Oudaï et Qoussaï Hussein

Voici comment sont morts les deux fils de Saddam. Enquête sur une exécution.

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 7 minutes.

1. La trahison
Mossoul, mardi 1er juillet 2003. Une BMW grise stationne sur le trottoir le long d’une grosse villa sans grâce de trois étages, ceinturée de colonnades au style babylo-stalinien si prisé en Irak. Trois hommes et un adolescent en descendent, vêtus de simples habits civils, se dirigent vers le portail et sonnent. Nawaf al-Zaydan, le propriétaire de la villa, ouvre et ne peut réprimer un sursaut. Malgré leurs barbes hirsutes, il reconnaît immédiatement Oudaï et Qoussaï, les deux fils de Saddam, accompagnés d’un garde du corps du nom d’Abdoul Samad et du fils aîné de Qoussaï, Mustapha, 14 ans. Il les fait aussitôt entrer et les installe dans deux vastes chambres du deuxième étage : « Je n’avais pas le choix », dira-t-il plus tard. À 46 ans, cet homme affable doit tout ou presque au dictateur déchu et à sa famille. Sa fortune dans l’import-export, ses deux maisons de Mossoul, son parc automobile, son prestige local. Certes, Nawaf et son frère Salah ont fait quelques semaines de prison en 2002 pour avoir proclamé un peu fort qu’ils étaient apparentés à Saddam – ce qui est faux – et terrorisé le voisinage. Mais cet incident a été vite oublié.
Les fugitifs prennent donc leurs quartiers et s’éternisent. Après tout, Mossoul n’est pas une ville réputée pour ses sympathies baasistes, rien à voir avec Tikrit ou Ramadi. Même si les sunnites y sont majoritaires, on est ici au Kurdistan, et ce n’est pas dans cette région que la Task Force 21 de l’armée américaine chargée de traquer Saddam et ses fils concentre en priorité ses recherches. De plus, la villa de Nawaf al-Zaydan est idéalement située : au nord-est de la ville, le long d’une route à quatre voies très fréquentée, entourée de terrains vagues sur trois côtés, loin des regards indiscrets des voisins. Nul d’ailleurs ne remarque rien, si ce n’est que Nawaf effectue un peu plus d’achats que d’habitude au supermarché du coin et ne prend plus le frais le soir, sur le pas de sa porte, assis sur une chaise en sirotant un thé. Pendant trois semaines, deux des trois hommes les plus recherchés d’Irak vivront ici sans mettre le nez dehors, le doigt sur la gâchette de leur kalachnikov. À l’évidence, ils n’avaient nulle part où aller.
Faisaient-ils confiance à leur hôte ? N’avaient-ils pas d’autre option ? Pensaient-ils que Nawaf respecterait cette règle d’or des tribus irakiennes qui veut que l’on ne trahisse pas celui que l’on héberge ? Espéraient-ils un renvoi d’ascenseur pour services rendus ? C’était oublier un peu vite l’appât du gain. Pour 30 millions de dollars de mise à prix, 15 pour chacun des deux fils, le vrai-faux cousin autoproclamé de Saddam Hussein va trahir. « Cela ne nous étonne pas, soupire un voisin. Avant la guerre, sa maison était pratiquement une annexe du Baas, mais dès que Mossoul est tombé, le 11 avril, Nawaf a planté un drapeau kurde sur son balcon, histoire de ne pas être pillé. Il n’a toujours été qu’un opportuniste. » Est-ce lui qui, le lundi 21 juillet au soir, prend contact avec une patrouille américaine pour signaler la présence de ses « invités » ? Sans doute. Toujours est-il que le lendemain matin, à 9 heures, Nawaf al-Zaydan quitte son domicile avec sa famille, direction le Casino, une aire de jeux et de restauration sise sur les bords du Tigre. À 9 h 30, il revient chez lui et en ressort au bout de cinq minutes. On le reverra quelques heures plus tard, tranquillement assis à l’arrière d’un Humvee – véhicule tout-terrain en service dans l’armée US -, devisant sereinement avec un officier américain. Depuis, Nawaf, son frère, sa femme et ses enfants sont cachés quelque part, sous la protection de l’envahisseur…

