Pourquoi Conté se tait

À cinq mois de la présidentielle, le chef de l’État sortant ne donne aucune indication sur ses intentions. Et entretient la querelle sur sa succession.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

Si Dieu prête vie à Lansana Conté jusqu’à l’élection présidentielle de décembre prochain, cela fera une année entière qu’il lutte contre un diabète aigu, ponctué de crises comateuses et de soucis cardiaques. L’état de santé du président guinéen ne cesse de susciter inquiétude et commentaires depuis le 3 décembre 2002, où il a été foudroyé par un malaise alors qu’il accomplissait les sept tours rituels de la Ka’aba. Le chef de l’État interrompt son petit pèlerinage, supprime l’étape du Japon où il devait se rendre en visite officielle après La Mecque. Il rejoint Conakry qu’il quittera le 19 décembre pour le Maroc, où il sera hospitalisé une vingtaine de jours à l’hôpital militaire royal de Rabat.
Depuis son retour à Conakry, le 10 janvier 2003, Lansana Conté s’éloigne toujours un peu plus de la gestion des affaires publiques, de la politique politicienne, du pouvoir… Son bureau du Petit Palais ne le voit presque plus. Quand il quitte sa retraite de Wawa, c’est pour passer quelques instants sur l’esplanade du Palais des nations, détruit par la mutinerie militaire des 2 et 3 février 1996. Alors qu’il y a cinq ans il avait clairement exprimé sa volonté de rempiler et commencé à sillonner le pays six mois avant l’échéance présidentielle de décembre 1998, il n’en est rien cette fois-ci. Le président n’a encore pas exprimé la moindre volonté de se succéder à lui-même en décembre prochain. Fin juin, à une délégation de son parti venue discrètement lui parler de la future présidentielle, il a rétorqué, avec son franc-parler habituel : « Savez-vous si je serai encore vivant ? Vous ne voyez pas que je suis malade ? »
Plus préoccupé par son état de santé que par toute autre chose, Conté ne cesse d’entretenir le suspens sur son avenir, relayé par son entourage. En décembre 2002, il a ordonné de dire qu’il se rendait au Maroc pour raison médicale. Le gouvernement a décidé d’annoncer une visite privée, sur invitation du roi Mohammed VI. En juin dernier, alors que ses partisans multipliaient les meetings et interventions dans les médias publics pour soutenir sa candidature, Conté a mis les pieds dans le plat. « Je suis malade. J’ai les pieds nus parce que je ne peux pas porter de chaussures », a-t-il lancé à une assistance ahurie à Coyah, une petite ville à une cinquantaine de kilomètres de Conakry. Ce qui a apporté de l’eau au moulin de Fodé Soumah, bienfaiteur du parti présidentiel et vice-gouverneur de la Banque centrale, qui sillonne le pays depuis le début de l’année. De l’appel à voter Conté au scrutin de décembre 2003, son discours a radicalement changé pour, dorénavant, inviter ses compatriotes des villes et des villages qui l’accueillent à « prier pour que le général-président Lansana Conté recouvre la santé ».
Les choses ne s’arrangent pas pour ceux qui, habitués à une position de pouvoir, travaillent contre vents et marées à maintenir Conté à la tête du pays. « Le président est réellement épuisé. Il semble même dormir quand on lui parle », a confié le chef de l’État nigérian, Olusegun Obasanjo, aux membres de sa délégation à l’issue de son entretien avec Conté, le 13 juillet dernier. Ceux-ci s’offusquaient de voir le président guinéen dépêcher un de ses ministres, au lieu de se déplacer lui-même, pour accueillir son homologue à l’aéroport de Conakry. Tombée dans des oreilles indiscrètes dans les couloirs du palais présidentiel de Sékhoutouréya, la réflexion n’a pas fait que des heureux dans l’entourage de Conté.
Au fur et à mesure qu’approche l’échéance de décembre 2003, les proches de ce dernier se divisent sur la démarche à suivre. En privé, quelques membres du gouvernement rouspètent contre la mise en avant de la candidature pour le moins hypothétique – du président. À les entendre, le chef de l’État n’est pas dans les dispositions de battre campagne, ni de supporter ses charges présidentielles qu’il assume de moins en moins. Affaibli par la maladie, Conté peine à gérer une fronde populaire née de la pénurie d’eau et d’électricité qui frappe le pays depuis plusieurs mois, avant de gagner les employés du secteur sensible des mines et les femmes commerçantes. Le tout dans un contexte économique morose qu’illustre la forte dépréciation du franc guinéen. Alors qu’il en valait 1 000 en 1997, le dollar s’échange aujourd’hui contre plus de 2 700 francs guinéens.
Loin des querelles de tendances qui opposent le dauphin constitutionnel, Aboubacar Somparé, à l’omniprésent argentier du PUP Fodé Soumah, la famille du président s’attelle à un tout autre combat. Elle cherche à vaincre la réticence du chef de l’État, pour qu’il accepte un autre déplacement médical au Maroc.

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