Pourquoi l’économie reste en panne

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, 4,2 millions de personnes arriveront chaque année sur le marché du travail au cours de la période 2000-2010. C’est deux fois plus qu’au cours des deux décennies précédentes. La population active augmentera quant à elle de 3,4 % par an, soit deux fois plus que dans les autres pays en développement. Le secteur public n’ayant plus les moyens de procurer des emplois à tous les demandeurs, le chômage – dont le taux, estimé actuellement à 15 % en moyenne, est l’un des plus élevés au monde – pourrait continuer à progresser.
Parallèlement, la baisse régulière des recettes pétrolières par habitant, la réduction des aides extérieures, la diminution des fonds envoyés par les travailleurs de l’étranger, la stagnation des investissements et la raréfaction des possibilités de migration pour la main-d’oeuvre ne permettront pas aux pays de la région de maintenir les créations d’emplois et de revenus à un niveau suffisant au cours des années à venir. C’est le Tunisien Mustapha Kamel Nabli, économiste en chef de la Banque mondiale (BM) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA), qui a tiré la sonnette d’alarme. Selon lui, l’avantage démographique dont bénéficie cette région du monde pourrait se transformer en une malédiction et provoquer une grave crise sociale.
Dans un rapport rendu public début juillet sous le titre « Engaging with the World : Trade, Investment and Development in Middle East and North Africa », les experts de la Banque passent en revue les retards économiques et les carences sociales qui menacent l’avenir des populations de cette région qui s’étend du Maroc à l’Iran. Si les facteurs extérieurs (conflits, sanctions internationales, accès limités à certains marchés) ont eu des retombées indiscutablement négatives, estiment-ils, les conséquences du protectionnisme, du chômage et de la non-intégration à l’économie mondiale sont encore plus graves. Comment éviter cette catastrophe annoncée ? Après leur avoir rappelé les vertus du libéralisme, les experts appellent les gouvernements à :

– remplacer les économies protégées reposant sur le secteur public et soutenues par les hydrocarbures, les envois de fonds des travailleurs expatriés et l’aide extérieure par des économies plus ouvertes aux échanges, à l’innovation et à l’initiative privée ;

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– diversifier leurs activités en renforçant le rôle des secteurs non pétroliers et en privilégiant les exportations et, de manière générale, le développement des échanges ;

– s’adosser à des zones économiques régionales, européennes, américaines ou même asiatiques ;

– lever les obstacles aux frontières, supprimer les contingents et les licences d’importation, libéraliser les droits et les formalités de douane, annuler l’ensemble des contraintes administratives à l’intérieur des frontières et encourager la participation de groupes étrangers au capital des sociétés publiques.

Plusieurs pays ont déjà mis en route des programmes de ce type, et les plus avancés, la Jordanie et la Tunisie, commencent à en récolter les fruits. Le Maroc et l’Égypte ont fait des efforts remarquables pour réformer le commerce extérieur et les investissements. Et les Émirats arabes unis, notamment Dubaï, poursuivent eux aussi une ambitieuse politique d’ouverture sur l’extérieur. Pourtant, « comparées au reste du monde, les réformes engagées dans la région sont insuffisantes », estiment les auteurs du rapport.
Jean-Louis Sarbib, vice-président de la BM pour la région MENA, reste cependant optimiste : les économies des pays concernés sont loin d’exploiter tous les atouts liés à leur situation géographique et à leurs ressources naturelles. Leur taille, leur compétitivité en matière de salaires et leur proximité avec les marchés à revenus élevés de l’Union européenne devraient notamment leur permettre de tripler le niveau de leurs échanges. À condition, bien sûr, d’accélérer l’ouverture de leurs économies et d’« améliorer la gouvernance en renforçant la participation des citoyens et en contraignant l’État à rendre des comptes ». Bref, en imposant davantage de liberté et de transparence.

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Tour d’horizon maghrébin

Al’exception de la Tunisie, où les réformes commencent à porter leurs fruits, les résultats enregistrés dans les autres pays maghrébins sont, pour l’instant, décevants. C’est que les réformes y sont menées avec une prudence excessive. Et non sans réticence.
Tout se passe comme si les responsables politiques ne croyaient pas au potentiel commercial de leur pays et que les opérateurs privés ne se sentaient pas capables de soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux. « Ce pessimisme est infondé », commentent les experts de la Banque, qui appellent à l’accélération des réformes. Tour d’horizon.