2. L’assaut
Mardi 22 juillet, 10 heures. Une compagnie de la 101e division aéroportée américaine, soit deux cents hommes, prend position autour de la villa. Depuis l’aube en fait, un double cordon – GI’s et policiers irakiens – « sécurise » discrètement le quartier. Cette fois, c’est la grosse artillerie. Au sol : une vingtaine de Humvee équipés de missiles antitanks Tow, de lance-grenades Mark 19 et de mitrailleuses de 50 millimètres. Dans l’air : des hélicoptères d’attaque Apache, Kiowa et Delta, et des avions A-10 « tueurs de chars ». Au mégaphone et en arabe, un interprète irakien délivre les sommations d’usage : « Rendez-vous, vous êtes cernés. Sortez un drapeau blanc. Mettez les mains sur la tête. » Rien ne bouge.
À 10 h 05, première tentative des GI’s. Une vingtaine de soldats pénètrent à l’intérieur du bâtiment et commencent à grimper les marches qui mènent au premier étage. Un feu nourri de kalachnikovs les accueille. Quatre sont blessés. Fin du premier assaut. À 10 h 30, les Humvee tirent sur la villa une salve de grenades, et les hélicoptères, une volée de roquettes. Des coups de feu sporadiques s’échappent du deuxième étage où les trois hommes et l’adolescent se sont barricadés. Suit une longue pause. À 11 h 45, nouvelle préparation d’attaque : Kiowa et Delta arrosent littéralement la maison.
À 12 heures, deuxième tentative de pénétration. Cette fois, les Américains atteignent le premier étage, mais la résistance est toujours aussi acharnée. Nouvelle retraite. Nouveau bombardement : dix missiles Tow, vingt grenades et un feu nourri de mitrailleuses liquéfient le second étage. À 13 h 20, les GI’s pénètrent pour la troisième fois dans le bâtiment. Alors qu’ils atteignent l’étage fatidique, une silhouette se dresse dans la pénombre au milieu de trois cadavres et tire une balle avant d’être abattue. Si l’on en croit les propos tenus par le général américain Sanchez devant les journalistes à Bagdad, au lendemain de l’assaut, le dernier à mourir ce jour-là, celui qui tira l’ultime rafale, serait Mustapha, 14 ans, le fils de Qoussaï…

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3. L’exécution
Les quatre corps sont aussitôt retirés des gravats, fourrés dans des body bags et expédiés vers la morgue américaine de l’aéroport de Bagdad. Plusieurs ex-dignitaires du régime Saddam en détention, dont son secrétaire Abid Hamid Mahmoud al-Tikriti, sont amenés sur les lieux aux fins d’identification. Tous sont formels : il s’agit bien des dépouilles des deux frères. Un médecin membre du Conseil de gouvernement transitoire, le Dr al-Roubaï, le confirme également. Les cadavres sont passés aux rayons X, les dossiers dentaires des deux Hussein sont comparés avec ceux des morts, une autopsie est pratiquée… Reste que si les Américains n’ont aucun doute sur l’identité de leurs victimes, il n’en va pas de même de
l’opinion irakienne. Donald Rumsfeld lui-même prend donc la décision de rendre publics les clichés des cadavres, le 24 juillet. Le même Rumsfeld, on s’en souvient, avait protesté avec une extrême virulence
contre la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira qui avait eu l’audace, pendant la guerre, de diffuser les images de soldats américains morts au combat…
Où seront enterrés Oudaï et Qoussaï, morts à 39 et 37 ans ? Leur mère Sajida, qui vit quelque part dans la banlieue de Bagdad, et leurs deux soeurs ont-elles été ou seront-elles autorisées à voir leurs cadavres ? Nul ne le sait, cette prescription incontournable de la religion musulmane qui veut que les funérailles aient lieu dans les heures qui suivent le décès ayant d’ores et déjà été violée. Reste que l’essentiel n’est pas là.
Si nul ou presque ne pleurera ces hommes dont le passé, souvent effroyable, est connu de tous les Irakiens, la façon dont les Américains ont procédé à leur exécution a quelque chose de choquant. « Notre mission est claire en ce qui concerne les individus-cibles » explique le général Sanchez : « Find, fix, kill or capture » [« trouver, fixer, tuer ou capturer »] – en l’occurrence, on a cherché à tuer, pas à capturer. Les Américains connaissent pourtant la méthode, eux qui avaient obtenu la reddition du dictateur panaméen Manuel Noriega, en janvier 1990, après un siège de quatorze jours. Il suffisait, après avoir encerclé, d’attendre. Mais sans doute George W. Bush avait-il besoin, d’urgence, d’un succès à proclamer.
Saddam Hussein sait donc à quoi s’en tenir : le simple fait que l’Amérique lui ait déclaré la guerre a fait ipso facto du dictateur irakien un exécuté en sursis. Il n’est plus question de tribunaux internationaux, encore moins de justice exemplaire, mais de la simple loi du « Wild West » chanté par Will Smith. Désormais privé de ses fils, le raïs déchu poursuit son errance. Lui qui toute sa vie s’est comporté comme un fugitif, lui qui depuis longtemps ne passait guère plus de dix heures de suite au même endroit par peur des attentats et des assassinats, lui qui ne dormait jamais dans ses palais et cultivait l’art du déguisement, a pour cela quelques prédispositions que ne possédaient ni Oudaï ni Qoussaï, élevés dans le luxe et la facilité. Saddam ne manque pas non plus d’argent : tout récemment, les Américains ont saisi 9 millions de dollars en liquide dans l’une de ses fermes, et l’un de ses neveux s’est fait pincer avec, dans son attaché-case, 800 000 dollars en grosses coupures.
Reste la trahison contre laquelle, à moins d’être seul, on ne peut rien – surtout lorsqu’elle est rétribuée. Une fois « fixé » par les Américains, que fera Saddam Hussein ? Pas moins que ses fils sans doute, avec, comme ultime recours, le suicide.

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