Nascimento l’enchanteur

Après un passage à vide de quelques années, le chanteur brésilien signe un disque subtil en hommage aux femmes. Retour sur scène d’un grand artiste.

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Alors que Gilberto Gil accédait en janvier 2003 au poste de ministre de la Culture du Brésil, nombreux sont ceux qui se demandaient où avait bien pu disparaître l’éclectique Milton Nascimento, en retrait depuis six ans. Il travaillait certainement dans un studio d’enregistrement : son nouvel album, Pietá, vient de sortir. Pour le plus grand plaisir de ses aficionados.
Superstar au Brésil, Nascimento a influencé plusieurs générations de jazzmen, comme Pat Metheny ou Nana Vasconcelos, partagé l’affiche des plus grands : Airto Moreira, Herbie Hancock, Wayne Shorter, Chico Buarque, chanté avec Peter Gabriel, James Taylor, Paul Simon et suscité l’admiration d’Eric Clapton, David Bowie, Pablo Milanes et Carlos Santana. Pour son compatriote Caetano Veloso, « sa voix est un des plus beaux son jamais produits par l’espèce humaine ».
Milton est né le 26 octobre 1942 à Rio de Janeiro. Une ville qu’il quitte dès l’âge de 2 ans pour s’installer avec ses parents adoptifs dans le Minas Gerais, à Tres Pontes. Sa carrière de chanteur commence tôt : à 13 ans, il officie déjà comme crooner – une manière de chanter à laquelle il reviendra en 1999 avec l’album intitulé… Crooner. Sa mère, Lilia, est la première personne qu’il entend chanter. « Je sentais que les femmes chantaient avec leur coeur, alors que les hommes voulaient surtout montrer la puissance de leur voix », se souvient-il. Ainsi, quand l’adolescence pointe son nez, Milton est désespéré : il mue ! « J’avais peur de perdre mon coeur », raconte-t-il. Pourtant : « Un beau jour, je me tenais devant la fenêtre du bureau de mon père quand un ange gardien inventa quelque chose nommé Ray Charles. Lorsqu’il eut achevé Stella by Starlight, je commençai à courir à travers toute la maison, hurlant comme un fou. Je venais tout juste de découvrir que les hommes aussi ont un coeur. »
À la fin des années 1950, Milton rejoint le groupe Luar de Prata avec Wagner Tiso, dont la mère lui enseigne les rudiments du piano. Il travaille aussi comme DJ à la radio de Tres Pontes. En 1963 et 1964, il intègre le groupe des W’s Boys, changeant son nom en Wilton pour qu’il commence, comme celui de ses camarades, par un W. Au milieu des années 1960, Milton s’installe dans la capitale du Minas Gerais, Belo Horizonte, où il poursuit des études d’économie. Il rencontre Márcio et Lô Borges, ainsi que Fernando Brant, qui l’accompagneront longtemps dans ses aventures musicales, joue avec différents groupes, enregistre un disque avec Sambacana, se fait remarquer dans des festivals de musique. Sa chanson « Travessia » (« ponts »), coécrite avec Fernando Brant, le signale à Elis Regina, qui chante sur scène ses premières chansons et l’invite, malgré les protestations de ses producteurs, à participer à son show. En 1967, il sort son premier album sous le titre Travessia. En 1968, invité aux États-Unis, il enregistre Courage à New York : un disque qui lui vaudra une première consécration et l’admiration de nombreux musiciens, dont celle du saxophoniste Wayne Shorter. Quelques années plus tard, en 1975, la voix magique de Milton accompagnera le sax soprano de Wayne, contribuant à la renommée internationale du Brésilien.
Au cours des années suivantes, Milton enchaîne les disques avec brio : Milton (1970), Clube da Esquinha (1972), Milagre do Peixes (1973) – lequel est chanté sans paroles, les textes ayant été interdits par la censure -, Minas (1975), Gerais (1976), Journey to dawn (1979), Missa dos quilimbos (1982)… Il ne se laisse jamais enfermer dans un style, tente d’abolir les frontières entre le jazz, la pop, la musique religieuse – rappelons que le Minas Gerais est un des hauts-lieux du mysticisme brésilien -, le folklore, etc. Comme il le déclarait déjà en 1980, « si on classifie tout en groupes, en castes, si on n’écoute pas de tout, si on ne cherche pas à se confronter, à se mélanger, on va à l’encontre de la fonction première de l’art. Les rencontres contribuent à casser la ségrégation ».
Après la gloire et les concerts à trente ou quarante mille personnes, les années 1990 sont un peu moins fastes pour celui que l’on peut considérer comme l’un des pionniers de la « World Music ». En 1995, les décès successifs de plusieurs proches le conduisent à tourner – un moment – le dos à la musique. Mais, comme il le racontait récemment au journal espagnol El Pais, le regard d’un enfant aperçu alors qu’il chantait une chanson le fait changer d’avis. D’où cet album, Pietá, véritable hommage à sa mère et aux femmes. Car ce sont elles qui lui ont appris à chanter, d’Amalia Rodrigues à Édith Piaf, de Sarah Vaughan à Doris Day. Marina Machado, Simone Guimarães, Maria Rita Mariano ont été invitées pour l’occasion. Si les deux premières sont déjà connues au Brésil, la troisième est la fille d’Elis Regina. Juste retour des choses : la mère lança la carrière de Milton et lui-même propulse la fille sur le devant de la scène, jouant ainsi ce rôle de passeur qu’il affectionne.
Prévue au nombre des invitées, une admiratrice de renommée mondiale : la sirène islandaise Björk… qui n’a pu participer aux enregistrements pour cause de grossesse. « Ce sera pour plus tard », indique Milton.
En attendant, les fans du chanteur brésilien peuvent déjà se laisser bercer par la mélancolie de « Tristesse », retrouver Pat Metheny et Herbie Hancock sur « Cantaloupe Island » ou pleurer sur « A lágrima e o Rio ». Une écoute attentive de Pietá ne pourra que confirmer ce que disait l’évêque Pedro Castaldaliga : « Milton chante, les étoiles ne peuvent s’empêcher d’être émues ».

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