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tunisie : alléger les procédures
C’est l’un des pays les moins bien pourvus en ressources naturelles. Et l’un des plus avancés en matière de réformes économiques. Ayant ouvert son commerce et créé un climat assez attractif pour les investissements, il enregistre des résultats encourageants. Mais il lui faut aujourd’hui passer à la vitesse supérieure en accélérant la libéralisation de son commerce. « Après plus d’une décennie d’ajustement dans l’industrie nationale, les réformes progressives n’ont plus vraiment de raison d’être », note le rapport.
La Tunisie va donc devoir passer rapidement d’une politique de taux de change fondée sur un flottement contrôlé de la monnaie nationale, le dinar, à une politique de taux de
change réel. Il lui faut aussi abaisser le taux tarifaire moyen, aujourd’hui de l’ordre de 30 % (contre 21 %, par exemple, pour l’Égypte). Les tarifs agricoles sont également assez élevés (plus de 350 %). Et la protection accordée aux produits locaux, nettement
excessive.
La Tunisie a certes éliminé progressivement les barrières non tarifaires, mais elle les a remplacées par des barrières administratives. Les cahiers des charges, notamment, constituent un obstacle au commerce. « Le remplacement des barrières non tarifaires par leurs équivalents tarifaires introduirait la transparence et réduirait le lobbying en faveur des licences à l’importation et de la recherche de la rente », explique le
rapport.
Autre carence : les procédures douanières. « Dans le cadre d’enquêtes récentes, les entreprises tunisiennes ont déclaré qu’il leur fallait trois semaines, voire davantage, pour venir à bout des goulets d’étranglement administratifs. Le coût des transactions est particulièrement important pour les petites entreprises. Les procédures sont complexes, les inspections excessives, et les périodes d’attente longues. »
Enfin, si la Tunisie a commencé à libéraliser le secteur des services essentiels, notamment les services financiers, le transport, l’éducation et la santé, il lui reste à faire de même dans les télécommunications. Elle devra également ouvrir son secteur
bancaire à la concurrence des banques étrangères.

Maroc : déréglementation, privatisation, restructuration
Le Maroc a pris, lui aussi, des mesures importantes pour réformer le commerce et l’investissement. En liant le taux de change de la monnaie nationale au dollar, il a amélioré ses performances en matière d’exportation. Mais il lui reste à baisser le taux
tarifaire moyen (environ 36 %), ainsi que les tarifs agricoles, dont les taux sont excessifs (358 %). Les pertes fiscales dues au commerce extérieur sont souvent invoquées par les responsables marocains pour justifier le maintien de ces taux élevés. Or, précise
le rapport, ces pertes peuvent fort bien être compensées par les impôts domestiques, la TVA par exemple, et par une croissance rapide du volume des importations.
Comme en Tunisie, les produits locaux continuent de bénéficier d’une bienveillante protection administrative. Les normes de qualité et les contrôles techniques systématiques
n’ont souvent d’autre raison d’être que de faire obstacle à l’entrée des produits étrangers. La plupart n’ont aucune équivalence internationale et doivent être alignés sur ceux en vigueur au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), précisent les experts de la Banque. Qui préconisent également la déréglementation des activités portuaires et du transport routier, afin d’en réduire les coûts, ainsi que la privatisation et la restructuration du transport aérien, notamment le fret.

Algérie : la fin de l’État providence
« Il est plus difficile pour les pays riches en ressources naturelles de passer d’un système économique protectionniste et dominé par l’État à un système économique ouvert, induit par le marché », relèvent les experts. L’ Algérie, qui est évidemment dans ce cas, a bien engagé des réformes pour libéraliser son commerce et encourager l’investissement privé, mais ses exportations hors hydrocarbures demeurent modestes. Et l’ouverture du marché intérieur aux produits étrangers, timide.
Le pays aurait intérêt à déréglementer les services et à faire jouer la concurrence dans des secteurs comme le transport, les télécoms ou la finance. Le rapport constate qu’il faut, en Algérie, six ans pour obtenir une ligne téléphonique fixe. L’ arrivée des téléphones cellulaires a certes atténué la gravité de ce problème, mais ne l’a pas résolu pour autant. Les coûts du fret sont assez élevés (deux fois les niveaux de référence). Les banques publiques occupant une position dominante (95 % des actifs), les activités des banques étrangères restent très limitées. Conséquences : services de piètre qualité, coûts élevés, opérations de prêt réservées aux entreprises publiques, faible niveau de financement des activités nouvelles et commerciales. « Dans le domaine des services, la réforme du secteur financier requiert une attention toute particulière », note le rapport.

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