Maroc : le roi est seul
Double anniversaire, cet été, au royaume des splendeurs et des paradoxes, du meilleur et du pire. Quatre ans d’un nouveau règne et quarante ans d’âge pour celui qui, le 30 juillet 1999, succéda à son père sur le trône des sultans du Maroc. Célébration ? Les attentats terroristes du 16 mai à Casablanca pèseront, à n’en pas douter, sur les cérémonies estivales. Et pas seulement parce qu’ils ont profondément et durablement traumatisé une grande partie de l’opinion et Mohammed VI lui-même. Autant, si ce n’est plus, que la fête du Trône et son discours royal traditionnellement attendu, ce mois de juillet est en effet celui des procès. À Rabat, Casablanca, Tanger et Kenitra, les tribunaux commencent à juger des dizaines de prévenus. Tous jeunes, islamistes, fanatisés, violents. Les allégeances de ces Marocains en rupture totale avec une patrie qui, disent-ils, n’est pas la leur, se situent du côté de Kandahar et de Peshawar.
En un peu plus de deux mois, la police a interpellé près de quatre mille personnes, dont sept cents font aujourd’hui l’objet de procédures judiciaires. Beaucoup de Marocains découvrent avec effarement l’ampleur des réseaux intégristes radicaux ; d’autres, ceux-là mêmes qui, hier encore, prônaient le laxisme et la complaisance, ces bourgeois qui redoutent désormais de découvrir en la personne de leur bonne ou de leur gardien un kamikaze « dormant » susceptible de les égorger, crient vengeance et exigent l’application à grande échelle de la peine de mort. Rares sont ceux qui savent raison garder : même manipulées et endoctrinées par les « émirs du sang » et les sites Internet de la haine, les « munitions » du 16 mai sont bien marocaines. Ce sont des fils du pays, des enfants de la misère et de tous les échecs que le royaume traîne derrière lui depuis un demi-siècle. Un révélateur brutal, en somme, du chemin que le Maroc de Mohammed VI doit encore parcourir.
Dresser le bilan de quatre années de règne reviendrait-il à égrener un chapelet de doléances ? Justice, santé, éducation, alphabétisation, inégalités sociales, statut de la femme, disparités salariales, tout cela choque et donne souvent l’impression désespérante qu’au Maroc tout bouge pour que rien ne change, à moins que ce ne soit l’inverse. Depuis le limogeage, en novembre 1999, de Driss Basri, l’ex-« ministre de tout et de partout », Mohammed VI n’a plus accompli de geste véritablement significatif sur la voie d’une « démakhzénisation » de l’État. Dispendieuse et inutile, la Chambre des conseillers, sorte d’appendice clientéliste de la Chambre des députés, n’a toujours pas été supprimée, et la gestion du domaine royal, de ses biens et de ses palais demeure opaque malgré quelques efforts de rationalisation. Sans doute le souverain ne communique-t-il pas – ou pas assez – sa « vision » du Maroc à un peuple qui, à l’heure de l’information mondialisée, ne peut plus se contenter de la décrypter à travers des discours. Il est vrai qu’en dépit de sa bonne volonté, Mohammed VI n’a pas encore pu, ou su, s’entourer de conseillers du calibre de ceux qui ont accompagné son père tout au long de son règne.
Pourtant, le Maroc de juillet 2003 est, à bien des égards, différent de celui de juillet 1999. En quatre ans, le royaume a tenu ses premières élections libres depuis l’indépendance et connu un développement sans précédent des médias. Le secteur privé a repris confiance, et les infrastructures – routes, barrages, aéroports, urbanisme – ne cessent de se développer. Surtout, quoi qu’en disent les esprits chagrins du microcosme, « M6 » demeure plus que populaire chez la grande majorité des Marocains. Il suffit qu’il apparaisse en public pour l’inauguration d’un ouvrage d’art ou d’un tronçon de route pour que l’espoir renaisse. Aux yeux de ses sujets, qui, comme tout un chacun, rêvent de bénéficier des avantages d’un État fort sans en avoir les inconvénients – ce qui revient à résoudre la quadrature du cercle ! -, le roi est légitime et c’est tout ce qui compte. Mohammed VI n’est pas Hassan II, et c’est fort bien ainsi. Après tout, on ne peut prétendre moderniser, mondialiser, démocratiser le Maroc et se plaindre sans cesse d’un « déficit d’autorité » et d’une « absence de leadership ». Dans tout pays normalement constitué, le rôle de complément, de compensation, parfois d’impulsion, de laboratoire d’idées et de propositions revient à la classe politique dans son ensemble. Or, ici, force est de reconnaître qu’elle n’a jamais été aussi défaillante. Son encéphalogramme est à ce point plat que le traumatisme du 16 mai ne l’a même pas fait sursauter. Au Maroc, le roi n’est pas nu : il est seul.
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