Mon dîner avec Tarek Aziz

Publié le 1 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Peu après avoir pris mes fonctions de conseiller juridique du secrétaire d’État George Shultz, en 1985, je fus invité par l’ambassadeur Richard Fairbanks à un dîner organisé chez un important homme d’affaires palestinien, Hassib Sabbagh, en l’honneur du ministre des Affaires étrangères irakien, Tarek Aziz. Parmi les autres invités, outre des Arabes-Américains et des diplomates américains, se trouvait Donald Rumsfeld, qui avait déjà été secrétaire à la Défense sous le président Gerald Ford en 1975-1977.
L’Irak entretenait, à l’époque, de bonnes relations avec les États-Unis. Il était en guerre avec la République islamiste d’Iran. C’était un régime laïc, qui se présentait comme l’antidote des ayatollahs.

Après un dîner délicieux et bien arrosé, Aziz, en complet croisé à l’occidentale, prit la parole. Il expliqua que l’Irak et les États-Unis avaient un intérêt commun à empêcher la mainmise des islamistes sur la région du Golfe. Mais aussi que l’Occident devait permettre aux Arabes de faire des progrès économiques et sociaux, et d’acquérir le respect de soi qui va avec. L’avenir des Arabes dépendait de leur capacité à moderniser leur société et à se discipliner. Jusque-là, il n’y avait rien que de légitime et l’on ne pouvait qu’applaudir des deux mains.
C’est alors que, brusquement, Aziz fit un virage à 180 degrés et reprit à son compte les mots d’ordre les plus excessifs du nationalisme arabe. Pour réussir, les Arabes devaient être unis et solidaires. La « nation arabe » ne devait pas permettre que les frontières artificielles imposées par les Occidentaux les condamnent à la division. La solidarité redonnerait à la civilisation arabe l’éclat qui fut le sien et les Arabes récupéreraient leurs droits. Pour beaucoup, dans l’assistance, ces propos n’avaient rien de très nouveau. Personne ne broncha. Excepté Donald Rumsfeld, qui prit la parole à son tour… Le secrétaire à la Défense rendit hommage au talent d’Aziz et se déclara d’accord avec l’objectif de la modernisation du monde arabe. Il avait lui-même apporté récemment la preuve de ses bonnes dispositions à l’égard de l’Irak en participant aux négociations qui avaient permis le rétablissement des relations diplomatiques entre Bagdad et Washington.
Aziz rayonnait. Mais Rumsfeld le prit directement à partie : « Pensez-vous vraiment que le meilleur moyen d’atteindre vos objectifs est la solidarité ethnique ? Êtes-vous convaincu que vous avez plus en commun avec les Arabes qu’avec d’autres peuples, qui ne sont pas arabes, mais qui partagent vos espoirs d’une vie décente pour tous les peuples ? Ne craignez-vous pas que cette obsession de la solidarité arabe ne pousse les pays arabes à nouer des alliances artificielles ou fondées sur la haine ? » Un long silence suivit.

la suite après cette publicité

Quelque dix-huit ans plus tard, Tarek Aziz est en prison, sous la responsabilité de Donald Rumsfeld. Ironie du sort ou pas, ce n’est pas injuste. Si intelligent et cultivé qu’il ait été, Aziz n’avait pas fait le bon choix. Comme les autres idéologies fondées sur la tyrannie, le régime de Saddam Hussein a fait plus de mal que de bien. Aziz doit répondre d’une partie de ces crimes.
En même temps, il faut être conscient qu’on ne peut en rester là. Au nom du président George W. Bush et du peuple américain, Rumsfeld a réaffirmé son accord avec les premiers objectifs définis par Aziz. Il doit continuer à souligner la nécessité pour l’Irak d’adhérer aux valeurs défendues par la Charte des Nations unies. Étant bien entendu que pour l’Amérique, l’avenir de l’Irak appartient aux Irakiens.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires