Peindre jusqu’à l’overdose

Le musée Maillol, à Paris, retrace l’itinéraire du peintre américain Jean-Michel Basquiat. En soixante tableaux monumentaux et percutants.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Jean-Michel Basquiat aimait les chansons de Janis Joplin et celles de Jimi Hendrix. Il est mort comme ces météores de la scène rock, à 27 ans. D’une overdose d’héroïne dans son appartement new-yorkais de Great Jones Street, le 12 août 1988. C’est l’itinéraire de ce peintre happé par son destin que nous propose de découvrir le musée Maillol, grâce à une rétrospective réunissant une soixantaine de tableaux. Des oeuvres pour la plupart monumentales, aux dimensions d’une peinture gestuelle où le mur est le support original – même si Basquiat refusait le qualificatif de « graffitiste ». L’exposition retrace les dix années durant lesquelles le talent du peintre explosa et fit de lui une figure emblématique des années 1980.
L’histoire de Jean-Michel Basquiat commence le 22 décembre 1960 à Brooklyn, New York. Son père, Gérard Basquiat est natif de Port-au-Prince, à Haïti ; sa mère, Matilde, est née à Brooklyn de parents portoricains. Tout jeune, Jean-Michel manifeste un vif intérêt pour le dessin : il remplit des cahiers de croquis, dessinés à partir de planches du dictionnaire. Sa mère l’encourage en l’emmenant visiter le Brooklyn Museum, le MoMa (Museum of Modern Art) et le Metropolitan Museum of Art.
Basquiat n’est pas un produit du ghetto noir américain : sa famille est plutôt bourgeoise, parfaitement intégrée, et il reçoit à peu près tout ce qu’un enfant peut espérer en matière d’éducation. Quand ses parents divorcent – il a alors 7 ans -, il est envoyé dans une école privée catholique où, tout en se passionnant pour la lecture, il continue de dessiner. Un peu perturbé, il trouve l’inspiration dans les bandes dessinées. En mai 1968, une voiture le renverse alors qu’il est en train de jouer au ballon. Hospitalisé pendant un mois, il souffre d’une fracture du bras et de graves lésions internes. C’est durant sa convalescence que sa mère lui offre le célèbre manuel d’anatomie de Gray. Un ouvrage qui va avoir une influence capitale sur son oeuvre et sur sa manière de regarder – et de dessiner – les corps.
Entre 1974 et 1976, Jean-Michel habite avec son père et ses deux soeurs à Porto Rico. Il fugue pour la première fois. De retour à New York, il fréquente une école spécialisée, City as School, pour les adolescents doués. C’est là qu’il fait la connaissance du graffitiste Al Diaz. Une profonde amitié unit les deux garçons qui, ensemble, entreprennent de taguer la partie basse de Manhattan avec force symboles et messages poétiques.
En décembre 1976, Basquiat fuit le domicile familial, erre pendant deux semaines à Greenwich Village et se drogue au LSD. À 17 ans, il signe ses graffitis sous le pseudonyme « SAMO© ». L’acronyme signifie Same Old Shit (« La même vieille merde »), ironiquement assorti du signe du copyright qui dépossède les auteurs au profit de ceux qui exploitent leurs oeuvres. Sur les murs, SAMO© écrit : « SAMO© sauve les idiots » ou « SAMO© signe la fin de la religion laveuse de cerveaux, de la politique de nulle part et de la philosophie fantôme ». Un an avant l’obtention de son baccalauréat, il verse le contenu d’une bombe de mousse à raser sur la tête de son professeur. Expulsé de l’école, il décide de vivre seul, séjournant chez les uns et les autres dans Soho. Il partage la vie des noctambules de l’Underground new-yorkais qui fréquentent le Mudd Club, puis le Club 57. Il rencontre des personnalités comme David Byrne, Madonna – avec laquelle il entretient une courte relation – ou encore le groupe B-52. Mais il fait aussi la connaissance de Michael Holman, Danny Rosen et Vincent Gallo avec qui il forme le groupe de musique Gray, au sein duquel il joue du synthétiseur et de la clarinette.
Dès 1978, le journal The Village Voice, sous la plume de Philip Faflick, s’intéresse à cet artiste hors pair qui couvre les murs de ses maximes et de ses graffitis, et qui, pour vivre, vend des cartes postales et des tee-shirts estampillés Man made (« fait par l’homme »). Au Mudd Club, Basquiat fait la connaissance du conservateur et réalisateur Diego Cortez qui l’encourage et devient son premier marchand. En juin 1980, Basquiat participe à sa première exposition, « Times Square Show ». Il est immédiatement remarqué par le magazine Art in America. Un an plus tard, installé avec sa petite amie Suzanne Mallouk, il participe à « New York/New Wave » où, avec une vingtaine de peintures, il côtoie Keith Haring, Andy Warhol et Robert Mapplethorpe. La galeriste Annina Nosei le remarque, l’installe dans un atelier, met un appartement à sa disposition et organise sa première exposition personnelle. Ses oeuvres valent déjà entre 2 000 dollars et 10 000 dollars et il touche 4 000 dollars par semaine pour son travail. Un argent qu’il dilapide dans la drogue, les fringues et les voyages. À 21 ans, il participe à l’exposition de groupe Transavanguardia, à la Dokumenta 7 de Kassel (il est le benjamin de cette manifestation internationale), expose à Zurich sous la houlette de Bruno Bischofberger, quitte la galerie Annina Nosei, non sans avoir lacéré une quinzaine de toiles… Les prix de ses peintures s’envolent.
À partir de 1983, Andy Warhol, Francesco Clemente et Jean-Michel Basquiat se voient régulièrement, sortent ensemble et produisent une série d’oeuvres collectives. Basquiat voyage (Jamaïque, Hawaii, etc.), se brouille avec ses galeristes et peint, « dans un climat d’urgence, comme s’il avait la prémonition de la brièveté de son destin », comme l’écrit Bertrand Lorquin, conservateur du musée Maillol. En mai 1984, il expose au MoMa : considéré comme l’un des peintres les plus prometteurs de sa génération, il est le premier artiste noir à faire la couverture du New York Times Magazine. Sa nouvelle amie, Jennifer Goode, voyage avec lui entre seringues et poudre blanche, tandis que ses proches s’inquiètent de plus en plus de son état de santé et de ses crises de paranoïa. Lesquelles ne sont pas toujours sans fondement : son talent attire nombre de requins.
Comme en témoigne l’immense toile El Grán Espectáculo (History of Black People), Basquiat se sent proche de la lutte des Noirs pour l’égalité. Sa peinture emprunte aux masques primitifs africains autant qu’aux planches d’anatomie de Gray et à la signalisation urbaine. Il rend hommage aux héros noirs de son panthéon : Sugar Ray Robinson, Hank Aaron, Miles Davis, Charlie Parker ou Nat King Cole. En août 1986, il se rend pour la première fois en Afrique et expose à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Mais les choses se détériorent. Rupture avec Jennifer Goode, critiques de moins en moins amènes et décès d’Andy Warhol, le 22 février 1987. Perturbé, Basquiat vit longtemps en reclus avant d’exposer de nouveau avec succès à la galerie Baghoomian de New York. Il est alors au faîte de sa gloire. Alain Jouffroy, critique d’art, pourra écrire : « Je regarde un tableau, deux tableaux, dix tableaux… Cent tableaux de Basquiat, et c’est la peau, ma peau qui en ressent immédiatement les impacts et les ecchymoses, noires et violettes, jaunes et brunes, blanches et bleues. Je ne suis pas frappé, je suis tatoué par chaque tableau. »
En juillet 1988, Jean-Michel se rend à Hawaii pour quitter le milieu de la drogue. Il est de retour le 2 août à New York. Et retrouvé mort dix jours plus tard. C’est l’été. Janis Joplin chantait « Summertime »…

Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris. Jusqu’au 23 octobre 2003. Renseignements : www.museemaillol.com

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