symbolise bien l’une des premières scènes du film, où l’on voit cette étudiante fuir l’école coranique, pour rejoindre, après avoir échangé ses sandales contre des talons hauts, un lieu d’enseignement « moderne ». Interrogée par son professeur sur le métier qu’elle aimerait exercer, elle ne répond pas, comme la plupart, « institutrice, docteur ou ingénieur », mais « présidente de la République » !
Après diverses péripéties drôles, pathétiques ou violentes, le film se termine de façon tragique dans une grande scène lyrique.
Son message se veut pourtant moins pessimiste qu’interrogatif : à quoi peut-on rêver, que peut-on espérer, surtout si l’on est jeune et/ou de sexe féminin, dans un pays détruit et qui hésite entre le repli identitaire et l’ouverture au monde moderne ? En un mot, comment peut-on être afghan(e) au XXIe siècle ?
Si le film n’est jamais ennuyeux, souvent très beau, toujours intense, certaines naïvetés dans le propos et l’esthétisme permanent (ah que les burqas sont beaux quand ils sont filmés ainsi !) peuvent énerver le spectateur.
Mais il serait difficile de ne pas saluer le courage et le talent d’une réalisatrice qui, à peine dépassé la vingtaine, n’hésite pas à s’attaquer de front à des sujets sociaux et politiques délicats et à démontrer qu’elle possède déjà un style bien à elle. Ce qu’a voulu justement saluer le jury du Festival de Cannes 2003 en lui accordant – pour la deuxième fois en trois films – une place au palmarès.

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