Finance : la note de la Tunisie rejoint celles de l’Ukraine et du Bélarus
La notation souveraine de Tunis est désormais au niveau de l’Ukraine et en-dessous de l’Irak, selon Fitch. L’agence de notation américaine a réduit d’un cran son estimation de la capacité du pays à rembourser ses emprunts à long terme, de B- à CCC. Une comparaison sévère, mais pas nécessairement une surprise. Explications.
« Quand on est sur le Titanic, ce n’est pas une fenêtre cassée supplémentaire qui changera quoi que ce soit, illustre Afif Chelbi, ancien ministre et ex-président du Conseil d’analyses économiques de l’industrie (2004-2011). La situation du pays est plus que critique, mais cela ne date pas d’hier. » Pour l’agence internationale de notation Fitch Ratings, elle date du 25 juillet 2021. « La baisse de la note [souveraine] à CCC reflète les risques accrus de manque de liquidité au niveau interne et externe, dans le contexte de nouveaux retards concernant un accord pour un nouveau programme avec le FMI, après les changements politiques de juillet 2021 », expliquent les analystes de Fitch dans un rapport rendu public le 18 mars.
Autrement dit, depuis le coup de force institutionnel du président de la République, Kaïs Saïed, les argentiers internationaux s’interrogent. Les discussions pour un quatrième prêt – en dix ans – ont longtemps été au point mort et n’ont repris que tardivement entre Washington et Tunis. Or, la Tunisie a besoin d’une signature avec le Fonds monétaire international pour boucler son budget, soit par une sortie sur les marchés internationaux, soit par des prêts bilatéraux. L’Arabie saoudite serait prête à aider substantiellement la Tunisie, à la condition d’obtenir un accord avec le FMI. Le temps presse : le déficit budgétaire tunisien devrait, selon les analystes américains, atteindre 8,5 % du PIB en 2022, contre 7,8 % en 2021.
Une réforme impossible
Parmi les autres pays notés « CCC » par Fitch figurent l’Argentine, qui a un long historique de défauts sur sa dette, l’Éthiopie et le Mozambique, en proie à des conflits armés internes, le Congo-Brazzaville, dont l’endettement a un temps dépassé le cap de 100% du PIB, ainsi que l’Ukraine et le Bélarus, au cœur des nouveaux affrontements en Europe de l’Est.
Les critiques de Fitch portent sur le poids de la masse salariale publique qui représente 70 % des revenus de l’État et sur celui des subventions énergétiques et alimentaires, qui pèsent près de 3 % du PIB. Or le coût de ces subventions devrait encore croître. La loi de finances prévoyait un prix du baril à 75 dollars, alors qu’il oscille actuellement autour de 95-100 dollars. L’Ukraine est le principal importateur de blé en Tunisie qui subventionne fortement les prix du pain, des pâtes et de la semoule. Le gouvernement de l’ex-Premier ministre Hichem Mechichi envisageait, durant les discussions avec le FMI, de sabrer ces aides. Une réforme désormais impossible à l’heure où la grogne monte devant la pénurie de produits alimentaires de base et à l’approche de Ramadan.
Nouvelle Constitution
Si le nouveau système politique du président Kaïs Saïed ralentit les discussions avec le FMI, il refroidit aussi les investisseurs internationaux privés. C’est ce que révèle Fitch en déplorant une dégradation dans les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. « Ce ne sont pas des thèmes subalternes. Ils sont très importants pour les fonds d’investissements et les investisseurs institutionnels », prévient l’analyste financier Bassem Ennaifer.
Le mois dernier, la Banque européenne d’investissement a annoncé qu’elle ne versera pas l’intégralité d’un prêt de 19 millions d’euros en faveur de la société publique Groupe chimique tunisien (phosphates) à cause de retard dans la mise à jour des normes environnementales. « Les autorités espèrent un accord avec le FMI avant cet été, mais le 25 juillet les Tunisiens doivent voter pour une nouvelle Constitution dont nous n’avons, pour le moment, pas la moindre idée du contenu, pointe un observateur. Cela vous donne envie d’investir en Tunisie ? Aux analystes de Fitch, non plus. »
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